« Rien n’est fait, en France, pour que l’arabe soit bien enseigné »
Félix apprend l’arabe au lycée. Il dénonce les nombreux obstacles à l’apprentissage de cette langue.
dans l’hebdo N° 1782 Acheter ce numéro
Félix apprend l’arabe au lycée. Il a choisi d’écrire à Politis pour dénoncer les nombreux obstacles à l’apprentissage de cette langue. Il raconte également les amalgames provoqués par ce choix, mais aussi nos représentations sociales, dans un contexte où l’extrême droite instrumentalise tout ce qui rapporte de près ou de loin à l’islam.
Je viens d’entrer en terminale dans un lycée parisien. Dès la cinquième, j’ai décidé d’apprendre l’arabe en deuxième langue vivante (LV2). Les raisons sont nombreuses : c’est une langue parlée dans plus de 25 pays, dotée d’une histoire riche et donnant accès à une culture très importante, plus éloignée et plus vaste que les autres langues proposées – l’allemand par exemple. J’ai eu la chance que mon collège, établissement public, propose cet enseignement. Un fait très rare. En 2019, moins de 4 % des établissements du secondaire le proposaient.
Très vite, je me suis rendu compte des amalgames qui étaient faits. Comme si apprendre l’arabe était suspect.
Face à ce choix – que je reconnais isolé, tant nous sommes peu nombreux –, toujours les mêmes questions, teintées d’un désagréable soupçon : mais pourquoi avoir choisi l’arabe ? Des journalistes sont même venus dans ma classe pour faire un reportage. Très vite, je me suis rendu compte des amalgames qui étaient faits. Comme si apprendre l’arabe était suspect. Parce que dans l’imaginaire collectif nos représentations nous conduisent automatiquement à l’islam. Apprendre l’arabe signifierait s’intéresser à l’islam et, toujours selon nos représentations, préjugés et autres raccourcis, être potentiellement en cours de radicalisation.
Pourtant, l’arabe est une langue très pratiquée en France et elle est la cinquième langue la plus parlée au monde. Or rien n’est fait, pour les élèves comme pour les profs, pour qu’elle soit correctement enseignée. Cela fait six ans que j’étudie l’arabe et chaque année connaît son lot de problèmes. Au collège, déjà. Parti en congé longue durée (maladie et paternité), mon professeur n’a jamais été remplacé, je n’ai donc pas eu cours pendant de longs mois, en quatrième et en troisième.
Puis est arrivé le lycée. Le mien ne propose pas l’enseignement de cette langue. J’ai donc dû entrer dans ce qu’on appelle l’enseignement inter-établissement (EIE), un système qui permet d’assister à des cours non dispensés dans son lycée dans d’autres établissements à des horaires extrascolaires – le soir, le mercredi après-midi. Un dispositif particulièrement décourageant. Pourtant, Paris est l’endroit de France où il y a le plus de lycées qui proposent l’enseignement de l’arabe. Je n’imagine pas ailleurs…
Pourquoi rien n’est-il fait pour que les conditions d’apprentissage soient améliorées ? Les groupes sont constitués prétendument par niveau, mais ils restent extrêmement hétérogènes. En arabe, on considère généralement que vous avez un niveau « intermédiaire et avancé » dès que vous savez lire et écrire. À partir de là, le niveau devient très variable. Ainsi, en seconde, je me suis retrouvé avec des personnes purement arabophones qui parlaient très mal français, mais aussi avec des élèves qui avaient pris l’arabe en troisième langue vivante et qui, hormis la connaissance de l’alphabet, débutaient à peine. Comment voulez-vous apprendre et faire cours avec une telle hétérogénéité ?
Cette année, pour la troisième année consécutive, j’ai dû changer d’établissement pour suivre un cours d’arabe. Nous sommes une grosse quarantaine d’élèves dans ma classe. Malgré les efforts du professeur, autant dire que ce ne sont pas les meilleures conditions pour apprendre une langue vivante.
Quasiment chaque année, mon professeur se sent obligé de préciser qu’il est prof d’arabe littéraire et non pas prof d’islam.
De manière générale, ce système de l’EIE fonctionne très mal. S’ajoute une autre dimension tout aussi problématique. Enseigner et apprendre l’arabe en France, aujourd’hui, est un sujet sensible sur lequel se rue l’extrême droite dès qu’elle le peut en y voyant un facteur de propagation de l’islam. Je pense que cela pèse sur nos enseignants. Quasiment chaque année, mon professeur se sent obligé de préciser qu’il est prof d’arabe littéraire et non pas prof d’islam.
Pour moi, il faut arrêter de se perdre dans ces débats de pacotille. Ce n’est pas normal que dans un pays avec une importante immigration arabophone, avec un passé colonial comme celui de la France, l’arabe ne soit enseigné que dans 4 % des établissements secondaires et que seulement 0,26 % des élèves l’étudient à ce niveau. En outre, je pense qu’un bon moyen de lutter contre la radicalisation serait justement de pouvoir bien apprendre cette langue dans les murs de l’école publique. Aujourd’hui, c’est presque mission impossible.
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