Rue d’Aubagne à Marseille, « une tragédie qui n’aurait jamais dû survenir »

Le 5 novembre 2018, l’effondrement de deux immeubles en plein centre-ville de Marseille coûtait la vie à huit personnes. Cinq ans après, un hommage leur a été rendu, alors que les familles attendent un procès dont la date n’est pas encore fixée.

Tristan Dereuddre  • 6 novembre 2023 abonné·es
Rue d’Aubagne à Marseille, « une tragédie qui n’aurait jamais dû survenir »
Le 5 novembre 2023, les familles des victimes se sont recueillies sur « la dent creuse », nom d’usage pour qualifier le lieu des effondrements au 63 et 65 de la rue d'Aubagne, dans le centre-ville.
© Tristan Dereuddre

« Je veux croire que sa mort et celle des autres victimes n’a pas été inutile ». Ce sont les mots de Liliana, mère de Julien Lalonde, brutalement disparu le 5 novembre 2018 dans les décombres de l’immeuble du 65, rue d’Aubagne à Marseille. Il y a tout juste cinq ans, les vies d’Ouloume Saïd Hassani, de Chérif Zemar, de Simona Carpignano, de Pape Niasse, de Marie-Emmanuelle Blanc, de Fabien Lavieille et de Taher Hedfi étaient également emportées par l’effondrement de deux immeubles de ce quartier de Noailles, dans le centre-ville.

Plusieurs dizaines de personnes – parmi lesquelles de nombreux élus, dont le maire Benoît Payan et les députés LFI Manuel Bompard et Sébastien Delogu – se sont rassemblées ce dimanche 5 novembre devant le lieu du drame pour honorer leur mémoire. Gerbes, flambeaux, cierges et photos dressaient le décor de ce triste anniversaire. À tour de rôle, les familles des victimes se sont saisies du micro pour prendre la parole sur une petite estrade, installée pour l’occasion. Les yeux rougis par l’émotion, toutes ont exprimé la même tristesse, la même colère et les mêmes incompréhensions : comment, en plein centre-ville de la deuxième ville de France, une telle catastrophe a-t-elle pu se produire ?

ZOOM : Un business de la misère

Aujourd’hui, si la responsabilité du drame de la rue d’Aubagne est en partie pointée vers l’ancienne municipalité, les voix s’élèvent en nombre contre les marchands de sommeil. Dans une tribune publiée dans Le Monde, Benoît Payan, l’actuel maire, dénonce des « hommes qui profitent de la misère pour louer des logements indécents et vétustes au prix fort, qui font du trafic de logement indigne un commerce lucratif, qui sacrifient des vies sans aucun scrupule. »

Pour y remédier, il propose de créer un cadre législatif pour durcir les peines et alourdir les réponses pénales à leur encontre, allant jusqu’à 10 ans de prison et 700 000 euros d’amende. « Le projet de loi sera déposé ce lundi matin sur le bureau d’Élisabeth Borne », nous confie Patrick Amico, l’adjoint au logement, qui n’hésitera pas à solliciter la voie parlementaire si la demande au gouvernement n’aboutit pas.

Une action municipale qui va dans le sens de la demande des familles des victimes, dont Liliana Lalonde, une mère de victime, pour laquelle « vivre dignement, c’est un droit de l’être humain. Nous devons tous agir individuellement ou collectivement pour qu’il soit respecté », soufflait-elle.

« C’est une tragédie qui n’aurait jamais dû survenir. Jamais », nous confie Liliana Lalonde, quelques jours avant l’hommage. « Si les personnes qui occupaient les postes à responsabilité pour assurer la sécurité des logements avaient fait leur travail, ils seraient encore en vie », ajoute-t-elle. Comme pour les autres familles de victimes, l’absence de responsabilité juridique rend l’accomplissement de son deuil impossible. Elle exige des réponses pour, cinq ans après, pouvoir enfin tourner la page : « Le temps ne nous aide pas autant qu’on aimerait. Nous, les familles, on se retrouve toujours dans l’attente. On a besoin que quelque chose se passe pour calmer un peu la douleur. Je suis consciente que beaucoup de personnes ont tenté de faire des choses, mais au bout de cinq ans, le bilan est très maigre », explique-t-elle.

Nous les familles, on se retrouve toujours dans l’attente.

Liliana Lalonde

Si elle reconnaît une volonté des pouvoirs publics d’agir pour que les choses ne se répètent pas, elle déplore « la lenteur du processus et le manque de structure solide pour lutter contre l’habitat indigne ». Liliana Lalonde espère que les conclusions de l’enquête, rendues le 18 octobre dernier par les juges d’instructions, permettront d’identifier et de traduire les coupables en justice : « Je souhaite que les responsables soient en face de cette réalité, qu’ils acceptent et qu’ils soient vraiment condamnés pour ça, avec les conséquences que cela peut impliquer. »

Depuis le début de la procédure, plusieurs mises en examen ont été engagées pour « homicides involontaires par violation délibérée d’une obligation de sécurité ». Parmi elles, on retrouve Marseille Habitat, propriétaire du numéro 63 et bailleur social de la mairie de Marseille, le syndic de copropriété Liautard (propriétaire du numéro 65), ou encore Julien Ruas, chargé de la prévention et de la gestion des risques dans l’équipe du maire LR de Marseille de l’époque, Jean-Claude Gaudin.

Rue d'Aubagne Marseille hommage
Rue d'Aubagne Marseille hommage
Environ 200 personnes étaient présentes pour rendre hommage aux huit personnes disparues dans le drame du 5 novembre 2018. Les familles ont pu se recueillir sur le site. (Photos : Tristan Dereuddre.)

En attendant le procès, dont la date n’est pas encore fixée, Liliana Lalonde appelle par ailleurs les administrations – la métropole, la mairie et l’État – « à faire le nécessaire pour aider les victimes de l’insalubrité et délogés, pour qu’ils trouvent un logement digne ». Un avis partagé par Mustapha Diongue, l’oncle de Pape Niasse, lors de la commémoration : « Il ne faut plus laisser les personnes vivre dans des bâtiments vétustes, ce n’est pas normal au XXIe siècle. »

Un centre-ville gangrené par l’insalubrité

Cette insalubrité dénoncée remonte bien avant les funestes événements du 5 novembre 2018. Elle gangrène le centre-ville historique de Marseille depuis de nombreuses années, sans que les pouvoirs publics n’aient fait le nécessaire pour le réhabiliter. En 2015, un rapport de 27 pages de l’inspecteur général honoraire de l’administration du développement durable Christian Nicol, remis à la ministre du logement, rendait un constat aussi sévère qu’inquiétant sur l’état de l’habitat dans la cité phocéenne. Il évaluait à 40 000 le nombre de logements indignes, présentant un risque pour la santé ou la sécurité de 100 000 Marseillais.

Il ne faut plus laisser les personnes vivre dans des bâtiments vétustes, ce n’est pas normal au XXIe siècle.

Mustapha Diongue

Ce n’est pourtant qu’à la suite de la panique procurée par les effondrements de la rue d’Aubagne que la crise des logements est révélée au grand jour : une vague d’évacuation, consécutive à l’explosion des arrêtés de péril grave et imminent, entraîne le relogement de plus de 2 500 personnes de novembre 2018 à mai 2019, le plus souvent dans de mauvaises conditions. Cinq ans après, les évacuations se chiffrent à plusieurs dizaines par mois, montrant l’ampleur de l’insalubrité et la nécessité de réhabiliter le centre-ville.

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