SNU : ce que pointe un député écologiste dans son rapport au vitriol
Dans son avis rendu pour le projet de loi finance 2024, Jean-Claude Raux dénonce une longue liste de dysfonctionnements et appelle le gouvernement à « surseoir à la généralisation du SNU ».
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Stage ou SNU ? L’étau se resserre sur les élèves de seconde Le « lycée engagé », machine à recruter pour le SNU SNU : Macron impose sa vision de l’engagement pour mater la jeunesseC’est un rapport pour avis sur le service national universel (SNU) dont le gouvernement se serait bien passé. Il s’ajoute à celui, déjà particulièrement critique, du sénateur Éric Jeansannetas réalisé en mars dernier. Rendu public mardi, le document décrit sur 25 pages les nombreux dysfonctionnements que comporte ce dispositif chéri par Emmanuel Macron. Tout comme le notait déjà son homologue du Palais du Luxembourg, l’auteur du rapport, Jean-Claude Raux, élu écologiste de Loire-Atlantique, appelle une nouvelle fois à « surseoir à la généralisation du SNU », c’est-à-dire à suspendre son exécution.
Une proposition qui n’a pas l’air de changer les plans de l’exécutif. Bien au contraire. Avec la création d’un label « classe et lycée engagé », qui permet d’inscrire le SNU sur temps scolaire, et d’un projet de décret proposant aux élèves de seconde de ne pas faire leur stage obligatoire de fin d’année s’ils réalisent les douze jours de cohésion, le gouvernement opte plutôt pour la voie de la généralisation. À marche forcée, et au détriment, donc, des alertes des parlementaires.
Un dispositif pour les jeunes, organisé… sans eux
Dès sa genèse, explique Jean-Claude Raux, le SNU est « conçu comme purement vertical, destiné à être imposé à la jeunesse, et non construit avec elle ». Le député rappelle que dès l’annonce de ce dispositif, en pleine campagne présidentielle, le leader d’En Marche ne « faisait pas clairement état de son intention d’associer les organisations représentatives de la jeunesse au processus de réflexion ».
Un procédé « inconcevable » et qui perdure encore aujourd’hui, même si la secrétaire d’État, Prisca Thévenot, a annoncé en septembre vouloir mener une « co-construction avec les jeunes ». Le rapport montre le décalage entre les préconisations du groupe de travail créé pour réfléchir à la mise en place du SNU et son application aujourd’hui. Dans leurs conclusions d’avril 2018, les auteurs insistaient sur le fait qu’un « projet donnant à la jeunesse les clefs de son avenir civique ne peut se construire contre elle ou sans elle ». « Il est frappant de constater que [le gouvernement] s’est engagé dans le chemin exactement inverse », cingle Jean-Claude Raux.
Un camouflet adressé aussi aux parlementaires, jamais consultés pour débattre du SNU.
Illustration de cet acharnement : l’évocation, par le chef de l’État, d’un possible référendum pour valider « le projet d’un SNU généralisé – et, selon toute apparence, obligatoire », lors de sa réunion avec les responsables de partis, à Saint-Denis, le 30 août. « La majorité des personnes qui s’exprimeraient lors de la consultation ne seraient pas les premières concernées par le dispositif », explique l’élu, qui « ne saurait approuver une telle démarche ». « Alors que personne ne leur a demandé leur avis avant de lancer l’expérimentation du SNU, [les jeunes] se verraient ainsi imposer celui-ci à la fin du processus », poursuit-il. Un camouflet adressé aussi aux parlementaires, jamais consultés pour débattre du SNU, regrette l’élu.
Coûteux et mal organisé
Le rêve d’Emmanuel Macron de voir toute une classe d’âge réaliser son SNU – soit 800 000 jeunes par an – a un prix : 2 milliards d’euros en année pleine. Un montant confirmé au rapporteur par Prisca Thévenot et la déléguée générale au SNU, la préfète Corine Orzechowski. À titre de comparaison, le seul budget du SNU sur cinq ans avoisine celui du ministère de la Culture pour l’année 2024. C’est dire ce que représente ce dispositif dans la tête du chef de l’État. Et de la place qu’il accorde aux moyens dédiés à la Culture, par la même occasion. Un coût exorbitant qui donne l’occasion à Jean-Claude Raux de s’interroger sur la pertinence d’un telle dépense : « On est en droit de considérer que de telles sommes seraient plus utiles si elles étaient considérées à l’Éducation nationale, au service civique et à l’éducation populaire ».
Pour le député, les problèmes immédiats que poserait la généralisation du SNU sont d’ordre logistiques.
Le député insiste sur les problèmes immédiats que poserait la généralisation du SNU. Ils sont d’ordre logistiques. Le personnel, déjà. Une telle cohorte impose de recruter de très nombreux encadrants, or « notre pays [souffre] depuis plusieurs années [du] manque d’animateurs », explique l’auteur. Le recrutement de ceux engagés dans le SNU depuis 2018 étant « trop souvent placé sous le signe du dévouement et du bricolage », selon les mots de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (Injep), la structure qui évalue le SNU chaque année.
Le manque de formation et les conditions de travail dégradées des encadrants dans les centres s’ajoutent à cette pénurie. Des difficultés qui ne doivent pas être imputées à la sous-direction du SNU, l’instance qui pilote, depuis Paris, l’organisation générale du dispositif. Ses équipes « subissent une montée en charge considérable de leurs missions depuis la mise en place et le déploiement du SNU » et font « tout leur possible pour accueillir les jeunes volontaires ».
Des problèmes d’acheminement et d’hébergement
Deux autres points sont soulignés par Jean-Claude Raux : la question des transports et des bâtiments disponibles. Le prestataire dédié à l’acheminement des jeunes et des encadrants, Travel Planet, a rencontré de nombreuses difficultés cette année, que Politis avait révélées en juin. Une situation qui pousse la déléguée générale au SNU à parler de « déboires » pour évoquer des bus supprimés, des nuits d’hôtel et des VTC payés par le contribuable pour transporter les volontaires jusqu’à leurs centres d’affectation. En ce sens, le rapporteur appelle « le gouvernement à prêter la plus grande attention aux conditions d’exécution du marché public » remporté par Travel Planet. L’entreprise, maintenue pour les transports prévus en 2024, avait remporté un juteux contrat de 120 millions d’euros en début d’année.
La généralisation oblige l’exécutif à trouver des lieux disponibles pour recevoir les participants au SNU.
La généralisation oblige l’exécutif à trouver des lieux disponibles pour recevoir les participants au SNU. L’inscription du séjour de cohésion sur temps scolaire rend impossible l’habituelle réquisition des lycées ou des internats lorsque le SNU se réalisait pendant les vacances. Or, ces lieux représentaient « 40% des lieux d’accueil en 2022 », signale Jean-Claude Raux. Les structures de l’éducation populaire et les collectivités ont certes, des bâtiments disponibles, mais « ils nécessitent des travaux de rénovation importants ».
Un projet « avant tout symbolique »
Si les douze jours de cohésion étaient censés proposer une véritable expérience de mixité sociale, le résultat semble bien éloigné. Seuls 7,4 % des volontaires habitaient dans un quartier prioritaire de la politique de la ville en 2022, et « plus d’un tiers des participants » de l’année 2021 déclaraient que « l’un de leurs parents avait travaillé par le passé dans un corps en uniforme ».
Le SNU est une manière, pour la Macronie, de satisfaire les attentes d’un électorat toujours plus réactionnaire.
Le député s’interroge alors sur l’objectif du SNU : « Il s’agit surtout, en réalité, d’une politique qui se situe au-delà des jeunes – en l’occurrence, qui s’adresse à leurs parents, voire à leurs grands-parents, ainsi qu’à la fraction la plus conservatrice de l’opinion, réputée craindre une jeunesse indisciplinée, et même perçue comme dangereuse, qui devrait donc être encadrée. » Une manière, pour la Macronie, de satisfaire les attentes d’un électorat toujours plus réactionnaire. Au détriment d’une « véritable place à l’éducation populaire ». Et des politiques de jeunesse qui devraient « viser à l’émancipation des jeunes et non à leur ‘domestication’ ».
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