« Perfect Days » : un homme et des lieux

Wim Wenders revient avec un formidable film sur un employé de ménage officiant dans les toilettes publiques de Tokyo, aussi méticuleux que pourvu d’une riche vie intérieure.

Christophe Kantcheff  • 28 novembre 2023 abonné·es
« Perfect Days » : un homme et des lieux
Wim Wenders revient à ces films d’une insigne simplicité, humbles en économie de moyens et sans discours sur l’âme humaine.
© Haut et Court

Perfect Days / Wim Wenders / 1 h 59

Quelle belle surprise Wim Wenders nous a-t-il réservée dans la compétition cannoise cette année ! Comme le phénix, le cinéaste allemand y a semblé renaître de ses cendres. Depuis très longtemps, nous avions perdu la trace du Wim Wenders que nous avions tant aimé. Après Les Ailes du désir (1987), le cinéaste, qui avait pour l’occasion imaginé la venue d’anges sur terre, avait été gagné par un angélisme métaphysique peu inspirant. Et voilà qu’avec Perfect Days, Wenders revient comme à ses plus beaux jours, ceux d’Alice dans les villes (1973) ou d’Au fil du temps (1976), ces films d’une insigne simplicité, humbles en économie de moyens et sans discours sur l’âme humaine, ouvrant cependant sur la profondeur des êtres et l’opacité du monde.

Quoi de plus simple en effet que la vie d’un homme de ménage de toilettes publiques ? Tel est Hirayama (Koji Yakusho), la soixantaine, citoyen de Tokyo vivant seul, dont l’existence est strictement ordonnée par le travail. Tous les jours les mêmes gestes, les mêmes endroits fréquentés, avec le minimum de paroles échangées : Hirayama est un taiseux. Mais grand lecteur de littérature, amoureux des arbres – d’un en particulier, qu’il prend chaque jour en photo lors de sa pause déjeuner –, et amateur de la musique des années 1960 et 1970, celle des Kinks et d’Otis Redding, de Patti Smith et de Van Morrison, dont il possède nombre de cassettes qui, loin d’être des pièces d’antiquité, produisent une sacrée ambiance sonore dans sa petite camionnette (Perfect Day est par ailleurs le titre d’une chanson fameuse de Lou Reed, que l’on entend, bien sûr, dans le film).

Perfect days Wenders

Hiramaya ne fait pas les choses à moitié. Il est impliqué dans son travail d’homme de ménage, aussi socialement dévalorisé soit-il (ce qui n’est pas tout à fait le cas au Japon, comme le révèle le dossier de presse). On découvre, par ailleurs, l’architecture particulièrement soignée des toilettes publiques. Certaines sont même de petits chefs-d’œuvre de design. Wim Wenders, dont l’amour pour le Japon est ancien et qui garde Ozu pour maître – au sujet de qui il a réalisé, il y a longtemps déjà, un documentaire, Tokyo-ga (1985) –, filme avec maestria le Tokyo du quotidien. Celui des voies rapides, des bains publics – plans magnifiques –, des petits restaurants.

Blessures du passé

Progressivement, à quelques entorses de sa routine dues à des rencontres inopinées, se découvre l’épaisseur d’un homme, Hirayama, sa générosité, son attention à l’autre, les traces de blessures du passé, sa conception de l’existence. « Maintenant, c’est maintenant. La prochaine fois, c’est la prochaine fois », dit-il à sa jeune nièce, Niko (Arisa Nakano), qui a fugué pour rendre visite à son oncle. Une formule qui traduit sa façon de s’inscrire exclusivement dans le présent. Pour fuir le souvenir de heurts familiaux, de ruptures encore douloureuses, comme on le devine à voir la scène où sa sœur, d’une classe sociale aisée – le contraste est saisissant –, vient rechercher Niko. Mais aussi parce qu’il a trouvé ainsi une sorte de sagesse qui le comble. Pour ce rôle, Koji Yakusho, formidable comédien vu notamment chez Kore-eda ou Kiyoshi Kurosawa, a décroché à Cannes le prix d’interprétation masculine, amplement mérité.

Perfect Days est une ode au panthéisme citadin.

Perfect Days n’est pas, cependant, un film strictement idéaliste. Hirayama doit faire face à une surcharge de travail quand son coéquipier de ménage démissionne, qu’il refuse d’assumer le lendemain. Alors que sa direction aurait préféré qu’il s’exécute sans broncher, il exige qu’un remplaçant lui soit adjoint. Ces préoccupations n’empêchent pas la disponibilité à l’instant présent. Attentif aux variations de la lumière, aux frissonnements des lueurs et des ombres dans les feuilles des arbres, intimement pénétré par les émotions suscitées par la musique, Hirayama vibre comme une plaque sensible à toutes les beautés essentielles. Perfect Days est une ode au panthéisme citadin.



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Cinéma
Temps de lecture : 4 minutes