« Affaire du 8 décembre » : l’inquiétante condamnation de militants comme terroristes

Au terme d’une audience lunaire ce vendredi, les sept « accusés du 8 décembre » ont été condamnés pour association de malfaiteurs terroriste. Malgré l’absence de projet concret, et au prix d’une jurisprudence dangereuse.

Nadia Sweeny  • 22 décembre 2023
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« Affaire du 8 décembre » : l’inquiétante condamnation de militants comme terroristes
© Omid Armin / Unsplash

Au début, tout semble se dérouler normalement. La salle est bondée, comme d’habitude : les soutiens des sept mis en cause n’ont cessé de grossir les rangs du public, durant les quatre semaines du procès dit de « l’affaire du 8 décembre ». Ils sont accusés d’association de malfaiteurs terroriste, en lien avec l’ultragauche. Il est environ dix heures trente lorsque le tribunal arrive et s’installe. La présidente se met à lire sa décision.

Elle commence par annoncer le rejet de l’ensemble des requêtes faites par les avocats au cours de l’audience, notamment le visionnage des auditions de gardes à vue, en prétendant que les procès-verbaux n’avaient pas été contestés. Or ils l’ont bien été. « On n’a visiblement pas vécu la même audience », commentera Me Raphaël Kempf – l’un des avocats, avec Me Coline Bouillon, de Florian D., le principal mis en cause.

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« Volonté » et « intention »

La présidente entame la lecture de ses motivations. La première sur la constitution de l’association de malfaiteurs terroristes. Elle reprend l’article de loi qui donne une définition – très vague – de ce qu’est le terrorisme. Puis elle explique que, pour le tribunal, les actes des mis en cause « supposent une organisation, une stratégie » qui traduit « de manière univoque leur volonté à plus ou moins long terme de commettre des délits ».

Cette analyse s’applique « sans qu’il soit nécessaire d’avoir de projet, explique la présidente. C’est le rattachement à cette entreprise qui caractérise l’infraction. Il ne s’agit pas de démontrer le projet, mais l’intention de membres de cette association », continue-t-elle pour justifier que, malgré l’absence de projet précis et d’allégeance à un groupe reconnu comme terroriste, le tribunal a considéré que l’association de malfaiteurs terroriste était constituée.

Bien qu’aucun projet ne soit abouti et que les personnes ne se connaissent pas toutes entre elles, une association existe.

La présidente

« Le groupe a fait part de sa volonté à plusieurs reprises de porter atteinte à l’intégrité physique de policiers, explique-t-elle, de s’armer pour la lutte contre ’les chiens de garde’ et ’la violence d’État’ et de constituer une ’milice armée’. » Étonnamment, elle précise que « la police a un rôle particulièrement important dans l’ordre public », pour conclure que « bien qu’aucun projet ne soit abouti et que les personnes ne se connaissent pas toutes entre elles, une association entre ces diverses personnes existe. »

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Au moment où tout le monde comprend que le tribunal considère les mis en cause coupables, la salle s’agace. La présidente, excessivement réactive, demande l’évacuation. Refus collectif de bouger des bancs. À onze heures environ, la magistrate suspend l’audience et s’en va avec ses assesseures. Chahut dans la salle. Les soutiens des mis en cause lancent des invectives : « C’est vous les terroristes », « Vous êtes des immondices ». Des policiers arrivent en nombre et la tension monte soudainement.

« Quatre semaines qui n’ont servi à rien »

Les agents demandent à l’assistance de partir. Nouveau refus collectif. Certains mis en cause s’interposent alors que les cris « Liberté ! » fusent. La gêne des forces de l’ordre est palpable. On les imagine mal sortir tout ce monde, dont quelques personnes âgées, par la force. Camille, seule femme mise en cause, propose de quitter le procès après « quatre semaines qui n’ont servi à rien. Ça ne sert à personne de s’infliger ça », lance-t-elle. Mais Florian, après s’être entretenu avec son avocat, refuse de partir « pour pas être en taule directement cet après-midi » : « Si je sors, ils peuvent alourdir ma condamnation. » Le groupe s’entend pour que ne restent que les proches et la famille.

Vous êtes en train d’imposer une jurisprudence appliquée aux jihadistes à un homme qui a combattu Daech !

Le frère de Camille

« Vous êtes en train d’imposer une jurisprudence appliquée aux jihadistes à un homme qui a combattu Daech ! Retenez bien ça ! », s’écrie le frère de Camille. On ne sait pas encore quelles seront les peines. Mais tout le monde a compris que les mis en cause vont être condamnés. Alors tous défilent auprès des mis en cause et les serrent dans les bras. Des larmes coulent. Une bonne partie de la salle s’en va en chantant « À bas l’État policier ! ». Une quarantaine de personnes restent. On attend le retour du tribunal.

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Plusieurs dizaines de minutes plus tard, l’audience reprend. Mais la présidente n’est pas satisfaite du nombre de personnes présentes. « Choisissez trois personnes chacun et c’est tout », ordonne-t-elle aux mis en cause avant de suspendre une nouvelle fois l’audience. Ils refusent de se plier aux injonctions. Avait-on réellement besoin d’en arriver là ? Nous voilà donc de nouveau dans l’attente. Personne ne quitte la salle. Un policier tente une conciliation : « Vous avez entendu la juge, il ne peut rester que 21 personnes sinon l’audience ne reprendra pas. » En vain.

Extension de la notion de terrorisme à la sphère militante

Au bout de quarante minutes supplémentaires de tergiversations, le tribunal finit par revenir. La magistrate, visiblement très agacée, refuse de continuer de motiver sa décision et annonce les peines de but en blanc. Celles-ci vont de deux ans avec sursis pour Loïc à cinq ans ferme aménageables, dont trente mois de sursis, pour Florian. Les peines des personnes les moins impliquées au dossier (Camille, Manuel) ont été sensiblement relevées par rapport aux réquisitions du parquet, alors que celles des premiers concernés (William, Simon, Florian) ont été réduites.

Les juges disent que le fait d’exprimer un ressentiment à l’égard de l’institution policière pourrait constituer un acte de terrorisme.

R. Kempf

Aucun d’entre eux ne retourne en prison, mais la grande majorité subit une inscription au fichier des auteurs d’infractions terroristes et une interdiction d’entrer en contact les uns avec les autres. Or ces mesures avaient été levées durant le contrôle judiciaire. « C’est inhumain, déclare Me Émilie Bonvarlet, avocate de William. Ils savent qu’avec Bastien, ils sont comme des frères. C’est une mesure qui ne sert à rien. C’est gratuit, ce n’était même pas dans les réquisitions du procureur ! Pourquoi ont-ils fait ça ? »

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Pour Me Raphaël Kempf, la décision dans son ensemble est dangereuse. « Ce jugement signe l’extension à la sphère politique et militante de la notion de terrorisme. Les juges disent que le fait d’exprimer un ressentiment à l’égard de l’institution policière pourrait constituer un acte de terrorisme. Le fait de vouloir s’en prendre à des véhicules de police au cours d’une manifestation peut désormais constituer une intention terroriste. C’est-à-dire que l’intention de commettre des dégradations matérielles au cours d’une manifestation constituera un acte de terrorisme. C’est extrêmement dangereux et contraire au droit. »

Aucune décision d’appel n’a pour le moment été actée, mais nombreux sont les mis en cause qui y songent, quitte à courir le risque d’une décision plus ferme et d’une incarcération à la clé.

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