Cisjordanie, la tentation de la lutte armée

Depuis le 7 octobre, au moins 200 Palestiniens ont été tués par l’armée israélienne et les colons en Cisjordanie occupée. L’Autorité palestinienne, qui contrôle une partie de ces terres fragmentées en coopération avec Israël, est largement décrédibilisée. La population locale se tourne vers la lutte armée.

Inès Gil  • 6 décembre 2023 abonné·es
Cisjordanie, la tentation de la lutte armée
Après un raid israélien dans le camp de réfugiés de Balata, à l’est de Naplouse, le 23 novembre 2023.
© Zain JAAFAR / AFP

Sur l’artère principale de Huwara, les devantures des magasins qui animaient autrefois la bourgade commerciale sont closes. Des chiens errants déambulent d’une poubelle à l’autre dans une atmosphère sinistre. Par moments, des voitures aux plaques d’immatriculation jaunes, israéliennes, déboulent à toute vitesse, en direction des colonies environnantes. Tous les 100 mètres, des soldats israéliens sont postés, à l’affût de la moindre menace et prêts à tirer. Depuis le début de la guerre entre le Hamas et Israël, la ville palestinienne a des airs de cité fantôme. Sauf autorisation expresse, il est interdit aux Palestiniens de circuler sur l’artère principale de leur ville, la route 60, car, aux yeux des autorités israéliennes, des embuscades pourraient y être tendues aux colons de passage.

ZOOM : La colonisation s’intensifie et se radicalise

Alors que le monde a les yeux rivés sur Gaza et sur la frontière avec le Liban, les colons multiplient les attaques violentes, incluant l’usage d’armes à feu, contre les Palestiniens de Cisjordanie. Certains membres du gouvernement, comme Bezalel Smotrich (Parti sioniste religieux) ou Itamar Ben Gvir (Force juive), soutiennent activement ces actions. Le reste de la coalition gouvernementale détourne le regard. À la mi-novembre, les services de renseignement israéliens ont admis qu’au moins 120 cas de crimes de haine anti-palestiniens ont été recensés dans le territoire occupé depuis le 7 octobre. Le nombre pourrait être bien plus élevé, et jusqu’à maintenant aucune instruction judiciaire n’a été lancée dans ces affaires.

En parallèle, selon l’ONG israélienne de défense des droits humains B’Tselem, au moins 150 familles palestiniennes de Cisjordanie, soit plus de 1 000 personnes, ont été expulsées de force. Le 27 novembre, un budget de guerre a été adopté par le gouvernement israélien, prévoyant le redéploiement de plus de 100 millions de dollars supplémentaires en faveur des colonies. Cet amendement est principalement porté par le ministre des Finances d’extrême droite, Bezalel Smotrich. Parmi les projets financés figurent la construction de routes interdites aux Palestiniens ainsi que l’entraînement et l’armement d’unités d’intervention rapide, composées de civils assurant la garde des colonies.

Contrairement aux grandes villes palestiniennes de la zone A, théoriquement contrôlées par l’Autorité palestinienne, Huwara, au nord de la Cisjordanie, est située en zones B et C, sous contrôle israélien. Non loin, sur la cime d’un coteau, la colonie Yitzhar, une des plus radicales de Cisjordanie, domine les lieux. Depuis le début de la guerre, plusieurs raids ont été menés par des colons pour s’en prendre aux Palestiniens de Huwara. Selon le maire de la ville, Moeen Dmeidi, la population locale est sans défense : « Si nous avons des problèmes, la police palestinienne ne peut pas venir. Quand les colons attaquent, l’armée les défend. Sur qui pouvons-nous compter ? »

Si nous avons des problèmes, la police palestinienne ne peut pas venir. Quand les colons attaquent, l’armée les défend.

M. Dmeidi

Au deuxième étage d’un immeuble, Ramzy et sa fille Musk sortent timidement sur leur balcon. Habitants de Huwara, ils vivent reclus chez eux depuis plusieurs semaines : « Je suis mécanicien, j’avais un garage à quelques mètres, mais les Israéliens ne nous laissent pas travailler. Avec ma fille, nous vivons sur mes minces économies. » À Huwara comme dans le reste de la Cisjordanie, la violence de l’occupation se déchaîne contre les Palestiniens depuis le début de la guerre. Les déplacements sont fortement restreints, avec la fermeture régulière des routes par l’armée et les expulsions de familles palestiniennes, tandis que les attaques des colons, soutenus et protégés par Israël, explosent. En parallèle, la répression se durcit. Environ 3 260 Palestiniens ont été arrêtés par l’armée israélienne depuis le 7 octobre, selon le Club des prisonniers palestiniens. Envahis par la peur et la colère, les Palestiniens soutiennent davantage le recours aux armes.

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« Fatah, redeviens ce que tu étais ! Un groupe de combattants ! » Sur le rond-point Arafat de Ramallah, des dizaines de manifestants avancent, poings levés. Partis de la place Mandela dans les faubourgs de la ville, ils sont mobilisés contre les bombardements israéliens à Gaza. Mais, au fil de la marche, les attaques verbales contre l’Autorité palestinienne, dominée par le Fatah, se multiplient. Depuis le début de la guerre, le parti au pouvoir en Cisjordanie est poussé par sa base à renouer avec la lutte armée et à se réconcilier avec le Hamas. Les louanges à l’opération du Hamas résonnent dans la rue : « Nous venons du “Déluge d’Al-Aqsa” [attaque du 7 octobre] pour libérer Masra [terre du prophète Mohammed quand il se rend aux cieux depuis Jérusalem] ! »

Dans la foule, Andrea, habitant de Ramallah, brandit un drapeau palestinien : « Je suis chrétien, mais je soutiens le Hamas ! » Place Manara, au centre-ville, où la police palestinienne est fortement implantée, le groupe se disperse rapidement. Les protestataires craignent d’être arrêtés. En Cisjordanie, dans le cadre de la coopération sécuritaire avec Israël, la police emprisonne régulièrement des soutiens présumés du Hamas. Corrompu, autoritaire, Mahmoud Abbas est honni par les Palestiniens. Sa connivence avec les autorités israéliennes est au cœur des critiques, et sa stratégie, qui vise à miser non pas sur la lutte armée mais sur le droit international pour combattre l’occupation, est perçue comme un échec par la population locale.

Des combats réguliers

« Un martyr est mort à Balata ! » Dans les rues de Naplouse, la nouvelle se diffuse comme une traînée de poudre. Depuis le début de la guerre, le camp de réfugiés de Balata, situé aux abords de la ville, est le théâtre de combats réguliers entre, d’un côté, les forces d’occupation israéliennes et, de l’autre, des combattants palestiniens à l’affiliation idéologique souvent floue. Des affrontements similaires éclatent aussi quotidiennement dans le camp de Jénine, au nord. « Quel que soit le groupe, Hamas, Fatah, Fosse aux lions, si vous prenez les armes contre Israël, vous allez obtenir le soutien populaire », assure Firas, qui tient un magasin de tabac dans le souk. À l’automne 2022, c’est ici, dans la vieille ville de Naplouse, que les combattants palestiniens de la Fosse aux lions ont affronté les soldats israéliens avant d’être tués. Ils étaient largement soutenus par la population ­palestinienne.

Sur le même sujet : Comment Israël a joué les apprentis sorciers avec le Hamas

Depuis le 7 octobre, le Hamas apparaît pour certains Palestiniens de Cisjordanie comme incarnant le mieux la lutte armée. « Je ne dis pas que ce qu’ils ont fait est bien, mais au moins ils ont tenté de changer le rapport de force avec Israël », confie Hanna, habitante de Naplouse, qui poursuit : « Nous n’avons aucune perspective et nous n’avons pas le droit de faire bouger les choses, même de manière pacifique. J’ai 30 ans, et je n’ai jamais pu voter, par exemple. » En mai 2021, des élections législatives palestiniennes devaient être organisées en Cisjordanie, mais elles ont été annulées. Le raïs Abbas, dont le maintien au pouvoir est soutenu par Israël, craint alors une déroute électorale. Selon un sondage publié par le Centre palestinien de recherche sur les politiques et les sondages (PCPSR), 78 % des Palestiniens demandent sa démission.

Tant qu’il y aura du désespoir, des jeunes prendront les armes en Palestine. Et aujourd’hui, le désespoir est grand.

Firas

« Dans ce contexte, nous avons le sentiment que le recours aux armes est la seule solution, c’est normal », ajoute Hanna. Cependant, malgré les critiques, l’Autorité palestinienne reste encore solidement implantée en Cisjordanie. Plus de 200 000 personnes, soit 21 % de la population locale, sont fonctionnaires et dépendent d’elle pour survivre. Le reste de la population, investie dans le commerce et le tourisme, est en quête de stabilité. Tous ne sont pas prêts à replonger dans le chaos de la guerre. « Nous voulons la paix, affirme Firas, mais nous voulons aussi vivre en sécurité. Et cela, les Israéliens ne nous le permettent pas. Tant qu’il y aura du désespoir, des jeunes prendront les armes en Palestine. Et aujourd’hui, le désespoir est grand. »

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