Comment l’association Banlieues climat fait vivre l’écologie populaire

La structure bouscule les codes militants et politiques habituels afin que les jeunes des quartiers défavorisés se réapproprient les sujets liés à l’environnement.

Vanina Delmas  • 13 décembre 2023 libéré
Comment l’association Banlieues climat fait vivre l’écologie populaire
© Féris Barkat

Et si les jeunes des quartiers populaires étaient les meilleurs alliés de la lutte contre le changement climatique ? C’est le pari audacieux mais pertinent qu’a fait l’association Banlieues climat, sous l’impulsion de Féris Barkat, Strasbourgeois de 21 ans. Il reconnaît que les marches et les grèves des jeunes pour le climat ne lui parlaient pas à l’époque. Mais un premier déclic a lieu lorsqu’il entend parler de changement climatique lors d’un cours de philo en terminale. Puis, lors de ses études à la prestigieuse London School of Economics, il vit un « moment de bascule » lié à ses multiples lectures sur le sujet, l’état de santé de sa mère qui se dégrade et son sentiment de devoir agir maintenant contre les inégalités climatiques.

Notre quotidien est entièrement lié à l’écologie. Les habitants des quartiers populaires sont les plus exposés.

F. Berkat

À l’automne 2022, il cofonde l’association Banlieues climat avec Sanaa Saitouli, cofondatrice du collectif citoyen Cergy demain, Abdelaali El Badaoui, fondateur de Banlieues santé, et le rappeur Youssef Soukouna, alias Sefyu. L’objectif : former les jeunes des quartiers populaires aux enjeux environnementaux, leur montrer que l’écologie les concerne et qu’elle possède un immense pouvoir d’émancipation. « Beaucoup de concepts présentés comme de l’écologie – la décarbonation, la disparition des ours polaires ou les déchets – ne reflètent pas les inégalités qu’on subit dans nos quartiers. En réalité, notre quotidien est entièrement lié à l’écologie puisque, par rapport à la qualité de l’alimentation ou à la pollution de l’air, par exemple, les habitants des quartiers populaires sont les plus exposés », décrit Féris Barkat. « Fin du monde, fin du mois, même combat » n’est pas qu’un slogan mais bien une réalité pour des milliers de personnes.

Permettre d’être informé et de se sentir légitime à parler de tels sujets : là sont les priorités de l’association. Mais cela n’a rien d’évident, car la plupart de ces jeunes de 16 à 25 ans estiment que les sujets liés à l’écologie et au climat sont réservés aux élites. « Cette barrière est due à un système éducatif méritocratique qui laisse penser que les sujets un peu techniques ne sont pas pour nous. On a comblé cette faille », commente Féris Barkat.

Ainsi, l’association propose des formations de huit heures aux enjeux environnementaux, mais aussi un accompagnement sur le long terme pour inciter les participants à sensibiliser à leur tour d’autres personnes. « Le problème ne vient pas du message, mais plutôt du contexte, du format et du moment auquel on le fait passer. Si ce n’est qu’un spot publicitaire entre deux émissions de télé pour nous dire d’éteindre les lumières et de baisser le chauffage, sans expliquer pourquoi, ça ne nous parlera pas du tout », ajoute Axel Francke, 21 ans, un des coordinateurs de l’association à Strasbourg.

Mangas, foot et rap

Lors des formations, Féris Barkat passe en revue les rapports du Giec sur le climat, de la Plateforme intergouvernementale Ipbes sur la biodiversité, aborde des sujets scientifiques comme les boucles de rétroaction ou le dégel du permafrost à l’aide d’images marquantes et d’un discours ponctué de références que les jeunes peuvent comprendre : les mangas comme One Piece ou Naruto, les films d’animation japonais d’Hayao Miyazaki ou encore des rappeurs comme Zamdane. « Dans sa chanson “Poussière”, il écrit “J’ai poussé sur le béton / comment tu veux que j’connaisse l’éclosion ?” Forcément, ça nous parle », glisse le jeune homme naturellement.

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Parmi les sujets qui leur parlent, il y a le sport et plus particulièrement le foot. Banlieues climat a récemment lancé le Dribble vert challenge : un relais en équipe chronométré sur un parcours ponctué d’obstacles et d’images liées à des questions environnementales. À la fin, des secondes sont gagnées s’ils répondent correctement au questionnaire. Ludique et pédagogique. « Et il y a une cohérence sur le fond car, que ce soit l’écologie ou le sport, cela agit pour la santé de tout le monde, précise Axel Francke, ancien footballeur professionnel à Nancy, et désormais en charge de ces ateliers. On espère pouvoir développer ces liens avec des clubs de foot pro, au niveau national, et faire bouger les choses chez les sportifs aussi », ajoute-t-il, en référence aux déplacements en jet privé des joueurs du PSG. L’opération Dribble vert challenge a connu un petit buzz en octobre, quand François Hollande est venu à Strasbourg taper la balle – en costume et chaussures de ville – au pied des immeubles du quartier Koenigshoffen, d’où est originaire Féris.

Je qualifie notre posture d’insolence politique.

F. Berkat

En un an d’existence, Banlieues climat a touché des centaines de jeunes : deux promos ont été formées à Strasbourg, une à Bagnolet, une à Cergy et une aux Mureaux, un séjour de déconnexion a été organisé à la montagne avec l’association Yambi (photo), des ateliers climat ont eu lieu dans des écoles primaires, des partenariats ont été signés avec des collectivités comme Montpellier. « Grâce à tous ces ateliers, nous parvenons à mettre ces jeunes en valeur, à leur faire reprendre confiance en eux, notamment lorsqu’ils sont déscolarisés. On leur montre qu’ils peuvent apprendre des choses et réussir même s’ils n’entrent pas dans le moule de l’Éducation nationale. Et peut-être qu’ils trouveront leur voie vers les métiers de la transition écologique », témoigne Axel.

Ne rien s’interdire

L’un des credo de l’association : ne rien s’interdire, ne pas s’autocensurer. Féris Barkat assume de parler autant aux jeunes et aux mères des quartiers qu’à la militante Camille Étienne ou aux ministres. En janvier 2023, lors de la première édition des Rencontres jeunesse de Matignon dédiées à l’écologie, le vingtenaire proposait à la Première ministre des formations certifiées sur l’environnement qui permettraient à des jeunes ayant des difficultés scolaires de revenir sur le marché du travail par ce biais. Six mois plus tard, Banlieues climat signait une convention avec la ministre de l’Enseignement supérieur, Sylvie Retailleau, instaurant un diplôme écologique pour les quartiers populaires.

Pour Féris Barkat, il n’y a aucun risque de récupération : « Nous sommes obligés de passer par cette forme d’institutionnalisation afin de faire valider des politiques publiques qui servent nos combats. Mais je qualifie notre posture d’insolence politique : nous leur montrons que nous sommes capables de maîtriser leurs codes, mais que nous refusons volontairement de les utiliser selon leurs règles. Dans tous les cas, on avancera, avec ou sans les politiques ! » Une ambition et une efficacité enfin à la hauteur de l’urgence climatique.

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Écologie
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