Coup de jeune à la CGT

La « bataille des retraites » a redoré le blason des syndicats, suscitant des adhésions dans la nouvelle génération. Un sang neuf sur lequel compte bien s’appuyer, pour l’avenir, la confédération désormais dirigée par Sophie Binet.

Pierre Jequier-Zalc  • 12 décembre 2023 abonnés
Coup de jeune à la CGT
Manifestation contre la réforme des retraites, à Paris, le 9 mars 2023.
© Maxime Sirvins

D’un sexagénaire moustachu à une femme – la première de l’histoire ! – de 41 ans. Le passage de relais entre Philippe Martinez et Sophie Binet à la tête de la CGT illustre, à lui seul, le coup de jeune qu’a pris le deuxième plus important syndicat du pays. Outre ce turnover, s’est déroulé à l’hiver et au printemps dernier le plus grand mouvement social du XXIe siècle. La mobilisation contre la réforme des retraites a mis au centre du jeu des syndicats soudés et combatifs. « Durant ce mouvement, on a eu une intersyndicale crédible et légitime dans l’espace public », notait par exemple le sociologue Karel Yon dans nos colonnes début octobre.

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Une crédibilité qui a redoré le blason d’organisations marginalisées par le pouvoir en place ; une légitimité qui a poussé des dizaines de milliers de travailleurs à rejoindre leurs rangs. À la CGT, on estime que plus de 40 000 personnes ont pris leur carte grâce à la bataille des retraites. Et parmi elles, de nombreux jeunes. « Nous n’avons pas encore quantifié précisément la part des moins de 30 ans dans cette masse d’adhérents, mais on peut déjà dire qu’il y en a énormément », assure Nawel Benchlikha, membre de la commission exécutive confédérale, en charge de l’activité jeunes.

Durant la bataille des retraites, j’ai vu que les syndicats étaient à la pointe de la contestation et surtout de l’action.

Arsène.

C’est le cas d’Arsène, 24 ans, tout jeune entrant sur le marché du travail dans l’ingénierie informatique. « Durant la bataille des retraites, j’ai vu que les syndicats étaient à la pointe de la contestation et surtout de l’action », explique-t-il. Sans syndicat dans son entreprise, le jeune homme profite des journées de mobilisation interprofessionnelle appelées par l’intersyndicale pour se déclarer en grève, seul ou presque. « Je suivais ces journées d’action, car j’ai compris que c’était ce qui permettait de faire bouger les choses, poursuit Arsène. J’ai admiré l’efficacité de l’intersyndicale, ça m’a donné envie de faire vivre cela, de renforcer le syndicalisme. » Une visite sur le site de la CGT, un choix « sans hésitation » pour « l’organisation progressiste de référence », et le voilà adhérent. Six mois plus tard, il a créé une liste CGT et est élu au sein du CSE de son entreprise.

Casquette à paillettes et « CGTeuf »

Le regain d’intérêt des entrants dans la vie active pour la centrale syndicale s’explique notamment par une communication davantage dirigée vers ce public. La casquette à paillettes, la chanson « On est la CGT » ou encore des émissions régulières sur Twitch : autant de buzz issus d’une stratégie axée sur la conquête de travailleurs plus jeunes. « C’est aussi une caractéristique de la jeunesse : s’attacher à embrasser de nouvelles formes de militantisme. Faire de la communication, de la pédagogie, des formats adaptés aux jeunes : comment on fait grève ? Pourquoi on se met en grève ? Mais cela, sans rien lâcher sur le fond », analyse Manon Amirshahi, jeune secrétaire générale de la CGT des collaborateurs parlementaires.

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Une stratégie qui s’est révélée payante : depuis la réforme des retraites, le collectif jeunes diplômés de l’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens (Ugict)-CGT a plus que doublé le nombre de ses membres. « Le syndicalisme, c’est un travail sur le temps long pour se battre pour nos droits et en acquérir de meilleurs. Mais il ne faut pas pour autant le voir comme quelque chose de chiant », note André Le ­Chuiton, à la tête de ce collectif. Ainsi, pour sortir de cette image d’un syndicalisme parfois assommant fait de paperasse et de réunions interminables, le collectif a organisé en juin dernier la première « CGTeuf », une manière de réinventer des modes de mobilisation plus joyeux. « Cela ne nous a pas empêchés de chanter l’Internationale, mais avec des paillettes sur les joues ! », précise Manon Amirshahi en riant.

Agenda revendicatif

Six mois après le passage en force de la réforme des retraites, l’organisation syndicale compte s’appuyer sur ce sang frais pour redoubler d’énergie dans les combats menés. Le syndicat souhaite organiser des assises de la jeunesse fin 2024, notamment pour dresser un agenda revendicatif répondant aux nombreuses problématiques d’une jeunesse toujours plus précarisée. Malgré cette ambition, le travail reste colossal. En 2019, la CGT estimait que seuls 5 % de ses adhérents avaient moins de 30 ans. Dans les quartiers populaires, par exemple, les jeunes ne se tournent que peu vers les organisations syndicales. Kamel Brahmi, secrétaire général de la CGT 93, l’a bien mesuré lorsqu’il est récemment intervenu dans un lycée à Stains (Seine-Saint-Denis).

Se syndiquer, c’est casser le fatalisme et la victimisation.

K. Brahmi

« Les élèves m’ont posé des questions très terre à terre. C’est quoi un syndicat ? Pourquoi les choses ne changent pas malgré les manifestations ? On sentait qu’il y avait un déficit de connaissance vis-à-vis de notre rôle dans la société. » Pourtant, pour lui, c’est bien par l’organisation collective que ces jeunes réussiront à obtenir de meilleurs droits. Il conclut : « Se syndiquer, c’est casser le fatalisme et la victimisation. Notre rôle à la CGT, c’est de créer des militants combattants. Et pour ça, il faut s’organiser. Les jeunes commencent à saisir cela. »

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Société
Publié dans le dossier
Une jeunesse qui s'organise
Temps de lecture : 5 minutes

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