Européennes : à gauche, les derniers espoirs d’une liste unitaire
La France insoumise espère que le combat commun mené contre la loi immigration puisse inspirer les gauches à fusionner pour le scrutin de juin 2024. Mais socialistes, écologistes et communistes estiment que l’alliance doit se mettre en ordre de marche pour 2027.
Les stratégies sont fixées, les calendriers décidés, les programmes arrêtés. Dans les états-majors de toutes les gauches, le sujet d’une liste unique pour les européennes n’est plus un sujet de discussion. Et ce, depuis de nombreuses semaines. Écologistes, communistes et socialistes partiront dans leur coin. Même les insoumis, premiers défenseurs de l’union à chaque élection, ont bien été obligés de le reconnaître dans le texte stratégique adopté lors de leur dernière assemblée représentative le 16 décembre. Mais en ce moment, certains repensent à l’hypothèse d’une liste unitaire. La raison ? Face à la loi immigration, toutes les gauches ont fait bloc.
Tribunes publiées dans la presse, meetings, motion de rejet : la gauche a semblé avoir oublié la fracture provoquée par la position des LFI sur les attaques du Hamas en octobre et les tweets à répétition de Jean-Luc Mélenchon. L’adoption le 19 décembre par le Parlement de ce texte ultra droitisé en commission mixte paritaire (CMP) aurait pu fermer la parenthèse unitaire. Le contraire s’est produit. Toutes les gauches ont continué d’occuper le terrain médiatique pour partager en substance la même analyse : les droites se sont coalisées et Emmanuel Macron a permis une « victoire idéologique » à Marine Le Pen.
Grandes manœuvres et brèche ouverte
Pour les insoumis, la séquence qui s’est jouée est capitale pour construire le bloc de gauche qui fera face au mur de la droite radicale en 2027. « À l’heure où le macronisme reprend les mots de l’extrême droite au point où on se demande si Jordan Bardella n’est pas en train de prendre les rênes de Matignon, nous avons besoin d’un sursaut des humanistes », estime l’eurodéputée LFI Manon Aubry. Les troupes de Jean-Luc Mélenchon prédisent depuis 2017 l’effondrement de ce « bloc central » incarné par Emmanuel Macron. Selon eux, ce moment est peut-être venu. Alors ils ont relancé les grandes manœuvres.
À l’heure où le macronisme reprend les mots de l’extrême droite, nous avons besoin d’un sursaut des humanistes.
M. Aubry
Dans la soirée de l’adoption de la loi immigration, Manuel Bompard, le coordinateur de l’appareil, envoie un courrier adressé au Parti socialiste, à Génération.s, aux Écologistes (ex-EELV) et au Parti communiste. « Je vous propose de nous réunir en urgence dans les prochaines heures pour […] discuter des moyens de faire avancer l’alternative à la coalition des droites sur les positions de l’extrême droite », écrit-il. Contacté, Bompard affirme n’avoir eu aucune réponse pour le moment. Le 20 décembre, 15 associations et 13 partis de gauche comprenant toutes les formations de la Nupes écrivent une lettre exhortant Emmanuel Macron à ne pas promulguer cette loi. Le 21 décembre, des figures de toutes les composantes de la Nupes signent un texte similaire dans L’Humanité. La brèche est ouverte.
Mais pour le moment, les communistes portés par l’ex-patron de leur organisation de jeunesse, Léon Deffontaines, n’espèrent pas plus qu’un deal avec la Fédération de la gauche républicaine, une galaxie de micro-formations comme l’Engagement d’Arnaud Montebourg ou la Gauche républicaine et socialiste de Marie-Noëlle Lienemann et Emmanuel Maurel. Côté socialistes – en négociation avec Place publique et Raphaël Glucksmann -, aucun changement de stratégie n’est prévu. « Les données qui ont conduit à des listes séparées sont inchangées », balaye Laurent Baumel, conseiller du Premier secrétaire du PS, Olivier Faure. Quant aux écolos, ils souhaitent simplement signer le pacte de non-agression voulu par leur tête de liste, l’eurodéputée Marie Toussaint.
« Les insoumis connaissent notre position qui n’a pas changé », évacue Olivier Bertrand, chargé des relations extérieures pour le parti. Et Génération.s devrait trancher sur son rôle au début du mois de février. « Mais à chaque initiative unitaire, on sera au rendez-vous. L’union, c’est notre ligne, précise Romain Jehanin, porte-parole du mouvement. On ne doit pas attendre l’après-européennes pour se retrouver. On assiste à une progression idéologique et électorale de l’extrême droite. C’est le moment de mettre un terme aux polémiques et de se rassembler. »
Panique et plan B
Néanmoins, les insoumis restent convaincus que les gauches se sont trop rapprochées à l’Assemblée nationale pour finalement s’ignorer. Certains espèrent même que les gauches pourraient signer un accord en paniquant devant les sondages plaçant le Rassemblement national très haut (31 %, selon Odoxa, 28 %, selon Ipsos et Sopra Steria, 27%, selon Opinionway-Vae Solis). Dans ces indications d’intentions de vote, la France insoumise perd par ailleurs du terrain sur ses partenaires écologistes et socialistes. « La séquence devrait faire réfléchir », confie Manon Aubry qui veut à tout prix changer le récit au soir de l’élection et montrer que la gauche rassemblée peut faire jeu égal avec l’extrême droite. Ou même être la surprise de ce scrutin.
Mais en l’état, les listes de gauche arriveraient loin derrière la liste de Jordan Bardella et celle conduite par le camp d’Emmanuel Macron. Si ce plan A ne se réalise pas d’ici mi-mars, lorsqu’ils lanceront officiellement leur campagne, les têtes pensantes de LFI ont un plan B. En misant sur des alliances avec certaines organisations et l’intégration de personnalités politiques individuelles ou d’intellectuels dans leur liste, les insoumis espèrent créer une dynamique unitaire.
Le plus important est de tout faire pour unir la gauche.
J. Cagé
Pour ce premier point, une rencontre a eu lieu entre l’état-major de LFI et la scission du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) de Philippe Poutou et Olivier Besancenot il y a quelques jours, selon les informations de Politis. « Les échanges doivent se poursuivre », glisse Christine Poupin, porte-parole de ce fractionnement du NPA. Du côté des débauchages, l’économiste Julia Cagé serait une option envisagée. Contactée, l’autrice de Une histoire du conflit politique (Seuil, 2023), qui a travaillé auprès de Benoît Hamon en 2016, confirme que « cette possibilité a été évoquée » même si elle affirme que « le plus important est de tout faire pour unir la gauche ».
Les insoumis comptent donc porter le programme de la Nupes pour faire bouger les lignes. « Il y avait un volet européen dans notre programme signé en 2022. Et on le défendra même si les autres formations ne sont pas avec nous. On dit que tous ceux qui s’y retrouvent pourront venir faire campagne à nos côtés », lance l’eurodéputée LFI Leïla Chaibi. En clair, l’union hors des partis officiels. Idée folle ou dernier espoir ?
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