Face aux problématiques des jeunes, l’imposture des influenceurs réacs
Si les nouvelles égéries numériques de la droite radicale ont fait des féministes, de la transidentité ou des militants de gauche leurs cibles privilégiées, les principales préoccupations de leurs congénères, comme la précarité ou l’écologie, sont rarement évoquées.
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Dans le jeu vidéo, l’âpre combat féministe Comment les jeunes bousculent leurs parents sur la transidentité Génération MeToo : peut-on vraiment parler de révolution amoureuse ?Après l’oncle gênant, le jeune réac. Le traditionnel « C’était mieux avant ! » des fêtes de fin d’année n’est plus l’apanage des cheveux blancs en bout de table. Mais celui du dégradé chirurgical et assumé autour des oreilles. Terminé, les soixante-huitards désabusés ! Place aux tout juste bacheliers biberonnés aux discours d’un fringant Jordan Bardella. À l’instar du plus jeune président du RN, seulement 28 ans au compteur, une nouvelle génération réactionnaire insuffle son idéologie. Sa vision du monde. Avec l’extrême-droitisation de la société, c’est quartier libre pour cette jeunesse en guerre contre les « wokistes ». Son flanc le plus radical se rassemble sans se cacher, comme à Paris et à Bordeaux, le 1er décembre, ou à Romans-sur-Isère, après la mort du jeune Thomas, le 25 novembre. Et n’hésite pas, parmi les plus violents, à tendre le bras droit ou à sortir les gants coqués.
L’image du jeune contestataire forcément de gauche est écornée depuis longtemps. Un rapide tour des réseaux sociaux le démontre rapidement. Place au racisme décomplexé et au virilisme droit dans ses bottes. Le Haut Conseil à l’égalité (HCE) entre les femmes et les hommes le pointait déjà clairement en début d’année. Dans son rapport de 2023, le HCE alertait sur « un ancrage plus important des clichés “masculinistes” et une plus grande affirmation d’une “masculinité hégémonique” parmi les hommes de moins de 35 ans ». Pour lui, la promotion d’un « mouvement social conservateur ou réactionnaire qui prétend que les hommes souffrent d’une crise identitaire parce que les femmes en général, et les féministes en particulier, dominent la société et ses institutions » se répand comme une traînée de poudre. Après #MeToo, c’est la lame de fond patriarcale qui sape les tentatives d’émancipation. Et avec elle, ses vagues de harcèlement en ligne, notamment contre les féministes et les minorités de genre.
Sur YouTube, les Valek, Stéphane Édouard et autres Bruno Le Salé sont des militants qui cumulent des millions de vues. Au moyen de montages vifs et colorés, réutilisant des codes déjà anciens de cette plateforme, ils dissèquent l’actualité, s’engouffrent dans la pop culture. Ils vantent les attitudes à avoir « pour être respecté par sa copine » ou pour « lutter contre la démolition des hommes ». Des tutoriels accessibles à tous, mais qui n’évoquent jamais frontalement certains sujets, comme la santé mentale des jeunes. Pourtant, en 2021, les 18-24 ans étaient 20,8 % à être concernés par la dépression, contre 11,7 % en 2017. Pour cette tranche d’âge, les recours aux soins d’urgence pour troubles de l’humeur, idées et gestes suicidaires ont « fortement augmenté » depuis 2020, indique Santé publique France.
« Savoir-vivre »
En ligne, l’extrême droite a ses angles morts. Outre la santé mentale, la précarité des jeunes. Pourtant, « le taux de précarité des 15-24 ans est passé de 17 % en 1982 à 54 % en 2018 », rappellent Yaëlle Amsellem-Mainguy et Laurent Lardeux dans Générations désenchantées ? Jeunes et démocratie (La Documentation française, 2021). « La fragilité du marché du travail freine toute possibilité de projection à moyen ou long terme », poursuivent les universitaires. Une dégradation ancrée des conditions de vie que les réactionnaires n’abordent pas, ou très peu.
Les voix de la droite radicale ne cherchent pas à examiner en profondeur les difficultés auxquelles font face les jeunes.
B. Tainturier
L’idée est surtout de rester en surface. De ne jamais creuser les causes structurelles de certains problèmes, aussi massifs soient-ils. « Les voix de la droite radicale ne cherchent pas à examiner en profondeur les difficultés auxquelles font face les jeunes », explique Benjamin Tainturier, chercheur au Médialab de Sciences Po et spécialiste de l’extrême droite en ligne. D’où l’absence de vidéos sur les difficultés à trouver un travail, à se loger ou à s’alimenter – alors que ces questions représentent la première préoccupation des 15-25 ans, selon plusieurs études. « Pour [ces voix], ces difficultés ne sont pas le résultat de manquements de l’État ou de dérives du système économique. Mais plutôt des causes individuelles : ‘Si tu n’arrives pas à trouver un boulot, c’est que tu ne le mérites pas, c’est que tu ne fais rien pour’ », analyse l’universitaire.
Sur le créneau de l’intime, de la « bonne attitude » à avoir, la droite radicale a trouvé une plateforme idéale : Spotify. On y trouve les podcasts du viriliste Raptor, parti de YouTube pour cette plateforme que l’Arcom ne contrôle pas. Tout comme ceux de Papacito, appelés « Burger Ring », qui instrumentalisent le savoir-vivre pour en faire un objet identitaire. Le fait que les deux influenceurs d’extrême droite les plus suivis aient quitté la plateforme de vidéos cette année n’est pas un hasard : YouTube commence à prendre des mesures de plus en plus fermes contre les contenus jugés extrémistes. Mais il y a toujours de nouvelles voies qui s’ouvrent, en France ou ailleurs. Le viriliste Baptiste Marchais, qui a migré au Texas, appelle ses fans à rejoindre Patreon, un site de financement participatif. Le suprémaciste Daniel Conversano, lui, est parti en Europe de l’Est.
Alors qu’elle était surtout investie par les minorités comme étant un espace safe, la plateforme Spotify est devenue au fil des mois un repaire pour la fachosphère en quête de territoires incontrôlés. On y trouve, par exemple, Livre noir, le média d’extrême droite fondé en 2021 par Erik Tegnér, 30 ans cette année. Livre noir explore les thèmes habituels de l’extrême droite, comme l’immigration ou la sécurité, mais donne aussi la parole à des militants produisant des discours sur l’intime. C’était notamment le cas le 12 novembre avec Thaïs d’Escufon, ancienne porte-parole de Génération identitaire reconvertie en experte autoproclamée des relations hommes-femmes, tendance misogyne et masculiniste. Un contenu dont raffolent les incels (pour involuntary celibate, célibataire involontaire), ces communautés d’hommes hétérosexuels rassemblées autour de leur ressentiment contre les femmes et les minorités de genre.
« Dans leur éveil politique, certains jeunes vont voir sur jeuxvideo.com ou sur YouTube des contenus liés à la musculation, aux sports de combat, à la gastronomie, aux arts de vivre et à la culture française, qui vont vite renvoyer vers des contenus promus par la droite radicale pour remporter la bataille culturelle », explique Benjamin Tainturier. Un mielleux discours de haine aux allures pédagogiques qui convient parfaitement aux algorithmes des réseaux sociaux. Une « bataille culturelle » dans laquelle la gauche reste peu audible.