« Il faut revenir » : dans les filets de Beyrouth

Dans son premier roman, Hala Moughanie dessine, à travers le passionnant portrait d’une jeune femme de retour dans son Liban natal, les violences et les beautés ainsi que les contradictions de ce pays.

Anaïs Heluin  • 6 décembre 2023 abonnés
« Il faut revenir » : dans les filets de Beyrouth
© Maxime Guy / Unsplash

Il faut revenir / Hala Moughanie / Éditions Project’îles / 284 pages, 17 euros.

« Beyrouth est la ville éphémère. » Bruxelles, au contraire, est « rassurante car prévisible ». C’est une « ville sans temporalité, comme toutes les villes européennes, où toutes les routes sont droites depuis des siècles ». Les deux capitales ainsi décrites par la Libanaise Hala Moughanie dans Il faut revenir, son premier roman publié aux éditions Project’îles – elle n’avait jusque-là écrit que du théâtre –, sont les deux pôles entre lesquels oscille Lila. Comme bien des protagonistes d’œuvres réalisées par des artistes originaires de pays que ses habitants quittent en nombre, l’héroïne de ce livre grandit entre deux cultures. Et, arrivée à l’âge adulte, elle ressent le besoin d’un retour au pays natal.

Hala Moughanie Il faut revenir

La romancière parvient à creuser ce motif littéraire récurrent du retour, fréquent dans les littératures postcoloniales, et à en faire le fondement d’une plongée très riche, à l’écart de tout cliché, dans l’histoire du Liban des années 1990 jusqu’au début des années 2020. Sa réussite tient beaucoup à la grande précision qu’elle déploie dans la description des deux villes, et à la relation complexe et mouvante que Lila entretient avec chacune. C’est d’ailleurs essentiellement le double rapport à ces lieux qui fait la personnalité de la jeune femme et détermine son parcours, qui lui aussi déjoue les attentes. Si Il faut revenir s’annonce comme un récit initiatique lorsque Lila vient s’installer au début du nouveau millénaire au Liban, que ses parents ont quitté avec elle en pleine guerre civile en 1989, il ne tarde pas à changer de ­trajectoire.

Les rencontres que fait la jeune femme dans Beyrouth éloignent vite la fiction du schéma bien connu de l’apprentissage.

Le travail précaire qu’elle déniche en tant que journaliste dans un titre francophone libanais dont le lectorat diminue à vue d’œil et les rencontres que fait la jeune femme dans Beyrouth éloignent vite la fiction du schéma bien connu de l’apprentissage. Le personnage a beau s’instruire au fil de son parcours, il ne cesse d’être perturbé par celles et ceux qu’elle découvre dans la ville, parmi lesquels un libraire mystérieux, qui perd au fur et à mesure ses idéaux aux accents communistes. L’assassinat de l’ancien premier ministre Rafic Hariri en 2005 et la crise qui s’ensuit assombrissent l’errance de Lila, qui est une sorte d’Alice au « pays de tous les (im)possibles ».


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Littérature
Temps de lecture : 2 minutes