Israël-Palestine : puissance et impuissance américaine
Pour retenir le bras meurtrier d’Israël à Gaza et en Cisjordanie, l’administration Biden ne fait pas rien, mais elle fait trop peu. Tout le monde sait ce qu’il faudrait : frapper Israël au portefeuille. Et, plus radical encore, stopper l’aide militaire.
Tout le monde en convient : seuls les États-Unis pourraient retenir le bras criminel d’Israël à Gaza et en Cisjordanie. On ne dira pas ici qu’ils ne font rien, ni que Biden ait la moindre estime pour Netanyahou. À l’exception de Trump, dont le premier ministre israélien attend le retour avec impatience, les présidents américains n’ont jamais beaucoup apprécié ce personnage ami des assassins de Rabin, et ennemi résolu de toute solution au conflit israélo-palestinien. Au-delà de l’antipathie personnelle que suscite Netanyahou, Biden, comme avant lui Obama, lui reproche de le ramener sur un champ de bataille que l’Amérique avait décidé d’oublier. Et il lui reproche, plus encore, de s’immiscer grossièrement dans la politique intérieure américaine où il sait avoir des relais influents. On se souvient de son intervention provocatrice devant le Congrès en 2015 pour torpiller l’accord sur le nucléaire iranien.
Netanyahou a été « trumpiste » avant Trump. Il n’est donc pas difficile d’imaginer que Biden enrage de devoir défendre contre la terre entière cet Israël-là. Dans un moment d’extrême fragilité internationale, les États-Unis n’avaient pas besoin de souligner leur isolement devant l’Assemblée générale des Nations unies. Ils n’avaient pas besoin non plus, à l’heure où la Russie use de son véto au Conseil de sécurité sur le dossier ukrainien, de rétablir la calamiteuse symétrie des impérialismes. Alors quoi ? L’administration Biden ne fait pas rien, mais elle fait très peu. Les réprobations publiques sur le massacre des civils à Gaza, les critiques sur l’extension des colonies, et même la « revitalisation » de l’Autorité palestinienne et la réaffirmation de la solution à deux États : il n’y a rien là qui puisse retenir le bras de Netanyahou.
Le massacre de Gaza peut à la rigueur troubler la conscience des dirigeants américains, mais ne constitue pas une menace pour les États-Unis.
Le verbe américain ne peut rien contre les fondements d’une politique coloniale qui est la raison d’être de la droite et de l’extrême droite israélienne. Et ce n’est pas l’interdiction de visas pour les plus fanatiques des colons qui y changeront quelque chose. Tout le monde sait ce qu’il faudrait : frapper Israël au portefeuille. Et, plus radical encore, stopper l’aide militaire. Car les bombes qui tuent et mutilent les enfants de Gaza sont américaines. Depuis le 7 octobre, les États-Unis ont fourni 15 000 bombes et 57 000 obus de mortier à l’armée israélienne. Un seul des prédécesseurs de Biden, le Républicain George H. W. Bush (père), avait osé menacer Israël de sanctions. En 1989, son secrétaire d’État James Baker avait demandé, devant l’American Israel Public Affairs Committee (Aipac), le puissant lobby juif américain, qu’Israël abandonne « ses politiques expansionnistes ».
Bush avait conditionné l’aide demandée par le premier ministre de l’époque, Yitzhak Shamir, à l’arrêt de la colonisation. Israël avait plié. Momentanément. Bush avait même obtenu qu’Israël accepte de participer à la conférence de Madrid, prélude aux accords d’Oslo. Mais ce coup d’audace lui avait coûté sa réélection pour un second mandat. L’entrelacs des relations est tel que l’on a pu parler s’agissant d’Israël du 51e État des États-Unis. Mais les choses ont un peu changé. La communauté juive s’est distanciée d’Israël version Netanyahou, comme l’a démontré Sylvain Cypel dans son enquête Les juifs contre Israël (1). Ce sont maintenant les chrétiens évangélistes qui ne pardonnent pas la moindre entaille au soutien à Israël. La Bible plutôt que le dollar.
L’État d’Israël contre les juifs (La Découverte 2018).
L’engagement juif était affectif, celui-ci est mystique et soutient explicitement les colons et à la frange la plus extrémiste du pays. Et c’est précisément le fonds de commerce de Donald Trump. Autant dire que Biden marche sur des œufs à onze mois de la présidentielle. Il en est à demander à Netanyahou de fixer une date limite aux bombardements sur Gaza (« dans quelques semaines », supplient ses émissaires), tout en s’opposant au cessez-le-feu. La vérité, c’est que le massacre de Gaza peut à la rigueur troubler la conscience des dirigeants américains, et semer le désordre sur les campus, mais il ne constitue pas une menace pour les États-Unis. « Les Palestiniens, combien de divisions ? », aurait demandé Staline.
Seul un risque d’embrasement, au sud Liban, avec le Hezbollah, ou dans le détroit Bab Al-Mandeb, où les attaques des Houthis ralentissent considérablement le trafic commercial, et – last but not least – pénalisent les ports israéliens, inquiète Washington. Et, là, l’Amérique fait ce qu’il faut. Un porte-avions est déjà positionné au large du sud Liban, et des bâtiments occidentaux, US-Navy en tête, cinglent vers la Mer Rouge. À part ça, Biden gagne du temps en promettant de remettre en haut de son agenda la fameuse solution à deux États. Qui vivra verra. Pas les Gazaouis en tout cas, dont beaucoup auront été tués. On peut surtout craindre qu’Elias Sanbar ait raison quand il soupçonne les États-Unis de nous tromper avec une promesse dont ils ne voudront pas se donner les moyens.
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