Paris 2024 : les Jeux olympiques n’obtiendront pas la médaille du travail
Alors que les Jeux olympiques de Paris 2024 approchent, les agents franciliens Jeunesse et Sports alertent sur leurs conditions d’activité et sur les menaces contre le service public du sport.
« Ils sont pressurisés, malmenés et on leur demande de faire encore plus d’efforts. » Quand elle évoque les Jeux olympiques et paralympiques (JOP), Chantal Lecervoisier ne puise pas dans le lexique des idéaux de respect et d’amitié revendiqués par l’olympisme. Au sein de la délégation régionale académique à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (Drajes), où elle travaille, les conditions de travail se détériorent d’année en année, assure-t-elle. « Je travaille à l’accueil, dans le hall, et depuis cette position stratégique, je vois les agents entrer, sortir, aller en pause déjeuner. Beaucoup se sont refermés sur eux-mêmes. » Sous-effectifs, management inadapté et salariés en pleurs : autant de problèmes que celle qui a été élue au comité social d’administration sous la bannière de la CGT dit observer au sein de son environnement de travail.
Pourtant, le syndicat Solidaires Jeunesse et Sports avait déjà déclenché une alerte de danger grave et imminent en juin 2021. « La situation du pôle jeunesse de la Drajes Île-de-France était jusqu’alors préoccupante tant les dysfonctionnements étaient nombreux et les sous-effectifs critiques. Mais la situation s’est considérablement aggravée ce mardi 1er juin 2021, lors d’une réunion de service qui a tourné à la crise », explique Marine Provini, élue au comité social d’administration, dans un courrier à destination du recteur d’Île-de-France. « Une dizaine d’agent·e·s sur quinze présent·e·s ont fait état de questionnements, difficultés et dysfonctionnements vécus dans le pôle. […] Face à l’étendue et l’ampleur des problèmes exposés, la cheffe de service n’a pas montré de signe d’écoute ou de prise en compte de la situation et n’a proposé aucune solution d’apaisement », relate Marine Provini.
Cet appel au secours a décidé le rectorat à lancer une enquête administrative. En avril 2023, au travers de 31 recommandations, il enjoint la direction à « porter une forte attention à la charge et à la qualité de travail des agents, et à y apporter les mesures de régulation nécessaire », ou encore à « installer une démarche de prévention des risques psychosociaux ». De l’avis des syndicats, la situation ne s’est pas réellement améliorée. En novembre 2023, ils interpellent une nouvelle fois le recteur. « À quelques mois des JOP 2024, le faible intérêt porté par l’administration au SDJES 75 (service départemental à la jeunesse, à l’engagement et aux sports) et à la Drajes est tout à fait effrayant », s’inquiètent-ils.
Des missions confisquées
Contacté, le rectorat indique à Politis être « particulièrement attentif » au « bien-être au travail de ses agents ». Il assure également avoir demandé à Cécile Nicol, la nouvelle directrice de la Drajes, de « mettre en place un nouveau projet de service clair, précis et complet pour répondre à ces enjeux », et promet qu’elle « sera particulièrement attentive au dialogue social et à la qualité de vie de ses équipes ». « On demande à des agents de catégorie A de faire également le travail de catégorie B et C. Avant, il y avait des binômes, voire des trinômes », souligne Marine Provini. En 2007, plus de 8 000 agents travaillaient sous la tutelle du ministère de la Jeunesse et des Sports. Quinze ans plus tard, ils ne sont plus que 5 300. Selon le rectorat, « des renforts en emplois ont été accordés en 2022-2023 et des moyens complémentaires sont également prévus en projet de loi de finances pour 2024 ».
Mais, moins nombreux, les agents restants ont également perdu certaines de leurs missions. Durant de nombreuses années, associations et fédérations sportives travaillaient conjointement avec ces fonctionnaires afin d’élaborer des projets financés par l’État. Cependant, l’Agence nationale du sport (ANS) est créée en 2019. Objectif pour l’État : chercher de nouveaux financements auprès des collectivités locales, voire du secteur privé. Quatre ans plus tard, le pari est loin d’être gagné. « Quant à la diversification attendue des ressources de l’Agence, rien ne permet de penser qu’elle pourrait être dynamisée pour des montants significatifs », souligne ainsi la Cour des comptes dans un rapport de 2022. De fait, l’organisme est quasi exclusivement financé par l’État.
Dérive clientéliste et culture de l’improvisation
Malgré un budget de 461 millions d’euros en 2022, l’ANS se contente d’effectifs modestes, seules 70 personnes y travaillant. Et pour cause : nul besoin d’examiner les dossiers des associations sportives et ligues régionales puisque c’est désormais directement aux fédérations de redistribuer les fonds qui leur sont alloués. « Avant, il y avait des fonctionnaires qui regardaient les projets et qui confrontaient ça avec le monde sportif. Maintenant, ce n’est plus le cas », explique Raphaël Millon. Le porte-parole de Solidaires Jeunesse et Sports s’inquiète des dérives potentielles d’un tel système : « Le président d’une fédération peut faire des choix qui l’arrangent, lui et les associations qui lui sont fidèles. Il y a un risque de dérive clientéliste ». Dans le milieu fédéral, cette apparente autonomie financière ne suscite d’ailleurs pas un enthousiasme unanime.
Le préfet de région est intervenu pour dire qu’il n’y avait pas assez de projets en lien avec les JOP. Il a demandé que tout soit revu.
M. Provini
« C’est un système qui tient par la peur. On ne peut pas se plaindre car les clubs et les sportifs en subiraient les conséquences », assure le cadre d’une fédération multisport qui a souhaité rester anonyme. Faute de personnel dédié, la culture de l’improvisation règne dans les fédérations pour répartir les financements entre les clubs et ligues membres, au prix d’une perte de compétences. « Certaines fédérations confient cela à des comités départementaux, donc à des cadres de contrat privé ou parfois des bénévoles. Pour moi, c’est clairement une privatisation du service public du sport. »
Le poids des JO
Si l’attribution des financements aux clubs sportifs est désormais l’apanage de l’ANS et des fédérations, les agents de la Drajes gardent la main sur l’attribution de certaines subventions aux associations. Et là aussi, le poids des Jeux olympiques se fait sentir. Au début de l’année 2023, après avoir instruit tous les dossiers de demande de subventions pour le Fonds pour le développement de la vie associative (FDVA), les agents de la Drajes et du SDJES 75, son pendant départemental parisien, ont dû recommencer l’examen des dossiers en urgence. « Le préfet de région est intervenu pour dire qu’il n’y avait pas assez de projets en lien avec les JOP. Il a demandé que tout soit revu », raconte Marine Provini.
Cette priorité politique a non seulement démoralisé les agents, mais également pu pénaliser certaines structures associatives n’ayant pas forcément inscrit leur dossier de subvention dans le cadre olympique. « Des commandes politiques tombent alors qu’il aurait fallu que cela soit prévu dès le début afin de rester prévisible et transparent », s’agace Marine Provini. Interrogé à ce sujet, le rectorat n’a pas répondu. Parmi les axes prioritaires du FDVA initialement prévus figurait effectivement les Jeux olympiques, mais également « les actions ciblant les territoires prioritaires » ou celles « en direction des jeunes ». Autant de causes qui occupent la deuxième marche du podium.
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