La loi immigration adoptée, l’union des droites et de l’extrême droite entérinée
La majorité présidentielle et les Républicains se sont entendus sur un texte ultra droitier en commission mixte paritaire. Le Rassemblement national a soutenu cette version adoptée au Parlement. Toutes les nuances de droite se sont rejointes sur le sujet de l’immigration. La Macronie, elle, se déchire.
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La « préférence nationale », anticonstitutionnelle… et antichrétienne Comment LR impose au gouvernement une cohabitation sur la ligne du RN Loi immigration : le gouvernement « court derrière le RN » sur les allocations Loi immigration : les députés macronistes au bord de la crise de nerfsMardi 19 décembre, Assemblée nationale, 15 h 42. Marine Le Pen, la présidente du Rassemblement national (RN), vient d’arriver dans la salle des Quatre Colonnes. Ce jour, la majorité présidentielle et les Républicains (LR) viennent de signer un accord sur le projet de loi immigration discuté en commission mixte paritaire (CMP) depuis lundi. Devant une armée de journalistes, elle annonce voter le texte. « C’est un tout petit pas, il y a encore beaucoup à faire. Il faut maintenir la pression, développe-t-elle calmement. Mais on peut tout de même se réjouir d’une victoire idéologique pour le Rassemblement national puisqu’il est inscrit dans cette loi la priorité nationale. » Ce « tout petit pas » est une bombe politique : la Macronie, les Républicains et le Rassemblement national sont désormais alignés sur le texte défendu depuis un an par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin.
Quelques minutes auparavant dans l’hémicycle, André Chassaigne, président du groupe communiste, interpelle Élisabeth Borne, estimant que le gouvernement serait devenu « le marchepied » de l’extrême droite. La Première ministre s’époumone pour lui répondre : « C’est la Nupes qui fait en permanence des appels du pied au Rassemblement national. C’est la Nupes qui vote avec lui. C’est la Nupes, avec sa motion de rejet, qui a bloqué le débat main dans la main avec le Rassemblement national. Face à l’extrême droite, la Nupes est dans la collusion. Nous, nous la combattons. »
Jubilation du RN
À ce moment-là, elle n’était pas encore au courant que le RN allait accepter de soutenir la version durcie du texte défendu par le gouvernement. Un projet qui comprend désormais le rétablissement du délit de séjour irrégulier, la déchéance de nationalité pour les binationaux coupables d’un meurtre sur des personnes détentrices de l’autorité publique, la fin de l’automaticité du droit du sol et le conditionnement plus restrictif à l’accès à l’APL. Quelques minutes plus tard, la déclaration de Marine Le Pen enflamme toute la Macronie. Personne ne s’y attendait.
L’union des droites vient-elle de se réaliser ? Éric Ciotti, le président des Républicains, n’est même pas crispé au moment de répondre : « C’est notre texte. Ce sont eux qui se sont rangés derrière nous, ce sont eux qui font un pas. Nous, nous sommes dans la cohérence de ce que nous avons toujours fait, toujours dit, toujours écrit, toujours soutenu. » « Madame Le Pen fait de la politique politicienne. Ce n’est pas au niveau, tente de se défendre Gérald Darmanin qui rappelle que le RN était initialement opposé à la régularisation des travailleurs dans les métiers en tension. Ce texte est une arme anti-Le Pen parce que nous apportons des solutions. » En clair, les Républicains revendiquent la paternité de cette mouture et la Macronie accuse Marine Le Pen d’avoir réalisé un calcul politicien. Une façon de minimiser la prise de parole et la position de la candidate du RN arrivée au second tour en 2022.
Nous nous réjouissons que la Macronie prenne conscience qu’il y a trop d’immigration en France, qu’elle fasse le lien entre immigration et insécurité.
M. Le Pen
De son côté, le Rassemblement national prétend avoir remporté une victoire politique. Selon les troupes marinistes, le durcissement de l’octroi des prestations sociales aux étrangers intégrerait le concept de « préférence nationale », clé de voûte des programmes du Front national et du Rassemblement national. « Nous nous réjouissons que la Macronie prenne conscience qu’il y a trop d’immigration en France, qu’elle fasse le lien entre immigration et insécurité. C’est ce que nous disons au Rassemblement national depuis des années. Et ce texte prévoit une forme de priorité nationale, reconnaît la députée RN Edwige Diaz. Marine Le Pen n’est pas encore présidente de la République. Mais il y a déjà des résultats significatifs sur des sujets qui nous semblent importants. » « Ce texte est insuffisant mais il a le mérite de reconnaître que nous avons raison », juge le député mariniste Laurent Jacobelli.
Face à cet argument, la majorité nie l’alliance supposée qu’elle nouerait avec l’extrême droite. Pour François Patriat, président du groupe macroniste au Sénat et proche d’Emmanuel Macron, le vote du RN n’est pas un élément sur lequel disserter : « Quand le RN vote la constitutionnalité de l’IVG, personne ne s’en émeut. Aujourd’hui, ce que vote le RN, ce n’est pas notre problème. On ne doit pas se déterminer en fonction du vote du RN. On doit se déterminer d’abord en fonction de l’intérêt des Français, de l’urgence qu’il y a à prendre des mesures d’expulsion, de reconduite ou d’intégration des immigrés dans notre pays. » Dans le même temps, le ministre du Travail, Olivier Dussopt, publie un simple tweet : « Le vote du RN n’est qu’un artifice. Ils vont soutenir les dispositions de régularisation des travailleurs sans papiers alors qu’ils ont voté contre en commission et au Sénat. »
« Le retour de la droite à la Pasqua »
Et la droite reprend peu ou prou la même réflexion. « Que Marine Le Pen veuille faire partie de la fête parce qu’elle se sent orpheline depuis quelques jours, c’est son affaire, balaye le député LR Aurélien Pradié. Il y a ceux qui travaillent à l’intérêt général du pays et ceux qui sont spectateurs. Le Rassemblement national observe patiemment. Et quand il voit la victoire arriver, il se précipite. » « Aujourd’hui, nous avons imposé notre texte qui porte nos idées, nos valeurs, notre projet et qui amène le tournant dont la France a besoin en matière de lutte contre l’immigration », estime le patron des députés LR, Olivier Marleix, qui jugeait le matin même que ce texte signait le retour de la « droite à la Charles Pasqua ». Pour rappel, l’ancien ministre de l’Intérieur avait reconnu partager des « valeurs communes » avec le Front national de Jean-Marie Le Pen en 1988.
À gauche, tous les groupes dénoncent d’une seule voix la « défaite morale » du gouvernement. « La collusion a été réalisée avec les thèses de l’extrême droite qui, en commission, a remercié la majorité d’avoir introduit sa proposition de préférence nationale dans son texte », lance Boris Vallaud, patron des députés socialistes et suppléant de cette CMP. « La question qui se pose est de savoir si Madame Borne va devenir la première des Première ministre du Rassemblement national, feint de demander la présidente du groupe insoumis Mathilde Panot. Si le gouvernement continue de propager et d’acter des points de programme de Marine Le Pen, alors il enfonce l’ensemble du pays dans les fantasmes rances de l’extrême droite. »
La question qui se pose est de savoir si Madame Borne va devenir la première des Première ministre du Rassemblement national.
M. Panot
Dans une intervention diffusée sur Youtube dans la soirée, Jean-Luc Mélenchon dénonce un projet de loi qui contient « ce que réclame depuis 50 ans le Front national ». Et il appelle les parlementaires macronistes de la majorité qui seraient opposés à ce texte à ne pas suivre les consignes du gouvernement. Dans un courrier envoyé au Parti socialiste, au Parti communiste, aux Écologistes (ex-EELV) et à Génération.s, Manuel Bompard, patron de LFI, propose une réunion d’urgence pour « discuter des moyens de faire avancer l’alternative à la coalition des droites sur les positions de l’extrême droite ».
Malaise collectif
Au sein du gouvernement, le séisme politique traverse les rangs macronistes. En fin de journée, plusieurs figures historiques du camp d’Emmanuel Macron annoncent qu’ils voteront contre ce texte. À l’image de Sacha Houlié, le président de la commission des lois et président de cette CMP, l’ancien président de la majorité Gilles Legendre, ou les ex-ministres Stéphane Travert et Nadia Hai. L’auto-revendiquée « aile gauche » du gouvernement se retrouve pour dîner et discuter de leur position à l’initiative de Clément Beaune au ministère des Transports.
Autour de la table, se trouvent l’hôte de la soirée, la ministre de l’enseignement supérieur, Sylvie Retailleau, le ministre de l’Industrie, Roland Lescure, le ministre du Logement, Patrice Vergriete, et la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak. Selon Le Monde, le ministre de la Santé, Aurélien Rousseau a prévenu mardi matin Élisabeth Borne et Alexis Kohler, secrétaire général de l’Elysée, qu’il démissionnerait si le projet de loi était voté. Le malaise est donc collectif. Quelques voix seulement dénoncent cette alliance de circonstances entre la majorité et l’extrême droite. Dans un communiqué, la députée Stella Dupont pointe ce texte qui « banalise les théories de l’extrême droite ».
Peu après 20 heures, le Sénat adopte largement le projet de loi, à 214 voix contre 114. À 21 h 40 devant l’Assemblée, Gérald Darmanin défend une dernière fois sa position devant la patronne du Rassemblement national : « Madame Le Pen, tout ce que vous avez réussi à faire, c’est du petit coup. Vous n’êtes pas prêt pour le pouvoir et c’est tant mieux. » Avant d’annoncer que le texte ne sera pas promulgué s’il est adopté grâce aux voix du Rassemblement national. Mais le mal est fait : l’Assemblée adopte ce texte à 349 voix contre 186. Sans avoir vraiment besoin des votes marinistes. Résultat ? La droite, l’extrême droite et une importante partie de la majorité présidentielle ont accordé leur vote. Si Emmanuel Macron a pu survivre au naufrage parlementaire, le piège vient de se refermer sur lui.
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