Les modèles libéraux à l’ère de l’anthropocène
Les effets catastrophiques du réchauffement climatique ne font pas l’objet de fortes controverses au sein de la communauté scientifique. Au niveau des remèdes, par contre, les économistes libéraux jouent un rôle d’occultation, voire de mystification.
dans l’hebdo N° 1787 Acheter ce numéro
Les connaissances scientifiques à propos des effets catastrophiques du réchauffement climatique sur l’habitabilité de la Terre ne font pas l’objet de fortes controverses au sein de la communauté scientifique. En revanche, à la question de savoir que faire pour y remédier, les controverses sont naturellement beaucoup plus importantes puisqu’il s’agit d’un sujet hautement politique.
C’est à cette question que s’attellent plus spécifiquement les chercheurs en sciences sociales et en particulier les économistes. Or les économistes libéraux jouent un rôle d’occultation, voire de mystification. Ils croient que leur discipline dévoile les lois universelles de la rationalité humaine. Ils pensent que l’économie est une science modélisable mathématiquement. Or leurs modèles minimisent systématiquement les effets économiques du réchauffement climatique.
Par exemple, les modèles servant à prédire ces effets qu’utilisent les banques centrales pour anticiper les risques financiers estiment des baisses du PIB variant de 7 à 14 % pour un réchauffement à plus de 3,5 °C. Des pertes économiques dérisoires et surmontables en comparaison des prédictions catastrophiques du réchauffement climatique au-delà de 2 °C. Rappelons qu’à partir de ce seuil les effets sont difficilement mesurables, car nous sommes dans l’inconnu. Or la science ne peut s’appuyer que sur le passé pour connaître et prédire.
La science ne peut s’appuyer que sur le passé pour connaître et prédire.
Un autre exemple de cette théorisation fallacieuse est le modèle d’évaluation intégrée promu par William Nordhaus, économiste « nobélisé » en 2018. Son modèle calcule le réchauffement « optimal » économiquement en arbitrant entre la croissance économique actuelle et les pertes économiques futures. Il obtient un réchauffement optimal de 3 °C.
Nous sommes donc arrivés à un point où cette théorie économique n’est pas seulement fausse, elle est dangereuse. Elle légitime par une pseudo-caution scientifique l’inaction politique. Elle est fondamentalement fausse, car elle postule que le monde social peut être pertinemment réduit à un ensemble de relations de cause à effet linéaires, réversibles et progressives. Or les scientifiques du climat, des écosystèmes et du vivant montrent au contraire que, au cœur des phénomènes physiques et biologiques, il y a une multitude d’événements irréversibles, d’évolutions exponentielles, de ruptures et d’effets de rétroaction qui rendent impossible le calcul des probabilités et imposent le principe d’abstinence et de précaution. Ce principe ne peut trouver ses coordonnées concrètes que moyennant un débat politique fondé sur la démocratie et l’égalité.
Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.
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