Immigration : pour une inversion radicale de la politique d’accès au travail des étrangers
TRIBUNE. La France doit revenir à la raison sur les questions migratoires et abandonner ses postures idéologiques erronées. Son intérêt est de donner de plein droit l’accès au travail et à la formation professionnelle dès la demande d’asile, suggère le cofondateur de l’appel pour une convention citoyenne sur la migration.
Antoine de Clerck, membre de l’association Refugee Food, organisme de formation professionnelle dans le secteur de la restauration, et cofondateur de l’appel pour une convention citoyenne sur la migration.
Pour qui vit une situation qu’il considère sans avenir dans son pays et se lance dans un parcours migratoire, qui ne puisse être justifié par un motif familial ou étudiant, il n’y a, dans l’immense majorité des cas et s’il aboutit en Europe, pas d’autre moyen que de se présenter sur le territoire sans titre de séjour ni visa. En France, la demande d’asile est alors la seule démarche permettant d’espérer l’accès à un titre de séjour.
Ainsi, sur les 5 dernières années, en moyenne, la France reçoit 90 000 demandes d’asile par an. Elle accorde sa protection à 36 000 personnes, soit à 40 % d’entre elles. Les 60 % restantes, déboutées, deviennent sans-papiers, expulsables. Sur la même période, les départs volontaires et expulsions sont en moyenne de 22 000 personnes par an. Par conséquent la France « fabrique » chaque année plus de 30 000 sans-papiers qui séjournent durablement sur le territoire.
La France « fabrique » chaque année plus de 30 000 sans-papiers qui séjournent durablement sur le territoire.
Les mesures d’éloignements forcés ne sont pas mises en œuvre en raison de freins administratifs et pratiques, mais aussi par intérêt bien compris, car c’est un vivier de main-d’œuvre flexible et disponible. Il y a 700 000 travailleurs sans-papiers en France, dont des pans entiers de notre économie dépendent : gardes d’enfants, employés de restauration, ouvriers du bâtiment, services de propreté… on ne compte plus les secteurs d’activité, en pénurie sur les emplois les moins qualifiés, qui y font massivement appel.
Aujourd’hui, la législation et les pratiques administratives empêchent l’accès à l’apprentissage du français, à la formation professionnelle et au travail régulier des demandeurs d’asile. On considère par défaut que la majorité des personnes ne relèvent a priori pas du droit d’asile, qu’elles en seront déboutées et donc expulsables. Ce serait alors une perte économique, et cela rendrait les expulsions plus difficiles en raison d’un début d’intégration, avec des employeurs qui parfois s’y opposent.
Mais comme en réalité, in fine, les 3/4 des personnes qui demandent l’asile restent durablement en France, que ce soit avec le statut de réfugié ou sans-papiers, cette politique est absurde à plus d’un titre : elle retarde voire rend inaccessible l’apprentissage du français, encourage le travail non déclaré à grande échelle, accroît la précarité des nouveaux arrivants, restreint leur capacité d’accès au logement, à une alimentation saine, des conditions de vie digne, retarde l’intégration sociale. Elle augmente le risque d’exposition aux réseaux délinquants ou criminels, et fait peser sur la finance publique et la société civile la prise en charge des dispositifs d’urgence (hébergement, santé, aide alimentaire etc.).
Cette position particulière de la France en Europe s’explique par la croyance de ses dirigeants dans la théorie de « l’appel d’air ». Offrir des conditions jugées trop hospitalières aux étrangers primo-arrivants, en particulier l’accès au travail, aurait un effet « aspirant » qui conduirait à un afflux soudain et incontrôlé de population étrangère. Cette théorie est contredite à la fois par d’abondants travaux de recherche, les observations de terrain mais aussi l’expérience de nos voisins européens. L’Espagne a par exemple régularisé 600 000 sans-papiers en 2005, sans observer d’incidence sur ses flux migratoires.
Revenir à la raison sur les questions migratoires nécessite d’abandonner cette posture idéologique erronée et d’adopter une approche pragmatique, à l’instar de nos voisins allemands ou espagnols, qui l’abordent par des considérations économiques. L’intérêt de la France, c’est de donner de plein droit l’accès au travail et à la formation professionnelle dès la demande d’asile, et de délivrer un titre de séjour à ceux qui ne relèvent pas du droit d’asile mais suivent une formation professionnelle ou travaillent, que ce soit comme salarié ou indépendant.
Car sortir de l’illégalité tous ceux qui travaillent, c’est un impact économique positif immédiat : apports de cotisations sociales, contributions fiscales, capacité de consommation etc., mais aussi une sortie de la spirale de la précarité, qui pèse sur les dispositifs d’urgence et la société civile, avec un accès possible au logement, à la santé, à une alimentation saine. Et au-delà, c’est un immense levier d’intégration : le travail est un déterminant primordial de l’inclusion sociale, linguistique, résidentielle et culturelle des primo-arrivants.
Sortir de l’illégalité tous ceux qui travaillent, c’est un impact économique positif immédiat.
Pour la petite proportion des personnes qui bénéficieraient de ces mesures mais ne resteraient pas en France, en raison d’un retour volontaire ou forcé, ils auront au moins, pendant la durée de leur séjour, eu une contribution économique et sociale positive et repartiront vers leur pays d’origine avec un bagage social et professionnel accru.
D’aucuns pointent la concurrence entre le travail des étrangers et celui des ressortissants nationaux. Les opposer n’est pas un reflet exact du marché de travail, il y a un effet de complémentarité et non de substitution, en particulier par « strate » de qualification. L’économie n’est pas un « gâteau » à taille fixe dont il faudrait se partager les parts, c’est un « gâteau » qui grossit par la contribution de différents agents, dont le travail. À titre d’exemple, le secteur de l’hôtellerie-restauration fait état, ces dernières années, de plus de 250 000 emplois non pourvus. Qui pense raisonnablement que ce secteur peut se passer de main-d’œuvre étrangère ? En tout cas pas les professionnels du secteur, qui s’expriment par la voix de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie pour une régularisation rapide des employés sans-papiers.
Favoriser l’accès des étrangers à l’emploi légal est doublement bénéfique : plus l’accès au marché du travail est rapide, meilleure est la contribution nette à l’économie (emplois en tension, contributions sociales, consommation), et plus l’inclusion sociale et culturelle est aisée. À moins que l’on revienne sur le tabou de l’immigration de travail, organisée depuis les pays d’origine, qui ni la droite ni la gauche, depuis la fin des années 1970, n’a le courage d’aborder, tout en lorgnant vers des pays qui la pratique comme le Canada, il est dans l’intérêt de la France d’autoriser le travail et le séjour de plein droit pour tous ceux, primo-arrivants demandeurs d’asile ou sans papiers, qui se trouvent déjà sur le territoire.
Des contributions pour alimenter le débat, au sein de la gauche ou plus largement, et pour donner de l’écho à des mobilisations. Ces textes ne reflètent pas nécessairement la position de la rédaction.
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