Non, Emmanuel Macron, la culture du viol n’est pas une « transgression »
Dans son interview accordée à l’émission C à vous, le président de la République a défendu Gérard Depardieu et affirmé que la Légion d’honneur, dont il bénéficie, n’était pas là « pour faire la morale » auprès de « gens transgressifs ». Plus qu’une faute morale : un désastre politique.
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Non, « faire entendre la langue de Molière comme personne » ne comptera jamais autant que la vie d’une victime de violences sexistes et sexuelles « Au sommet de l’État, les violences sexuelles ne sont pas considérées comme un fait politique » « Sans le féminisme, les hommes ne se comprennent qu’à moitié »Entouré de ses hôtes et notamment de son interprète féminine en Corée du Nord, Gérard Depardieu ouvre grand les bras et s’exclame : « Vas-y, prends la photo pendant que je [lui] touche le cul. Sa petite moule doit être bien, bien touffue, bien poilue. Elle sent déjà la jument ». Les nombreux passages obscènes et misogynes du Complément d’enquête diffusé le 7 décembre sur France 2, tout comme les témoignages des seize femmes, dont treize révélés par Mediapart en avril dernier, les trois plaintes et la mise en examen pour viol de l’acteur n’ont pas suffi à Emmanuel Macron.
La journaliste et écrivaine espagnole, Ruth Baza, a porté plainte pour viol au commissariat de Malaga, jeudi 14 décembre contre Gérard Depardieu, d’après une information révélée par le quotidien La Vanguardia. Les faits remontent au 12 octobre 1995. Ruth Baza, 23 ans, interview Gérard Depardieu, âgé du double. Au cours de l’entretien, l’acteur l’aurait pris « dans ses bras » pour l’embrasser « partout sur le visage ». Il lui aurait ensuite touché « le corps » et « l’entrejambe ». Si les faits sont prescrits en France, la journaliste justifie sa démarche en voulant aider d’autres femmes à apporter leur témoignage.
Sur le plateau de C à vous délocalisé à l’Élysée, le président de la République a chanté les louanges de l’acteur français. « Je suis un grand admirateur de Gérard Depardieu », a-t-il osé lancer, tout sourire. « C’est un immense acteur. Il a servi les plus beaux textes. C’est un génie de son art. Il a fait connaître la France, nos grands auteurs, nos grands personnages, dans le monde entier ». Aux grands acteurs misogynes, la patrie reconnaissante. Le panthéon du cinéma présidentiel s’affranchit sans complexe des critiques massives et des procédures judiciaires en cours contre celui que l’on surnomme « l’ogre du cinéma français ».
L’icône du cinéma reste intouchable, même au sommet de l’Elysée.
Emmanuel Macron va plus loin : « Et je le dis en tant que président de la République, mais aussi en tant que citoyen, il rend fière la France ». Quelle France ? La France des hommes mis en examen pour viol et agression sexuelle ? En tout cas, pas celles des femmes qui ont osé témoigner et pour lesquelles Emmanuel Macron n’a eu que très peu de mots lors de cette interview.
Visiblement, l’icône du cinéma reste intouchable, même au sommet de l’Elysée. Critiquer Gérard Depardieu pour ses attitudes ou ses propos c’est, selon le président de la République, participer à une « chasse à l’homme », contribuer à une « espèce d’atmosphère ». Et quand c’est « l’ère du soupçon, ce n’est plus une démocratie », résume-t-il. Un comble, pour celui qui vient, justement, d’instaurer cette fameuse « ère du soupçon » contre les personnes étrangères en faisant voter la loi immigration la plus dure depuis des décennies.
Interrogé après l’annonce de la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak, vendredi 15 décembre, de l’ouverture d’une procédure disciplinaire pour suspendre ou retirer la Légion d’honneur à Gérard Depardieu, le chef de l’État a rectifié la réaction de sa ministre. Selon lui, le commentaire de Rima Abdul-Malak s’inscrit dans le registre « des emballements ». « Je me méfie du contexte », a-t-il soupesé. « La ministre de la Culture s’est-elle avancée ? », lui demande Anne-Elisabeth Lemoine. « Oui, je le confirme. Un peu trop », répond le locataire de l’Élysée, imperturbable.
Cette culture du viol ne doit plus être dépeinte comme l’irrésistible transgression d’un artiste à la réputation ‘sulfureuse’.
Mais attention, rassurons-nous : Emmanuel Macron a fait des violences faites aux femmes et de l’égalité femmes-hommes les « deux grandes causes » de son quinquennat, comme il aime à le rappeler. D’ailleurs, le chef de l’État l’a affirmé : il s’autoproclame « inattaquable » sur ces sujets. Rien de moins.
Emmanuel Macron se lance ensuite dans une définition toute personnelle de la plus haute décoration honorifique française. Censée récompenser des individus ayant rendu des « services éminents » à la nation, cette distinction « n’est pas là pour faire la morale », a estimé le président, renvoyant ainsi le respect et la dignité des femmes à une question de mœurs. À de menus écarts de comportements masculins. « Grandes causes du quinquennat », vraiment ? Écoutons la suite : « Est-ce que je vais commencer à retirer la Légion d’honneur quand [des artistes] disent des choses qui me choquent ? La réponse est non. Ce n’est pas un ordre moral et je n’ai pas envie que ce le soit. Il peut continuer à y avoir des gens transgressifs. »
La fameuse transgression des hommes comme Gérard Depardieu qui, comme le montrent les images révélées par Complément d’enquête, surnomme les femmes, « la chatte », qui grogne et rugit quand elles passent devant lui, qui sexualise tout à tout bout de champ, même une fillette sur un cheval, qui demande à son interprète, prise en photo, de « regarder le petit oiseau rose au bout, le rose du gland », qui la complimente après s’être félicité d’avoir vu sa « petite robe bien ouverte » ou qui assure « faire un baise-moule » pour saluer une femme.
Cette culture du viol n’est pas, ne doit plus être dépeinte comme l’irrésistible transgression d’un artiste à la réputation « sulfureuse » : c’est une domination sexiste qui légitime ou encourage des infractions pénales. Qui structure le cauchemar quotidien de millions de femmes. La voir validée par le président de la République est, plus qu’une faute morale, un désastre politique. La grande casse du quinquennat.
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