« On a été traités comme des esclaves ! »
Mamadou raconte la découverte en septembre de soixante travailleurs d’une exploitation viticole, la plupart sans papiers, exploités et logés dans des conditions indignes et insalubres.
dans l’hebdo N° 1787 Acheter ce numéro
En septembre dernier, l’inspection du travail découvre que soixante travailleurs d’une exploitation viticole, la plupart sans papiers, sont exploités et logés dans des conditions indignes et insalubres. Une enquête, notamment pour traite d’êtres humains, a été ouverte au parquet de Châlons-en-Champagne, dans la Marne. Mamadou, 39 ans, en faisait partie. Il raconte cet épisode traumatisant et la lutte entamée depuis.
Je suis arrivé de Côte d’Ivoire en France en octobre 2014. Depuis, je vis de petits boulots au noir de temps en temps. Cette année, début septembre, un ami m’a mis en contact avec un homme qui cherchait de la main-d’œuvre pour réaliser les vendanges en Champagne. Deux jours après notre premier contact, celui-ci m’a signifié que c’était bon, que je pouvais venir travailler dans la société nommée Avanim. Cette personne avait organisé un convoi avec de nombreux autres travailleurs pour se rendre en Champagne. On est partis de la porte de la Chapelle, à Paris, le 8 septembre vers 14 heures. Tout le monde avait été recruté différemment, via les réseaux sociaux, par des intermédiaires ou par des rencontres physiques.
On nous a mis dans un car. Il n’y avait que des hommes, l’employeur ne voulait pas de la présence de femmes. On est arrivés à 22 heures sur place, on n’avait rien mangé depuis le départ. Et c’est là que le calvaire a commencé. La première étape a été de nous transporter à l’endroit où nous devions être logés. Du car, nous avons été transférés dans des fourgonnettes où l’on nous a entassés à l’arrière à plus de dix, sans lumière. Nous étions comme des moutons. Puis nous sommes arrivés à l’endroit où nous devions être logés. Là, c’était la catastrophe absolue. La maison – si on peut appeler ça une maison – était totalement insalubre. Il n’y avait pas de vrais matelas, simplement des matelas gonflables qui sentaient tellement mauvais que je me demande s’ils n’avaient pas été ramassés dans des poubelles.
Il a fallu attendre 48 heures pour qu’on nous ramène enfin un pack d’eau potable. Pour 56 !
On dormait à même le sol, qui n’était même pas en dur. C’était absolument dégueulasse. On nous a laissés là toute la nuit. Les toilettes étaient atroces, pas praticables parce que bouchées. Il n’y avait pas d’eau chaude, ni d’eau potable, très peu d’électricité, pas de chauffage. On était 56 dans cette maison ! C’était vraiment la galère. Je n’ai pas les mots. On a dû faire du feu dans la maison pour se réchauffer. Pour boire, nous faisions bouillir l’eau pour tuer les bactéries et ne pas être malades. Il a fallu attendre 48 heures pour qu’on nous ramène enfin un pack d’eau potable. Pour 56 !
Nous avons eu le même problème pour nous alimenter. Lors de mon embauche, on m’avait dit qu’on serait nourris tout au long de la mission. Sauf qu’il n’y avait rien à manger dans la maison. Le premier jour, on nous a apporté des sandwichs : ils étaient pourris, avec de la moisissure verte dessus. On a dû voler des épis de maïs dans les champs pour pouvoir un peu manger le soir. Puis, il a fallu travailler. Le premier jour, ils sont venus nous chercher à 6 h 30 du matin pour, de nouveau, nous entasser dans la fourgonnette et nous emmener dans les champs de Champagne. On a commencé le travail à 7 heures, jusqu’à 18 heures. On nous avait promis une heure de pause, mais jamais on ne nous l’a accordée. C’était 30 minutes maximum.
C’est tout un système qui était bien organisé, bien huilé.
Dans les champs, il y avait une sorte de garde qui nous surveillait. Il était particulièrement violent avec nous. Il nous a menacés plusieurs fois avec un couteau quand on n’obéissait pas aux ordres. Un de mes collègues a été tabassé parce qu’il s’était plaint de ne pas avoir mangé. Dès qu’on se soulageait le dos en se redressant quelques secondes, il nous prenait en photo et envoyait la photo à sa patronne, qui ensuite nous menaçait de nous renvoyer chez nous. On souffrait beaucoup dans les champs. Nous n’avions pas de gants, on travaillait comme des animaux, sans protection. On se coupait les doigts. « Fais vite, plus vite ! » répétait-il.
Après quatre jours comme cela, il y a eu un contrôle de la gendarmerie et de l’inspection du travail. À partir de là, on a lancé notre mobilisation collective. Nous avons porté plainte. Nous demandons que justice soit faite, que nos droits soient respectés comme pour tout le monde. Il n’y a pas de raison que l’on soit traités ainsi, comme des esclaves. Nous demandons aussi et surtout à être régularisés. Ça fait neuf ans que je suis en France. Nous réclamons également nos salaires. On a été exploités et je n’ai pas été payé. L’employeur a abusé de notre situation. Il savait très bien que nous n’avions pas de papiers, que nous étions dans le besoin. C’est tout un système qui était bien organisé, bien huilé.
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