Photo : dans le « back office » de notre consommation de marchandises
Portfolio. La photographe Sophie Loubaton a arpenté des plateformes logistiques et les routes qui les desservent, pour y rencontrer celles et ceux qui y travaillent à toute heure du jour et de la nuit.
dans l’hebdo N° 1788-1791 Acheter ce numéro
Le travail de Sophie Loubaton sera exposé à la galerie Fait et Cause, 58, rue Quincampoix, Paris (4e), du jeudi 15 février au samedi 20 avril 2024.
Dans une économie mondiale bouleversée par la crise sanitaire de 2020, le secteur du transport et de la logistique s’est révélé vital pour maintenir à flot la chaîne d’approvisionnement. Et le pays entier s’est rendu compte de la nécessité des emplois qu’elle génère. La filière est le cinquième recruteur en France et compte 1,8 million d’emplois. C’est ce monde pourtant peu connu que j’ai exploré, afin de livrer des scènes de vie au travail, des portraits, ici la jeunesse principalement, accompagnés de témoignages, mais aussi des photos de paysages. J’ai arpenté des plateformes logistiques et les routes qui les desservent, pour y rencontrer celles et ceux qui y travaillent à toute heure du jour et de la nuit. Ce reportage, pensé comme une mise en lumière de personnes trop souvent dans l’ombre, entend montrer le « back-office » de notre consommation de marchandises. Comme le disait Washington, agent de quai en messagerie : « Je crois que beaucoup de gens ne se rendent pas compte, il faut venir nous voir pour comprendre à quel point nous travaillons dur. »
Mercredi 31 août 2022, chemin rural d’Ourdy, Réau (Seine-et-Marne). Un jeune homme vient glaner des pommes de terre dans un champ. Rémi, agriculteur et propriétaire de la parcelle en face, raconte : « Là, je viens de planter du sarrasin ; avant, j’ai fait de l’orge, du blé. Là-bas, c’est la plateforme Mondial Relay. Le smartphone, ça donne ça ! Avant, c’était de la plaine, des parcelles agricoles. Les gens qui viennent travailler ici, on les voit un peu comme des cosmonautes. Et nous, on est un peu les hommes préhistoriques. »
Jeudi 22 décembre 2022, plateforme FM Logistic, Escrennes (Loiret). Le « picking » consiste à aller chercher les produits dans le stock pour les regrouper à l’endroit où on va les « coliser ». Yoann, directeur d’activité : « On est capables d’envoyer n’importe quelle unité, quantité, partout dans le monde. Si quelqu’un commande à l’autre bout de la planète un simple rouge à lèvres, c’est ici que la commande va arriver et c’est d’ici que ça va partir. »
Lundi 28 novembre 2022, plateforme Ba&sh à Louvres (Val-d’Oise). Olyndéa : « J’ai fait un BTS immobilier en alternance. Finalement, ce n’était pas du tout ma voie, donc là, je patiente en travaillant. Je suis partie un peu aux États-Unis, Texas, Kansas, Tennessee, j’ai de la famille là-bas, ça m’a permis de voir un peu autre chose. Le covid, quand c’est arrivé, j’étais encore à l’école. Je dois avouer que ça m’a carrément été de ne pas aller à l’école, c’était trop bien. »
Mercredi 4 janvier 2023, plateforme Mondial Relay, zone injection du hub, Réau (Seine-et-Marne). Idrissa : « Les colis, ça dépend. Ceux de chez Oscaro (pièces détachées auto), c’est le plus dur, parfois c’est lourd. Là, on est sur du vrac qui arrive dans les camions. » La plateforme traite aussi des colis confectionnés par des particuliers, qui n’obéissent à aucune norme, n’ont pas d’angles droits ; dans le jargon, on les appelle les « boules ».
Mardi 6 décembre 2022, plateforme FM Logistic, Neuville-aux-Bois (Loiret). François, Jordan et Dona en zone CAF (conditionnement à façon). François : « À la base, je suis coiffeur de métier, et puis j’ai travaillé en bureau d’études, dessinateur industriel en tuyauterie ; mais la société a été en cessation de paiements, je me suis retrouvé au chômage en fin de droits. »
Lundi 12 septembre 2022, zone d’activité Les Portes de Chambord, Mer (Loir-et-Cher). À l’horizon, comme un miroir à la route qui dessert cette zone logistique, la gigantesque plateforme des menuiseries Lapeyre, 72 000 m2, 12 cellules, 78 portes à quai, 7 500 références. Elle livre 87 des 231 points de vente de la chaîne de magasins en France.
Le ministère de la Culture a confié à la BNF la mise en œuvre d’une commande destinée aux photojournalistes, « Radioscopie de la France. Regards sur un pays traversé par la crise sanitaire ». 200 projets ont été sélectionnés et une exposition aura lieu du 19 mars au 23 juin 2024 sur le site François-Mitterrand de la BNF (Paris 13e), avec tous les photographes lauréats.