Pourquoi les jeunes refusent le SNU et son monde
Syndicats étudiants et mouvements lycéens s’opposent au service national universel, perçu comme une tentative de militarisation coûteuse de la jeunesse au détriment de l’Éducation nationale.
dans l’hebdo N° 1788-1791 Acheter ce numéro
Comme une allumette prête à faire flamber le pays. En janvier dernier, l’Élysée a joué avec le feu. Et a fini par se brûler les doigts. Alors que la bataille des retraites démarre avec une première manifestation le 19 du mois, Emmanuel Macron veut rendre obligatoire le service national universel (SNU). Expérimenté en 2019, suspendu par la crise sanitaire puis relancé en 2021, le SNU n’attire que 32 000 jeunes volontaires en 2022. Le chef de l’État voit plus grand. Au grand dam de ses conseillers, notamment au ministère de l’Éducation nationale, qui lui soufflent que « l’annonce d’un nouveau SNU pourrait précipiter la jeunesse dans la rue ». Quelques articles dans la presse, dont les révélations de Politis sur le plan d’action du gouvernement en cas d’obligation du SNU, ont suffi : avant l’arrivée du printemps fleurissent déjà des pancartes « Ni garde à vue ni garde à vous », des tags « Non au SNU » et des messages contre « la militarisation de la jeunesse » écrits sur les abribus.
Le SNU est un gadget inutile et extrêmement cher.
E. Schmitt
Si l’obligation est rapidement mise sous le tapis, sa seule évocation a lancé la contestation. « Ce projet entend mettre la jeunesse au pas. D’un côté, on impose à nos aînés de bosser deux ans de plus ; de l’autre, on nous pousse à mettre notre uniforme et à faire du SNU », souffle Ephram Belœil, porte-parole de la Voix lycéenne (dont il est devenu président en juillet), lors d’une manifestation à l’appel des organisations de jeunesse, début mars. Les organisations étudiantes et lycéennes pointent la présence de militaires parmi les encadrants des fameux séjours de cohésion qui composent le SNU.
« Ils ne sont pas formés à organiser l’accueil de mineurs dans un but pédagogique. D’où les nombreuses dérives », pointe Imane Ouelhadj, présidente de l’Unef. Plusieurs enquêtes judiciaires et administratives sont en cours à la suite de comportements jugés inappropriés d’encadrants ou de tuteurs, notamment révélés par Politis, Marianne et Mediapart. Des récits de punitions collectives – des jeunes ont dû faire des pompes dehors en pleine nuit – ont aussi fuité dans la presse.
La stratégie de la sourde oreille
Alors que l’opposition à la réforme des retraites se durcit, avec des jeunes qui emplissent les rues lors des manifestations syndicales et investissent la nuit lors de rassemblements sauvages, la machine du SNU continue de tourner à plein régime. Les séjours de cohésion reprennent en avril et doivent continuer en juin. Avec ce décalage criant : l’engagement de toute une jeunesse est vilipendé lorsqu’il s’oppose à la politique gouvernementale, mais applaudi dès lors qu’il endosse le polo et la casquette SNU. « Ce que prône l’exécutif, c’est le respect de l’autorité, de l’ordre. C’est ça, sa définition de l’engagement. Pour nous, il s’agit plutôt de développer notre esprit critique sur nos conditions d’étude et la société dans laquelle on vit », analyse Charlotte Moisan, du Mouvement national lycéen (MNL).
Emmanuel Macron ne l’entend pas de cette oreille. Pour lui, c’est clair : le SNU doit servir de tuteur à la nouvelle génération. Dès la présentation de son dispositif, en février 2017, celui qui était alors candidat En marche pour l’élection présidentielle était limpide : il s’agit d’un « projet de société majeur » qui doit relever « un défi de sécurité, d’éducation, un défi économique et social mais aussi un défi moral et de civilisation ». Une ambition démesurée pour un budget estimé à 2 milliards d’euros par an en cas de généralisation. « Quand on voit les besoins de l’Éducation nationale et de l’éducation populaire, on tombe des nues. Le SNU est un gadget inutile et extrêmement cher », dénonce Éléonore Schmitt, du syndicat l’Union étudiante.
Pour de nombreux jeunes, la réforme des retraites imposée par le 49.3 et l’application du SNU sans débat au Parlement relèvent d’un même déni de démocratie. « Le gouvernement nous reçoit, nous écoute. Mais il applique les mesures que nous dénoncions en rendez-vous. Clairement, il avance sans nous », soufflait une organisation étudiante, frustrée par les consultations « lunaires » dans le bureau de Sarah El Haïry, alors secrétaire d’État chargée du SNU. Comme un avenir décidé sans les principaux intéressés. C’est d’ailleurs ce que révèle une étude d’octobre 2023 de l’Ifop sur le retour du service militaire : si 66 % des Français regrettent sa suppression, seuls 27 % la déplorent parmi les 18-24 ans. Un écart similaire pour l’obligation du SNU.
D’après l’enquête, 64 % des Français pensent qu’il devrait être obligatoire, quand seulement 26 % des 18-24 ans le souhaitent. Face à l’absence de prise en compte des premiers intéressés, pour les retraites comme pour le SNU, les modes d’action se ressemblent. En juin, les déplacements de chaque ministre en région reçoivent un bruyant comité d’accueil, tout comme les passages du « SNU Tour ». La caravane bute contre ses opposants, comme à Versailles, ville peu habituée aux manifestations antimilitaristes. Le passage à Strasbourg a même été annulé vu l’ampleur de la contestation.
Un nouveau front de lutte
Mais l’Élysée persiste. Malgré la vive opposition et les difficultés logistiques des séjours de cohésion de l’été, entraînant l’ouverture d’une enquête administrative, Emmanuel Macron veut généraliser le SNU. Celui-ci s’installe au cœur même des lycées grâce au label « Classes et lycées engagés », qui permet aux enseignants d’engager un projet pédagogique d’un an avec les élèves, comprenant un séjour de cohésion de douze jours en fin d’année. « Pour le professeur, l’initiative est récompensée par une prime. Le gouvernement est vraiment prêt à tout pour vendre le SNU », souffle Gwenn Thomas-Alves, de l’Union syndicale lycéenne.
Dès lors, un nouveau front de lutte s’installe pour les organisations de jeunesse. « On distribue des tracts, on essaie de faire de la pédagogie, de montrer ce que ça coûte, d’expliquer le modèle de société que ça suppose », explique Charlotte Moisan, du MNL. Lors des débats sur le projet de loi de finances 2024, ces organisations ont aussi multiplié les rendez-vous avec des députés, notamment Jean-Claude Raux, auteur d’un rapport au vitriol sur la généralisation du SNU. En face, la communication change. Le ministère vante les bienfaits du SNU pour la citoyenneté ou la conscience écologique. Plus aucune trace d’une quelconque militarisation. Des arguments démentis par les chiffres : dans son enquête annuelle, l’Injep révèle que 47 % des participants de cette année souhaitent s’orienter plus tard vers l’armée, la police ou les pompiers. De quoi grossir les rangs des métiers en uniforme. Et des opposants au SNU.