Redonnons à « La Négresse » son nom basque d’origine

TRIBUNE. Le nom de ce quartier de Biarritz, imposé en 1861 en gommant son nom originel, Herausta, est contestable, rappelle Egoitz Urrutikoetxea, docteur en histoire. Le 21 décembre, le tribunal administratif de Pau a rejeté la requête de l’association Mémoires & Partages.

Egoitz Urrutikoetxea  • 26 décembre 2023
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Redonnons à « La Négresse » son nom basque d’origine
Drapeau basque déployé lors d’un match du Biarritz Olympique Pays.
© Gaizka Iroz / AFP

L’univers symbolique premier de l’être, sa saisie et sa vision du monde, est organisé par les noms propres : de personnes, de lieux… Les noms propres sont avant tout des faits de langage.

Il y a des noms de lieux qui sont porteurs d’une mémoire historique, quand bien même leurs significations échappent aux usagers. Parallèlement, et de manière superposée, il y a des lieux qui sont porteurs de noms historiques ou fruits d’une action délibérée de la part d’une autorité politique, la plupart du temps datée, qui marquent – c’est manifeste dans le cas présent – une rupture, un dérèglement des modes de transmission identitaire.

La dénomination du quartier de Biarritz La Négresse éclaire d’une manière limpide ce lien étroit entre pouvoir et langage, intersection à partir de laquelle le pouvoir de nommer façonne l’imaginaire d’une communauté.

Le substrat de la la colonisation

Les oppositions sémantiques révélées par la toponymie sont aussi des oppositions culturelles et sociales, telles deux faces d’une même pièce dont l’une serait synonyme d’appropriation par dénomination positive et l’autre d’exclusion par dénomination négative.

Le marquage linguistique d’un espace constitue un acte d’appropriation où nous pouvons lire les enjeux idéologiques et politique qui déterminent l’acte de nommer.

Il est paradoxal et symptomatique que la substitution de la dénomination de ce quartier de Biarritz, appelé en langue basque Herausta, se fasse en utilisant une terminologie qui symbolise le substrat de la colonisation. L’usage du nom La Négresse aurait été marqué du sceau des troupes de Napoléon de passage dans la cité balnéaire en 1813, suite à leur déroute en Espagne, lesquelles auraient assidûment fréquentés un cabaret du quartier tenu par une femme racisée. Ce n’est que le 22 octobre 1861 qu’une délibération municipale officialise la dénomination La Négresse.

Le marquage linguistique d’un espace constitue un acte d’appropriation où nous pouvons lire les enjeux idéologiques et politique qui déterminent l’acte de nommer. C’est le lieu dans lequel l’instance politique s’affirme en imposant des dénominations plus conformes à son idéal identitaire et culturel.

Invisibiliser la langue basque

Au début du XIXe siècle, la langue véhiculaire des classes populaires à Biarritz était majoritairement le basque. Les noms propres des quartiers et des maisons que l’on retrouve dans les actes notariés des archives l’attestent. Mais il s’agit également d’une période dans laquelle s’installe une vision manichéenne qui cherche à invisibiliser la langue basque en tentant de la clôturer sur elle-même et de la présenter comme un univers dépassé, ou à dépasser, pour accéder au supposé progrès de l’humanité.

1

Antoine de Rivarol, De l’Universalité de la langue française, 1784, p.32.

La langue basque niée par la culture dominante, celle du pouvoir municipal, est progressivement condamnée à la sphère privée, parce qu’elle ne peut prétendument incarner ni la modernité ni les valeurs universelles. Car, à l’aune de l’universalité française et de l’adage rivarolien (en lettres capitales dans le texte original), « ce qui n’est pas claire n’est pas français (sic) » (1).

La langue basque niée par la culture dominante, celle du pouvoir municipal, est progressivement condamnée à la sphère privée…

Cette approche binaire est à relier, à la même époque, avec la justification et la célébration des conquêtes coloniales françaises présentées comme sources de progrès matériel et culturel. Une période dans laquelle s’installe une dissymétrie de traitement entre le sujet civilisé et le colonisé, le sauvage, qui est réduit à l’état d’objet. À la notion uniforme et générique de nature humaine est substituée une échelle des races, les unes naturellement portées au développement social, culturel et industriel, les autres abaissées à un rang indépassable de subalterne et corvéable à merci.

Ces thèses nationalistes et aventures coloniales viennent largement s’entremêler et nourrir les recherches scientifiques dans un contexte où l’anthropologie physique tente avec application de mesurer les caractères raciaux des différentes ethnies que l’on rencontre dans le vaste monde. La Société d’Anthropologie de Paris créée en 1859 par Paul Broca et l’École linguistique naturaliste qui est rattachée à cette dernière, dans laquelle le bascologue Julien Vinson interviendra, participent de cette démarche en créant, durant la Troisième République, un courant de pensée qui assure un cadre scientifique aux besoins idéologiques de l’État français.

2

Hector Iglesias, « A propos de quelques noms de lieux d’Anglet et de Biarritz », Lapurdum, 2/1997.

L’expression basque izena duenak izana du (ce qui se nomme existe) résume à merveille les turpitudes de la dénomination du quartier biarrot. Dans un exercice de réparation historique et réappropriation de la mémoire collective, renommer le quartier par son nom d’origine, Herausta (errautsa, poussière) (2), serait un exercice louable, salutaire et essentiel.

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