Wilders et le marchepied médiatique
La victoire surprise de Geert Wilders aux élections législatives néerlandaises anticipées du 22 novembre doit-elle quelque chose aux médias ? D’après des chercheur·es et des journalistes, le populiste d’extrême droite a été dépeint comme « adouci » avant le scrutin. Alors que son programme islamophobe n’avait presque pas changé.
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Le leader politique d’extrême droite hollandais Geert Wilders espérait ça depuis vingt-cinq ans. Sa formation, le Parti pour la liberté (PVV), est arrivée en tête des élections législatives ce 22 novembre, après une campagne dominée par des débats autour de l’immigration. Pour les médias hollandais, l’heure n’est cependant pas vraiment à l’introspection. Le discours journalistique post-électoral majoritaire consiste en effet à dépeindre la future coalition menée par le PVV comme étant de « centre-droit » ou « de droite ». Bref, business as usual dans les services politiques, déplore auprès d’ASI le journaliste hollandais Jonathan Maas, comme il l’a aussi fait dans une tribune publiée par le site spécialiste des médias Villamedia. « La “presse de référence” lutte visiblement pour savoir comment qualifier Geert Wilders et son parti, critique-t-il. Selon moi, l’appeler seulement “de droite” est fou. Il est radical et d’extrême droite, et il faut le qualifier ainsi. »
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« Le lien entre la jeunesse et la gauche n’a plus rien de naturel » La fièvre populiste Milei, un as libertarien des réseaux sociaux à la tête de l’ArgentineSur le plan médiatique, la campagne électorale a longtemps été dominée par un nouveau parti de centre droit, New Social Contract, lui-même issu d’une scission avec le parti chrétien-démocrate CDA. Jusqu’à ce que Geert Wilders parvienne à récolter les graines semées quelques mois plus tôt par le leader de la précédente coalition, le parti libéral-conservateur VVD, qui avait choisi de placer l’immigration (comprendre : le problème que constitue l’immigration non blanche) au cœur de sa campagne. Restait l’écueil de la dédiabolisation. « Ils détruisent notre pays et nous prennent nos maisons, notre sécurité sociale et notre argent. Encore plus d’islam. Plus de misère. Parce que notre gouvernement refuse de fermer nos frontières aux demandeurs d’argent », écrivait en effet encore Wilders en mars 2023 sur X
(ex-Twitter), rappelle le journaliste hollandais Stef Arends, éditeur au sein du site belge Kif Kif.
« Geert Milders »
Pour son ripolinage de campagne électorale, Geert Wilders décida donc de retirer les points les plus délirants de son programme, tels que son ministère de la « dé-islamisation ». Et surtout de modérer son discours raciste habituel pour affirmer sa prétention à gouverner. Tout parallèle français avec une certaine Marine Le Pen… la manœuvre semble cependant avoir échappé aux journalistes politiques hollandais. « Wilders adoucit le ton », titre ainsi la radio et télévision RTL dès le lancement de sa campagne mi-septembre, tandis que la radio publique NPO préfère « le ton adouci du programme du PVV ». Pourtant, ledit candidat ne reniait rien, et l’affirmait : « Nous pensons toujours ce que nous pensons. » Mais le thème des deux mois qui suivent est fixé, et les grands médias se focalisent sur le ton « adouci », mildere en néerlandais, de son programme autant que de sa rhétorique.
« Toujours drôles, mais rarement critiques », écrit le politologue néerlandais Cass Mudde dans le Guardian, les journalistes le surnommèrent même « Geert Milders » à la fin de sa campagne. « Si vous êtes un journaliste qui exerce son droit à la critique et que vous vous préoccupez des droits humains, alors vous ne devriez pas écrire un article à propos du ton modéré de Geert Wilders sans mettre l’accent sur ses remarques racistes ou sa condamnation en justice pour avoir incité à la haine, et le confronter à ça en interview », estime pour sa part Stef Arends. « Son cadrage de modération a été repris par les médias », confirme l’historien et politologue hollandais Koen Vossen. Ce spécialiste des populismes et de l’extrême droite européenne met en avant deux autres événements médiatiques ayant joué en sa faveur.
Tous les journalistes ont mis en avant ses bonnes performances, et c’est devenu une vérité en tant que telle.
K. Voessen
D’abord, les débats télévisés. « Tous les journalistes ont mis en avant ses bonnes performances, et c’est devenu une vérité en tant que telle, analyse le chercheur. Selon eux, il était devenu plus doux, modéré, et efficace. » Koen Vossen rappelle aussi que le samedi précédant l’élection du mercredi, le journal télévisé public néerlandais s’est ouvert par un sondage de l’Institut Maurice de Hond, « pas le plus fiable » mais plaçant Wilders en tête. « Pour certains électeurs, ça a été un choc, mais pour d’autres, c’était plutôt : “Je peux maintenant voter pour ce parti devenu dominant” », observe Koen Vossen. Et les journalistes politiques se sont précipités pour commenter ce sondage mis en avant par le 20 heures, dont la responsabilité est donc manifeste, estime le spécialiste des médias Rens Vliegenthart.
L’original préféré à la copie
Lors de la précédente élection législative de 2021 et à propos d’un candidat encore plus extrême que Geert Wilders, Thierry Baudet, sorte d’Éric Zemmour mâtiné de Florian Philippot, des scientifiques ont étudié la normalisation médiatique des candidats d’extrême droite. Elles concluaient que, lors des campagnes électorales, les médias « adoptent une position plus accommodante ». En 2023, « le processus est le même », observe la coautrice de cette étude, Elizaveta Gaufman. « Les médias ne pensent pas que les choses doivent être contextualisées pendant la campagne, poursuit-elle. Les médias ont écrit que Geert Wilders est devenu Geert Milders parce qu’il ne disait plus les choses qu’il a dites pendant vingt ans. Mais cela ne veut pas dire que cela a disparu de son programme. Toutes ses mesures islamophobes sont encore là, sauf qu’il ne les a pas mentionnées pendant la campagne. »
Au-delà du marchepied médiatique de temps de campagne électorale, les journalistes néerlandais ont-ils une responsabilité dans la lente ascension politique de Geert Wilders et de son parti ? Les médias du pays ont été relativement prompts à pointer la responsabilité du parti conservateur jusque-là au pouvoir, le VVD du Premier ministre sortant, Mark Rutte. Sa quatrième et dernière coalition a chuté en juillet parce qu’il n’a pu réunir de majorité afin de durcir (une nouvelle fois) les conditions d’accueil des demandeurs d’asile. Et son parti, assurant qu’il pourrait peut-être gouverner avec le PVV de Wilders, a alors décidé de mener campagne sur l’immigration… Un sujet dont la médiatisation bénéficie toujours à Geert Wilders depuis quinze ans, qu’il soit nommé ou non, a montré une étude scientifique de référence. « Nos recherches montrent que les gens préfèrent l’original à la copie », résume la chercheuse Alyt Damstra, principale autrice de cette étude.
Cordon sanitaire
La responsabilité journalistique entourant cette médiatisation semble, aujourd’hui encore, échapper aux journalistes. Certes, reconnaît la chercheuse spécialiste des médias, « il est très difficile » pour un journaliste de tenir compte de cet « effet de possession d’un enjeu » par lequel un parti bénéficie automatiquement de l’évocation d’un sujet. Mais les médias devraient jeter un regard critique sur les « solutions faciles aux problèmes complexes » des partis politiques. « Alors que les Pays-Bas font face à de nombreuses questions politiques complexes (pollution aux nitrates, enjeu climatique, crises du logement et de la santé), les autres partis ne partaient pas gagnants pour essayer de changer la focalisation de la campagne, d’autant plus que le discours sur l’immigration était connecté aux autres enjeux comme le logement et la protection sociale, analyse Alyt Damstra. Selon moi, les médias auraient pu faire beaucoup plus pour évaluer de manière critique cette focalisation sur l’immigration, et sur son rapport allégué avec les autres enjeux. »
Les médias auraient pu faire beaucoup plus pour évaluer de manière critique cette focalisation sur l’immigration.
A. Damstra
Les médias sont-ils condamnés à propulser les victoires électorales de l’extrême droite européenne ? En Europe, une région résiste pourtant bien à ces candidat·es : « Les professionnels des médias au Luxembourg et en Wallonie ont mis en place une démarcation stricte, alors que les médias flamands et hollandais sont devenus de plus en plus accommodants avec les opposants populistes de droite », concluait la chercheuse néerlandaise Léonie de Jonge dans une étude de 2018. Cette politique médiatique (et politique) consiste par exemple à ne pas inviter de tel·les candidat·es dans des émissions en direct. Et elle porte un nom : le « cordon sanitaire ». À bon entendeur…