« 40° sous zéro », un Copi très original

Le Munstrum Théâtre rassemble deux pièces de Copi. Très visuel, baroque, kitsch et sublime à la fois, leur univers à la croisée des disciplines donne puissamment vie aux identités singulières et toujours en mouvement de l’auteur argentin.

Anaïs Heluin  • 31 janvier 2024 abonnés
« 40° sous zéro », un Copi très original
La pièce donne à voir une microsociété peuplée d’êtres qui échappent à toutes les normes en vigueur à l’extérieur.
© Darek Szuster

40° sous zéro / 7 au 10 février, Les Célestins, Lyon (69) / 13 et 14 février, Comédie de Valence (26).

Adeptes entre autres arts de celui du masque, Louis Arene et Lionel Lingelser ont le goût des écritures qui suggèrent ou permettent la mise en scène de monstres. Les deux fondateurs de la compagnie Munstrum Théâtre voient pour cela dans l’œuvre de Copi (1939-1987) un territoire idéal. Ils trouvent aussi de quoi donner forme à leur rêve d’un théâtre où le jeu se mêle à un travail plastique, où la cruauté et l’étrange côtoient, selon leurs termes, «le rire, la surprise et la jubilation». Ils s’emparent de deux textes parmi les plus fameux de l’auteur argentin : L’Homosexuel ou la difficulté de s’exprimer et Les Quatre Jumelles, qu’ils rassemblent sous le titre 40 ° sous zéro, spectacle toujours en tournée depuis 2019.

La longue méditation de Copi sur le corps, le sexe et l’identité.

Créées en 1971 et 1973 par Jorge Lavelli en France, où Copi vivait depuis 1963, ces pièces participent d’un même mouvement, explique Thibaud Croisy dans son excellente postface à une publication où elles figurent aussi côte à côte (1). Non seulement L’Homosexuel et Les Quatre Jumelles « font partie des pièces froides de Copi et contrastent avec la tonalité plus chaude de celles aux inspirations latinos» – d’où le titre choisi par le Munstrum, issu d’une réplique de L’Homosexuel –, mais elles « jettent les bases de la longue méditation de Copi sur le corps, le sexe et l’identité». Pour Louis Arene et Lionel Lingelser, également interprètes de leur spectacle avec cinq autres artistes, se placer sous le signe de la glaciation est aussi une manière de le situer d’emblée à distance de l’homosexualité à laquelle l’univers de l’Argentin a longtemps – et à tort – été cantonné.

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L’Homosexuel, suivi de Les Quatre Jumelles, de Copi, documents et postface de Thibaud Croisy, Christian Bourgois, 2022.

Comme le rappelle en effet Thibaud Croisy, l’auteur n’a jamais été un militant de la cause homo. Et les personnages gays de son théâtre sont davantage portés sur la destruction des frontières entre les sexualités et les genres que sur la défense d’une identité précise. Immense, magnifique bien que drapée d’une vieille couverture en patchwork et coiffée d’un étrange assemblage de boules dorées type décoration de Noël, l’apparition qui introduit 40 ° sous zéro pose les bases d’une esthétique queer qui va à merveille à Copi. Cette beauté faite de matières grossières, qui chante très lentement « Girls Just Want To Have Fun » de Cyndi Lauper, tient autant du maître de cérémonie de cabaret que de la diva. Elle ouvre la voie aux protagonistes de L’Homosexuel comme on le fait d’une trappe derrière laquelle se tapit tout un monde, une microsociété peuplée d’êtres qui échappent à toutes les normes en vigueur à l’extérieur.

Tableaux vivants et coups de théâtre

Madre et Irina, qui se présentent comme mère et fille avant de laisser entendre qu’elles sont peut-être amants, sont esthétiquement comme intimement au-delà des genres. Régulièrement visité par une touffe de poils rampante aussi proche du chien que du rat géant, le drôle de couple fait de force masques et autres prothèses se livre au monstrueux ballet de Copi à la façon Munstrum. Théâtre de tableaux vivants, dont chaque élément – jeu, danse, lumière, son ou encore objets – entre constamment en friction avec l’autre, 40° sous zéro prend garde de ne jamais fasciner totalement le spectateur, de le garder alerte face à la révolution et au tragique que recèle une forme très séduisante.

Le passage de la première à la seconde des pièces réunies par le Munstrum n’est qu’une rupture plus saillante que toutes celles qui composent le spectacle. En entrant dans Les Quatre Jumelles, on laisse de côté le minimum de logique maintenu par Copi envers et contre tous les rebondissements de L’Homosexuel. Là, ce ne sont plus des coups de théâtre qui se produisent toutes les deux secondes, mais une suite de morts et de résurrections, où la drogue et les flingues jouent un rôle aussi important que celles – ou ceux, car l’ambiguïté est là aussi de mise – qui les manient à tour de bras. Ce Copi queer à la puissance deux dit mieux que bien des discours les infinis possibles de l’être, et leur égale grandeur, qui survit à la décadence.

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Théâtre
Temps de lecture : 4 minutes