Emmanuel Macron, tout sauf « inattaquable » sur les violences sexistes et sexuelles
De nombreuses associations et collectifs féministes dénoncent l’hypocrisie d’Emmanuel Macron sur la lutte contre les violences sexuelles, qui se prévaut de lutter depuis 2017 contre les violences sexuelles alors que le budget reste très limité.
Le rétropédalage, tant attendu, s’est révélé extrêmement bref. Il s’est résumé à une poignée de mots. Si le 20 décembre, sur France 5, Emmanuel Macron se congratulait d’être « inattaquable sur la lutte contre les agressions faites aux femmes », quatre semaines plus tard, lors de sa conférence de presse, le chef de l’État a concédé : « Si j’ai un regret, c’est de ne pas avoir assez dit [lors de l’interview télévisée] combien la parole des femmes qui sont victimes de ces violences est importante. »
Une petite phrase – au milieu de plus de deux heures de cérémonie – qui intervient quelques jours après le rassemblement de plusieurs milliers de personnes devant les préfectures et les palais de Justice d’une quarantaine de villes françaises pour protester contre la politique du chef de l’État face aux violences sexistes et sexuelles. Preuve que le chef de l’État peut bel et bien être « attaqué ».
Cette action était organisée par plusieurs associations féministes – Fédération Nationale Solidarité Femmes (qui a créé le numéro d’écoute 3919), Collectif féministe contre le viol, le Planning familial, des comités locaux de NousToutes, etc. À Paris, elle s’est tenue devant la place Saint-Augustin, où de nombreuses prises de parole pointaient « l’inversion de la culpabilité », faisant référence à la « chasse à l’homme » dont serait victime Gérard Depardieu, selon Emmanuel Macron.
« Nous croyons à la présomption de sincérité », affichait de son côté le communiqué du collectif Grève Féministe, qui coordonnait l’événement, ce jeudi 11 novembre. Un principe affiché toute la soirée à Paris, au cours de laquelle l’actrice Anna Mouglalis et l’élue écologiste Sandrine Rousseau ont été aperçues.
À côté de ces actions et de toutes les tribunes et autres textes collectifs qui ont essaimé depuis les déclarations du président de la République, il y a aussi toutes les alertes sonnées par les associations de terrain. « Manque criant de moyens », « hypocrisie », « coup de com’ » : les retours négatifs sont nombreux, alors que lors de sa conférence de presse, Emmanuel Macron a énuméré, sans détourner le regard de ses fiches – dont il n’avait pas eu besoin sur les autres sujets –, les actions menées depuis 2017.
Un satisfecit qui n’est pas sans rappeler celui d’Éric Dupond-Moretti, toujours garde des Sceaux sous le gouvernement de Gabriel Attal, le 2 janvier dans Le Figaro. Il se vantait alors des « premiers fruits » portés par la justice française pour « endiguer les féminicides ».
« Grande cause », petit budget
À l’image des hommes qui s’autoproclament pro féministes, mais dont les actes ne suivent pas leur engagement crié haut et fort, depuis sa réélection en 2022, Emmanuel Macron a multiplié les grands discours sans pour autant les faire suivre d’actes majeurs. Premier écueil : le budget. En 2023, la « grande cause du quinquennat » peine à dépasser les 184,4 millions d’euros. À titre de comparaison, pour la même période, le service national universel coûte 140 millions d’euros. Une enveloppe qui représente une infime partie du budget de l’État : 0,04 %, précisément.
La question budgétaire, c’est justement le thème du dernier rapport de la Fondation des femmes, sorti en septembre dernier. Intitulé « Où est l’argent contre les violences faites aux femmes ? », le document réalisé par Claire Guiraud et Alice Gayraud permet de flécher les différents investissements publics et surtout de dire autre chose des chiffres présentés par le gouvernement.
Ainsi, si l’État a rehaussé de plus de 40 millions d’euros le budget accordé à la lutte contre les violences conjugales depuis 2018, pour l’établir à 171 millions d’euros en 2023, la Fondation des femmes ramène ce chiffre au nombre de victimes qui ne cesse de grimper. En valeur absolue, il s’agit d’une augmentation, mais en valeur relative, c’est une baisse de 26 % du budget par victime. L’État ne dépense plus que 967 euros par victime au lieu de 1 310 euros, selon le rapport.
La Fondation des femmes appelle donc à une « révolution budgétaire » et milite pour que les moyens répondent à l’ampleur des besoins sur le terrain. Ainsi, l’institution a identifié cinq priorités d’action : « le renforcement de l’effort de lutte contre les violences sexuelles, l’augmentation du soutien financier aux dispositifs d’accueil, d’orientation et d’accompagnement des victimes, le renforcement de la chaîne des acteurs de la sécurité et de la justice, le remboursement à 100 % des consultations en psychotraumatologie et l’augmentation des places d’hébergement des femmes victimes de violences ». Des missions qui demandent un soutien financier estimé entre 2,6 et 5,4 milliards d’euros, soit 0,5 à 1 % du budget de l’État.
Les violences conjugales éclipsent les autres
La part qui concerne les violences conjugales représente plus de 90 % du budget de l’État consacré à la lutte contre les violences faites aux femmes. C’est l’autre grief : le montant alloué à la politique contre les violences qui échappent à la sphère conjugale ne représente que 12,7 millions d’euros en 2023. Il est pourtant censé recouvrir des problématiques très larges : les cas de harcèlements sexuels au travail ou dans l’espace public, les victimes de prostitution, etc.
Les violences de genre sont partout, et le budget doit être adapté à cette ampleur.
M. Lenoir
Cette focalisation sur le couple se retrouve dans les chiffres présentés par Éric Dupond-Moretti pour les cas de féminicides. Le garde des Sceaux présentait une baisse de « 20 % » des féminicides en 2023, mais cette donnée ne prenait en compte que les féminicides conjugaux. Ceux qui interviennent dans le cadre familial, et non simplement du couple, au travail, dans le cercle familial ou dans l’espace public ne sont pas comptabilisés. Une définition du féminicide contestée par plusieurs associations, comme NousToutes ou la Fédération nationale des victimes de féminicides.
De la même manière, la concentration du budget autour des violences conjugales ne permet pas de lutter contre les autres violences. Pire, elle les invisibilise. Une pratique qui a des conséquences directes sur les politiques publiques. Ainsi, en 2023, seulement 200 000 euros ont été investis pour accompagner les victimes de harcèlement sexuel au travail ou dans l’espace public. « Il est temps de comprendre que c’est la partie immergée de l’iceberg. Bien sûr, il faut lutter contre les violences conjugales. Mais il faut comprendre que les violences de genre sont partout, et que le budget doit être adapté à cette ampleur », analyse Maëlle Noir.
Immense travail, structures démunies
Dans sa conférence de presse, Emmanuel Macron a dressé son propre bilan en matière de lutte contre les violences sexistes et sexuelles. « J’assume de dire que depuis six ans et demi, j’ai agi », a expliqué le chef de l’État, avant d’énumérer, les yeux rivés sur sa fiche, les différentes mesures prises. Le crédit aux associations ? « Multiplié comme jamais ». Formation des policiers et des gendarmes ? « 140 000 d’entre eux sont formés ». Les téléphones grave danger (TGD) ont été « développés », comme les bracelets ou les moyens pour dénoncer les conjoints violents.
Pour Maëlle Noir, de la coordination nationale de NousToutes, « si des mesures ont été mises en place pour accompagner les victimes, le gros des actions menées se rangent du côté de la répression. Alors qu’on sait que le nerf de la guerre, c’est la prévention ». Sur cet aspect, « les associations sont sous-financées et en surcharge de travail parce qu’elles pallient des manquements de l’État », explique-t-elle.
La gynécologue Ghada Hatem, fondatrice de la Maison des femmes à Saint-Denis, remarque « cette politique de la communication » qui souvent ne « caractérise pas vraiment les actions sur le terrain ». Le gouvernement finance, mais a minima. Il a, par exemple, financé à hauteur de 150 000 euros la création de la Maison des femmes, mais les besoins sont immenses. Le budget annuel de la structure est estimé à 2,5 millions d’euros. Aujourd’hui, les deux tiers de son budget viennent de l’argent public, le reste étant financé par le mécénat, ce qui n’est pas le plus « sécurisant ».
Il faut vraiment investir l’école et tous les lieux que fréquentent les jeunes générations.
G. Hatem
L’« immense chantier de la prévention » est, en revanche, asséché en termes de budget, selon Ghada Hatem. Le rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes l’a notifié dans son dernier apport, ce lundi 22 janvier. C’est le sixième état des lieux du sexisme en France, et il invite à « s’attaquer aux racines du sexisme ». L’institution s’alarme de la part toujours grandissante de préjugés, y compris chez les jeunes générations. « Un quart des 25-34 ans pense qu’il faut parfois être violent pour se faire respecter », analysent les auteurs. Deux tiers des filles de 15-24 ans estiment ne pas avoir reçu la même éducation que leur frère.
Des inégalités qui inquiètent Ghada Hatem. « La posture des adolescents s’aggrave. On a raté cette sensibilisation de la jeunesse. Il faut vraiment investir l’école et tous les lieux que fréquentent les jeunes générations », explique-t-elle. À ce titre, la défense de Gérard Depardieu exprimé par Emmanuel Macron, le 20 décembre, « est loin de donner le bon exemple » pour Maëlle Noir. « Ce discours témoigne d’un mépris immense pour les citoyennes, les associations et les victimes de violences sexistes et sexuelles », pointe-t-elle. Le mea culpa du président de la République ne suffira sûrement pas, sauf s’il s’accompagne d’une tant attendue « prise de conscience de l’ampleur du problème ».
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