En Italie, le salut fasciste considéré comme un délit… dans certains cas seulement
Le verdict de la plus haute juridiction italienne renforce l’ambiguïté à l’égard du fascisme en Italie, nourrie par le parti de la présidente du Conseil, Giorgia Meloni.
Dans une rue de Rome, des dizaines de personnes en tenues sombres sont placées en rangs serrés. D’une seule voix, ils hurlent le cri de ralliement fasciste « Présent ! », en levant d’un coup sec leur main tendue. Cette scène, qui semble tirée d’une archive des années 1920, a été filmée le 7 janvier. Ce jour-là, les manifestants rendaient hommage à trois militants néofascistes, tués en 1978. Mais des images comme celle-ci sont récurrentes en Italie. C’est le cas, par exemple, chaque année à Milan ou encore à Predappio, devant la tombe du dictateur Benito Mussolini.
On sait que le fascisme est un crime mais aucune loi ne définit ses contours.
F. Filippi
Ce geste renvoyant aux heures sombres de l’histoire italienne ne doit-il pas être puni ? Oui, mais seulement s’il est exécuté avec la volonté de rétablir le régime fasciste (1922-1943), a précisé le 18 janvier la Cour de cassation, la plus haute juridiction du pays. Les simples commémorations ne sont pas visées. Pour Elia Rosati, professeur à l’Université de Milan et spécialiste du néofascisme, ce verdict « légalise le salut romain ». Si bien que le groupe Casapound – qui se déclare ouvertement fasciste – a célébré « une victoire historique qui fait taire tout le monde ».
Mais surtout, la décision de la Cour de cassation montre une fois de plus que le fascisme est « un sujet non résolu », observe Francesco Filippi, auteur du livre au titre provocateur Y a-t-il de bons dictateurs ? Mussolini une amnésie historique (2020). « On sait que le fascisme est un crime mais aucune loi ne définit ses contours. Ce qui montre la difficulté de notre pays à régler ses comptes avec son histoire », assure-t-il. Les causes de cette ambiguïté italienne sont historiques et multiples. Le fait est que depuis la chute de Mussolini, « il y a eu une présence constante de la subversion néofasciste », explique Andrea De Maria, député du Parti démocrate et auteur d’une proposition de loi pour renforcer la lutte contre l’apologie du fascisme.
Le tournant Berlusconi
Mais c’est surtout l’arrivée de Silvio Berlusconi en politique, il y a trente ans, qui marque un tournant. « C’est nous qui avons fait entrer les fascistes au pouvoir. C’est nous qui les avons légitimés », se vantait-t-il en 2019. Silvio Berlusconi devient président du Conseil en 1994, en scellant une coalition avec le parti d’extrême droite indépendantiste Lega Nord et les postfascistes du Movimento Sociale Italiano (le MSI, dont fait partie Giorgia Meloni, devenue présidente du Conseil en 2022 après sa victoire électorale), qui deviendra Alleanza nazionale, et Fratelli d’Italia. Pire : le milliardaire va jusqu’à affirmer que « Mussolini avait aussi fait de bonnes choses » ou encore qu’« il n’avait jamais tué personne ».
Désormais légitimés, les héritiers du postfascisme mènent depuis 30 ans « une bataille très forte de nature culturelle. Ils ont réussi à réécrire l’histoire dans l’esprit des gens », continue Elia Rosati. Par exemple, ils ont insufflé l’idée que la fête de la Libération de l’Italie était « une journée de célébration pour la gauche, et non une fête nationale », observe-t-il. Aujourd’hui, l’ambition de Fratelli d’Italia est d’intégrer son ancêtre le MSI dans « la mémoire officielle » du pays, explique le professeur. Ses partisans militent notamment pour renommer des rues au nom de son fondateur Giorgio Almirante, un ex-dirigeant du régime fasciste.
Réécrire l’histoire
Et si en 2022, Giorgia Meloni a voulu faire taire les polémiques en assurant que « la droite a relégué le fascisme à l’histoire », des ambiguïtés persistent au sein de son parti, dont les membres refusent de se déclarer antifascistes. Les exemples sont nombreux. Comme en 2018, quand l’actuel président du Sénat Ignazio La Russa montrait fièrement à des journalistes un buste du « Duce » exposé chez lui. Ou encore récemment quand la section du parti à Parme a fait un clin d’œil au fasciste Italo Balbo, lors du dîner de Noël.
C’est le néofascisme du troisième millénaire.
E. Rosati
Quant à la présidente du Conseil des ministres, elle n’a jamais condamné le salut du 7 janvier. Aussi, comme la Lega de Matteo Salvini, Fratelli d’Italia a eu des « sympathies » avec Casapound, rappelle Elia Rosati. En 2019, Ignazio La Russa a même participé à une fête de ce groupe néofasciste, l’un des plus violents avec Forza Nuova.
Faut-il pour autant y voir une volonté de retourner au fascisme ? « Non », tranche la politologue Giorgia Bulli. Mais cela montre « une stratégie » du parti de Giorgia Meloni « de ne pas vouloir renier une culture politique. Il y a encore la nécessité de parler à un certain environnement », explique-t-elle. Le problème, selon Elia Rosati, « c’est que du dernier néofasciste au ministre de Fratelli d’Italia, ils utilisent le même vocabulaire sur le remplacement ethnique, l’anti-égalité, l’immigration. C’est le néofascisme du troisième millénaire ».
Enfin, entretenir l’ambiguïté – voire réécrire l’histoire fasciste – empêche le pays de « se construire un futur », prévient Francesco Filippi. « Si on continue à se mentir en répétant que l’Italie a eu une dictature favorable, il y aura toujours quelqu’un pour dire qu’il faudrait presque un leader non démocratique pour régler les problèmes du pays. Seuls ceux qui n’ont pas vécu la dictature peuvent penser que c’est une bonne idée », conclut-il.
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