VSS : le lycée autogéré de Paris menacé
À la suite d’un signalement pour violences sexistes et sexuelles, le lycée autogéré de Paris a été visé par une enquête administrative de l’inspection générale. L’établissement se retrouve dans la tourmente et voit ses piliers remis en cause.
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Au 393 rue de Vaugirard, la petite grille rouge cache un escalier ouvert qui mène au jardin. Là, les élèves fument en s’abritant de la pluie de décembre. Depuis la rentrée scolaire, une question demeure : le lycée autogéré de Paris (LAP) sera-t-il toujours là l’année prochaine ? Alors que l’établissement est menacé par une énième attaque, l’inquiétude est réelle. « On a déjà bataillé pour rester ce que nous sommes. Mais là, ce n’est pas pareil. Il y a plus d’inquiétude », souligne Fox, élève en terminale.
En juin 2022, le nouveau recteur de Paris, Christophe Kerrero a refusé de renouveler la convention de deux ans, convention qui réglemente depuis dix ans l’établissement public créé en 1982. « Le LAP repose sur trois piliers : l’autogestion, la cooptation et la libre fréquentation. Le rectorat les remet en cause, notamment ce dernier, explique Samuel, professeur d’histoire. Ce principe est un accord passé entre l’établissement, les élèves et leurs familles, et repose sur la présence volontaire de l’élève. » Autrement dit, les absences ne sont pas sanctionnées ni rapportées aux parents, ce qui convient à Léo.
Le jeune homme est arrivé au LAP après plusieurs séjours en hôpital psychiatrique et de lourds épisodes de phobie scolaire. « Dans les établissements normaux, je faisais des crises d’anxiété car je ne supporte pas de rester assis des heures en classe. Au LAP, je peux venir quand je le sens. Par exemple, je me suis promis de rater le moins possible de cours de littérature, car j’adore cette matière. Et, depuis septembre, je tiens le coup ! »
Tensions et violence
Mais depuis son arrivée, la rentrée dernière, Léo n’échappe pas aux inquiétudes des élèves et des enseignants quant au devenir du lycée autogéré. « On peut émettre trois hypothèses quant à la survie du LAP : soit cela continue comme nous fonctionnons actuellement, soit le LAP est fermé, ou encore le rectorat exige une transformation et une normalisation de l’établissement en exigeant que l’établissement entre dans le cadre des établissements expérimentaux, ce qui ne correspond pas à certains de nos principes », détaille Samuel.
La rentrée a par ailleurs été marquée par une enquête diligentée par l’inspection générale de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (IGESR), ravivant l’inquiétude de la communauté éducative et des élèves. Si les conclusions ont normalement été rendues au ministre de l’Éducation en décembre 2023, aucune annonce n’a été faite. « Ce lycée a sauvé bien des élèves, dont ma fille, il ne faut pas qu’il ferme », s’indigne Marie, mère d’élève.
Cette enquête de l’IGESR a été déclenchée à la suite de plusieurs rapports et courriers émanant des professeurs, des d’élèves et des parents. Tous alertaient sur le climat émaillé de tensions, voire de violences, qui s’était installé au lycée. « Plusieurs élèves nous avaient fait remonter des problèmes vis-à-vis d’un de nos collègues qui avait des propos et des gestes dont elles souffraient, parce qu’elles s’estimaient atteintes dans leur intégrité physique et psychologique », explique l’une des enseignantes qui a signé un rapport d’infraction en milieu scolaire (RIMS) (1).
Ces rapports d’infractions en milieu scolaire, parfois surnommés signalements, sont la procédure à suivre pour plusieurs types d’infractions, notamment les violences verbales, physiques et sexuelles.
« Des élèves, toutes mineures au moment des faits, se plaignaient des surnoms qu’avait l’habitude de leur donner cet enseignant, de “plaisanteries” jugées sexistes, mais aussi de mains posées sur leur taille, leurs cuisses, leurs fesses, notamment lors de l’activité escalade, alors que cela ne leur paraissait pas nécessaire, qu’elles ne le souhaitaient pas et qu’elles avaient demandé qu’il cesse. »
Propos sexistes et « gestes déplacés » d’un enseignant
Ce sont les élèves qui ont alerté sur ces situations lors d’une assemblée générale à huis clos, le 3 janvier 2023. Une organisation vivement critiquée par certains enseignants puisque le fonctionnement autogéré de l’établissement proscrit les réunions interdites à une partie des membres du lycée (2). « Sur le fonctionnement collectif, quand ça dysfonctionne, on peut écouter sans forcément bouleverser l’organisation de l’établissement. Tout l’enjeu du LAP, c’est de faire collectif sans imposer les besoins individuels », explique Samuel.
Le projet d’établissement prévoit cependant quelques exceptions, notamment lorsque les professeurs abordent des cas particuliers d’élèves ou la vie d’un professeur en réunion d’équipe pédagogique.
De leur côté, les lycéens estiment qu’ils avaient besoin de ce moment, et les témoignages sont recueillis. Une semaine après, les professeurs font le point sur ces témoignages et décident de faire un signalement au rectorat. « À ce moment, on s’était dit que l’on avait fait ce qu’il fallait : alerter l’équipe pour qu’une décision soit prise », estime Gaëlle. L’enseignant concerné, alerté par certains de ses collègues, est mis en arrêt. À ce jour, il n’est pas revenu au LAP. Mais, la semaine suivante, le 17 janvier, la réunion d’équipe annonce que le signalement est « humainement impossible ».
Un des enseignants défend sa position : « Les témoignages rapportés sur des situations passées interrogent quant à la qualification de violence sexiste et sexuelle. » Lui souligne que, par le passé, un enseignant dont le comportement posait problème avec une élève avait déjà été signalé au rectorat. « Ses actes étaient pénalement répréhensibles. Là, on est dans quelque chose de plus flou. » Une réponse que rejette une enseignante ayant signé le RIMS. Elle explique ce revirement par le fait que, cette fois-ci, les témoignages visent « un enseignant historique du LAP ». « Le réflexe des collègues est de se protéger. Cela démontre une vraie problématique autour de l’intégration des VSS dans l’autogestion. »
On a eu le sentiment d’être trahis, et les victimes d’être abandonnées.
Fox
Face à ce revirement, « on a eu le sentiment d’être trahis, et les victimes d’être abandonnées », raconte Fox. Les lycéens se mobilisent et organisent une seconde AG à huis clos, le 24 janvier. La majorité des 120 participants se prononce en faveur d’un signalement au rectorat. Le même vote est soumis aux professeurs lors d’une réunion d’équipe, le surlendemain. Mais là, le résultat est plus complexe : 6 pour et 6 contre. Les enseignants ayant voté contre proposent de mettre en place une justice transformatrice et d’alerter les parents des victimes.
Ceux ayant voté pour restent sur leur position : « En tant que professeurs d’un lycée public, il est de notre devoir de faire un signalement lorsque l’on constate ce genre d’infraction », expliquent-ils. Le 29 janvier, le RIMS est envoyé au rectorat par 7 enseignants sur 24, et la communauté éducative se divise. Face à un climat qui se détériore, quatre des enseignants ayant signé le rapport déposent un signalement au registre de santé et de sécurité au travail pour injures et menaces.
Un quatrième pilier
La mobilisation des élèves persiste. Le 11 avril, plusieurs lycéens arrivent avec un tee-shirt « Lycée des Agresseurs Protégés » et ce slogan apparaît aussi sur les tags des murs. Moins d’un mois plus tard, un blocus est organisé. Les participants demandent que l’enseignant concerné ne revienne pas, mais aussi une « restructuration du LAP pour plus de pouvoir aux élèves, plus de démocratie et moins de hiérarchie ». Durant cette fin d’année scolaire, « de nombreux élèves et enseignants ont laissé des plumes », souligne Fox. Finalement, le 7 juillet, l’IGESR se voit confier la mission d’enquêter sur le LAP au motif de « situation préoccupante en termes de sécurisation des élèves et de certains enseignants ».
Est-ce que toutes les situations de VSS dans les établissements scolaires donnent lieu à une enquête du ministère ?
Au-delà des divisions, ce qui inquiète enseignants, parents et élèves, c’est que les conflits internes soient instrumentalisés pour faire fermer le LAP. « Est-ce que toutes les situations de VSS dans les établissements scolaires donnent lieu à une enquête du ministère qui menace l’établissement ou son projet pédagogique ? », s’interrogent-ils. « On a besoin de ce genre d’espace au sein de l’Éducation nationale pour que les élèves qui ne trouvent pas leur place dans d’autres établissements puissent s’épanouir, souligne Marie, la mère d’élève. Mais pour autant, cela signifie-t-il qu’il faut fermer les yeux sur tout ce qui pourrait nuire au LAP ? »
Pour Maya, une enseignante du LAP qui a depuis quitté l’établissement, « cette affaire a cristallisé la problématique des VSS mais aussi celle de l’organisation interne : nos élèves évoluent sur ces questions, il faudrait que l’équipe pédagogique évolue également. Et qu’est-ce que l’autogestion avec des élèves et des enseignants qui n’ont pas le même statut et pas le même pouvoir ? » Et les élèves en ont bien pris conscience. Un groupe de travail spécifique a été formé pour élaborer un protocole de prise en charge des VSS au sein de l’établissement. « Traditionnellement, le LAP repose sur trois piliers, explique Fox. Nous voulons en proposer un quatrième : la lutte contre toutes les discriminations ! »