Gauches : les grands chantiers de l’unité

Si PS, PC, LFI, Génération·s et Écologistes n’ont quasiment aucune chance de fusionner dans une liste unique pour les européennes, ils n’abandonnent pas l’idée de l’union. Au sein de la Nupes, certains espèrent un nouveau programme commun et pensent déjà à une équipe en vue de 2027.

Lucas Sarafian  • 16 janvier 2024 abonnés
Gauches : les grands chantiers de l’unité
La gauche mobilisée lors de la manifestation du 13 avril 2023 contre la réforme des retraites.
© FREDERIC PETRY / Hans Lucas / AFP

À gauche, c’est comme si tout le monde avait sa propre version de l’unité. Certains veulent conserver tel quel l’accord ayant donné naissance à la Nouvelle Union populaire, écologique et sociale (Nupes) en juin 2022. D’autres veulent appliquer l’union à chaque scrutin jusqu’à la prochaine présidentielle. Et d’autres encore veulent changer son fonctionnement tout en plaidant pour une candidature commune en 2027. Les grandes chapelles de la gauche ne sont plus du tout sur la même longueur d’onde. Depuis les attaques du Hamas, alors que La France insoumise (LFI) s’empêtre dans un fatras sémantique entre « crimes de guerre » et « terrorisme », les tweets de Jean-Luc Mélenchon s’enchaînent et les invectives entre chefs de ­partis et députés se multiplient.

Il faut que chacun ait en tête que le rassemblement n’est pas la mise au pas des autres.

O. Faure

Pour ne rien arranger à la situation, les ­partis de gauche savent qu’ils devront s’affronter pendant la campagne des européennes, qui saturera l’espace politique et médiatique des six prochains mois. Chacun défend déjà sa propre liste et sa stratégie. Tous semblent avoir oublié ce qui les avait poussés à s’unir en 2022 : la nécessité de proposer une alternative au bloc libéral et à celui d’extrême droite – déjà très haut dans les sondages – et le risque de scores riquiquis. Dans cette situation, difficile d’imaginer que la campagne à venir n’affaiblira pas encore un peu plus l’idée de l’union.

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« Il faut réussir à faire une campagne positive, les gauches doivent s’opposer au camp macroniste et au Rassemblement national, et ne pas se battre les unes contre les autres », croit fermement Alexandre Ouizille, sénateur PS de l’Oise. Mais, pour le moment, personne n’a encore répondu officiellement à la demande de pacte de non-agression formulée par Marie Toussaint, eurodéputée et tête de liste des Écologistes (ex-EELV) pour 2024.

Construire une « dream team »

Afin de consolider les murs très fragiles de la Nupes, certains espèrent prolonger la séquence de la loi immigration, où les gauches ont été capables de faire front commun. « J’espère que les partis vont se dire que cette mobilisation prouve que la gauche peut se retrouver », lance le député écologiste du Val-d’Oise Aurélien Taché. « Il s’est passé quelque chose. Et nous devons en prendre conscience, reconnaît Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste. Mais il faut que chacun ait en tête que le rassemblement n’est pas la mise au pas des autres. C’est la volonté de faire ensemble. Cela suppose que chacun fasse parfois des efforts. » Le moratoire des socialistes lancé après la crise autour du conflit israélo-­palestinien n’est pas terminé. Ils ne sont donc pas près de se réengager du jour au lendemain dans une démarche unitaire.

Les électeurs de gauche en ont soupé du pouvoir personnel, de la communication politique poussée à l’excès.

S. Troussel

« La communication de Jean-Luc Mélenchon est toujours un problème pour nous », estime un proche du premier secrétaire. Il est donc impossible que ce combat contre ce projet de loi réveille soudainement des envies d’union. Par ailleurs, personne n’a encore répondu au courrier envoyé par Manuel Bompard, patron de LFI, appelant au soir de l’adoption de ce texte à une« réunion d’urgence ». Toutefois, tous les états-majors des partis semblent avoir coché dans leur agenda la date du 21 janvier, jour du rassemblement contre la loi immigration. Une occasion d’engager de nouvelles discussions ?

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De leur côté, les Écologistes tiennent toujours à la proposition qu’ils avaient faite en octobre : l’organisation d’une assemblée générale réunissant les 151 députés de gauche à l’Assemblée nationale. Initialement pensée pour crever l’abcès provoqué par les divergences de position sur la guerre au Moyen-Orient, cette initiative pourrait poser les bases d’un nouveau rassemblement. « C’est une bonne idée. Et si certains ne veulent pas y participer, qu’ils ne viennent pas. Ce n’est pas parce que Fabien Roussel veut sortir de la Nupes qu’il faut arrêter la logique d’union », lance, bravache, Aurélien Taché.

Mais les insoumis ne veulent pas discuter d’un nouveau rassemblement si les autres formations refusent de jouer le jeu de l’union au prochain scrutin. « On dit toujours qu’on a bien plus en commun, on peut toujours s’unir sur le programme de la Nupes. Nous sommes pour des candidatures communes depuis le début : sénatoriales, européennes, municipales, présidentielle. Ce n’est pas nous, le problème », affirme une insoumise proche de la ligne de la direction. Dans les rangs du triple candidat à la présidentielle, on partage un message clair : la gauche perd en crédibilité si elle ne se présente pas unie à chaque élection. Une façon de mettre la pression aux partenaires, au risque de faire exploser ce qu’il reste d’unité ?

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Néanmoins, tout le monde est bien conscient qu’aucun mouvement d’ampleur n’aura lieu avant juin 2024. « Ce sera difficile de réfléchir à autre chose qu’aux européennes avant juin. Mais, après cette séquence, il ne restera plus trop de temps, ça nous obligera à construire quelque chose », assure Stéphane Troussel, porte-parole du PS et président du département de la Seine-Saint-Denis. Et pour reconstruire l’union des gauches et se préparer à 2027, il pose deux objectifs : « bâtir un projet qui nous engage tous et construire un collectif qui nous fasse envie ». En clair, un nouveau programme commun et une équipe pour le porter. « Ce n’est pas la culture de la gauche de se ranger derrière un homme providentiel. Les électeurs de gauche en ont soupé du pouvoir personnel, de la communication politique poussée à l’excès. Il faut donc construire un collectif, une “dream team” », explique-t-il.

« Reprendre la bataille des idées »

Une démarche partagée par d’autres. « Il faut créer des passerelles entre des tas de personnalités de gauche qui pourraient constituer demain l’équipe de France de la gauche et des écologistes. Aujourd’hui, la gauche ne doit pas se choisir un capitaine, mais créer un collectif », abonde un député écologiste. Peut-être comptent-ils s’inspirer du gouvernement de gauche plurielle de Lionel Jospin en 1997 ?

Parmi cette équipe pour le moment fictive, certains citent les insoumis François Ruffin, Alexis Corbière et Clémentine Autain, les écologistes Marine Tondelier, Yannick Jadot et Julien Bayou, les communistes Elsa Faucillon et Ian Brossat, ainsi que les socialistes Olivier Faure et Boris Vallaud. « Peut-être que la personne qui devra porter ce projet en 2027 sortira du lot naturellement. Sinon, on mettra en place un processus pour la sélectionner », estime Stéphane Troussel. En clair, les contours restent à définir.

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Concernant la méthode de désignation, la gauche pense au système des primaires, mais personne ne l’évoque encore. Tout le monde est conscient que les insoumis y seront fermement opposés. « Mélenchon a encore ses années PS dans la tête. Toute pratique qui lui rappellera un parti traditionnel sera rejetée », assure un insoumis qui plaide pour une confrontation de projets défendus par des délégués au sein d’une assemblée qui désignerait le candidat. Un objet politique très flou. « La gauche perd du temps sur des questions de stratégie politique, j’ai du mal à en percevoir les subtilités parfois. Il faut plutôt qu’on trouve les marqueurs de fond susceptibles de nous réunir et de construire les modalités pour organiser notre unité au premier tour de 2027 », tranche un cadre de Génération·s.

Il faut bâtir un programme pour 2027 et ne pas se contenter de reprendre celui de 2022. 

E. Sas

Mais, avant de plancher sur la candidature et l’organisation qui l’entourerait, beaucoup s’accordent sur la nécessité de renégocier le programme de la Nupes, signé pour les législatives de juin 2022.« On a manqué d’unité. Cette alliance, on l’a faite au forceps. On peut la construire de manière plus profonde et penser un projet auquel on adhère davantage,assure Éva Sas, députée écologiste de Paris. Il faut bâtir un programme pour 2027 et ne pas se contenter de reprendre celui de 2022. » Certains socialistes, qui préfèrent parler de réactualisation plutôt que de renégociation, espèrent des rendez-vous communs cet été.

« Les gens ne nous imaginent pas gouverner. Il faudrait réfléchir ensemble. Par exemple : construire la première loi qu’un gouvernement de gauche pourra présenter aux Français », imagine Alexandre Ouizille. Aurélien Taché se dit favorable à la création de groupes de travail sur des sujets précis comme la lutte contre ­l’extrême droite ou les questions internationales. « C’est une idée qui permettrait de consolider notre offre idéologique et de reprendre la bataille des idées », défend-il. En somme, un récit commun est à réécrire. Et la gauche a du pain sur la planche.

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