« La Grâce », cinéma d’itinérants

Dans le film d’Ilya Povolotsky, un père et sa fille adolescente traversent la Russie à bord d’un van. Un film d’errance et d’apprentissage.

Christophe Kantcheff  • 23 janvier 2024 abonné·es
« La Grâce », cinéma d’itinérants
Ilya Povolotsky, dont c’est ici le premier long-métrage de fiction après deux documentaires, enregistre son pays sans misérabilisme.
© Bodega Distribution

La Grâce / Ilya Povolotsky / 1 h 59.

La Grâce raconte un voyage sans but apparent à travers la Russie, du sud (le Caucase) vers la mer de Barents. Un père (Gela Chitava) et sa fille adolescente (Maria Lukyanova) circulent dans un van, agencé pour pouvoir y vivre. Les données scénaristiques se dévoilent peu à peu, le rythme du film étant à la mesure de la vitesse de leur véhicule. Mais on apprend vite que la mère de la jeune fille est morte. On découvre plus tard qu’ils voyagent avec l’urne contenant ses cendres. Cette absence-présence pèse sur les relations entre le père et la fille. Celle-ci exprime le souhait d’aller « vers la mer ». Le jeu de mots ne fonctionne pas en russe mais il sonne à l’oreille française.

La Grâce Ilya Povolotsky

Le père et la fille organisent des projections itinérantes ; lui revend sous le manteau des DVD pornos. La Russie qu’ils traversent est froide, grise et marron, mais les paysages – les cadres choisis pour les filmer – sont superbes, même si les bâtiments se délabrent. Ilya Povolotsky, dont c’est ici le premier long-métrage de fiction après deux documentaires, enregistre son pays sans misérabilisme.

Éclats de vie

On y sent cependant l’horizon borné et la violence sous-jacente. La Grâce a été tournée avant l’agression de l’Ukraine par la Russie, que le cinéaste, lorsque son film a été projeté à Cannes, à la Quinzaine des cinéastes, a condamnée. On pense à certaines œuvres des débuts de Wim Wenders. À Au fil du temps (l’un des protagonistes était projectionniste) et à Alice dans les villes pour le rythme, l’errance et les photos au polaroïd que prend la jeune fille, parfois en les mettant en scène, constituant pour elle des éclats de vie et de beauté.

Quand les personnages approchent de la mer, ils découvrent que les poissons sont atteints d’une maladie mortelle : la peste. C’est l’une des figures des contes d’Europe centrale que Povolotsky dit avoir intégrée dans la narration. S’instaure, au-delà du réalisme, un climat presque fantastique, comme un parcours semé d’épreuves que le père et sa fille doivent surmonter. Les deux comédiens sont parfaits : Gela Chitava avec son côté un peu buté ; Maria Lukyanova, dont le visage est d’une grande cinégénie, faisant de cette jeune fille un être volontaire, à la recherche de son affirmation. La Grâce est aussi un beau film d’apprentissage.

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Cinéma
Temps de lecture : 2 minutes