La mouvance anti-IVG, toujours vivace en France
Alors que le débat sur la constitutionnalisation du droit à l’IVG doit revenir à l’Assemblée nationale, la mouvance antichoix est toujours plus active en France. Panorama d’une nébuleuse.
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Droit à l’IVG : en Europe, une âpre révolution féministe Enfumage L’IVG devient une « condition de notre démocratie » Italie : dans les régions, Giorgia Meloni et ses alliés mettent en danger l’IVG« Visite de l’Institut Jérôme Lejeune, lieu de passion et d’énergie » écrivait sur X (ex-Twitter) feu l’éphémère ministre de la Santé Agnès Firmin Le Bodo, le 4 janvier dernier. Une visite qui a notamment fait bondir les associations de défense du droit à l’avortement, et pour cause. L’institut parisien héberge une fondation du même nom, qui est aujourd’hui « un des fers de lance de la mouvance anti-IVG en France » selon Salomé Hédin, chercheuse à l’université Paris II Panthéon-Assas.
Depuis un an, on voit une forte montée de l’activisme antichoix et antidroit.
S. Durocher
Ce « petit réseau de militants », « référence permanente » des anti-IVG selon la sociologue, est nommé d’après Jérôme Lejeune, codécouvreur de l’anomalie chromosomique responsable de la trisomie 21 avec Raymond Turpin et Marthe Gautier. Cette fondation trouve même un écho jusqu’à l’Assemblée nationale. « Il est temps de lever l’omerta qui entoure l’avortement » écrit la députée du Rassemblement national Mathilde Paris sur Instagram en 2018. Quatre ans avant, elle comparait l’avortement à un « crime contre l’humanité » semblable à ceux commis au nom de « l’idéologie nazie ». Pour se justifier, elle avance l’année dernière avoir réutilisé les termes du professeur Lejeune.
Pour le Planning Familial, une des plus anciennes associations de lutte pour le droit à la contraception et à l’avortement, cette importance de la Fondation Lejeune n’est pas surprenante : « Depuis un an, on voit une forte montée de l’activisme antichoix et antidroit » raconte Sarah Durocher, coprésidente du Planning. « Ce sont des mouvements surfinancés, qui ont un vaste éventail de moyens d’action. Le lobbying politique en fait partie. » Une prise d’importance toutefois inquiétante : le 24 janvier, la constitutionnalisation de l’IVG, promise à nouveau par Emmanuel Macron en octobre 2023, doit revenir à l’Assemblée nationale, après un aval donné par le Sénat – une première pour cette institution très droitière.
L’accès à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) est-il une liberté ou un droit fondamental ? C’est l’un des enjeux de ce projet de constitutionnalisation, et la question divise. Pour la gauche, la réponse est évidente. Alors que le droit à l’avortement est largement remis en cause aux États-Unis, en particulier depuis l’annulation de l’arrêt Roe v. Wade par la Cour Suprême en 2022, qui le sanctuarisait depuis 1973, et que les mouvements anti-IVG donnent de la voix partout en Europe, il s’agit de protéger le droit absolu de toutes les femmes de recourir à l’avortement, sans entrave.
Pour la droite, c’est moins sûr. Si elle a bien validé la proposition de loi déposée par la Nupes à l’Assemblée nationale en octobre 2022, elle avait fait échouer celle, pourtant pas très différente, de la sénatrice écologiste Mélanie Vogel le même mois. Et a modifié la proposition de la Nupes, qui, en plus de sanctuariser l’IVG et la contraception, protégeait aussi l’accès « libre et effectif à ces droits » fondamentaux.
La version finale du texte retenue par le gouvernement et présentée en décembre dernier en conseil des ministres est une sorte de synthèse entre le droit absolu défendu par la gauche, et la « liberté d’avorter » défendue par la droite. Car ce texte, s’il protège l’IVG, ne protège pas les conditions dans lesquelles il s’effectue. Ce qui signifie qu’en cas d’accession au pouvoir de l’extrême droite ou de la droite conservatrice, rien ne les empêcherait de réduire le délai d’accès à l’IVG, supprimer son remboursement, l’interdire aux mineur·es sans autorisation parentale, imposer une série d’étapes administratives préalables…
Et il est plus excluant que dans sa version originale, puisqu’il fait mention spécifiquement de la liberté des femmes à avorter, quand celui écrit par la gauche ne le faisait pas, incluant par défaut toutes les personnes en capacité d’être enceintes, quel que soit leur genre.
Même si la présidente du RN et députée du Pas-de-Calais Marine Le Pen a voté pour la constitutionnalisation du droit à l’avortement, la moitié des députés de son groupe s’est opposée ou abstenue lors du vote en novembre 2022. « Avec 88 députés RN, on assiste à une droitisation de la société, et du discours politique », analyse Sarah Durocher. Droitisation qui se retrouve dans les alliances de plus en plus fréquentes entre droite et extrême droite, et même jusque dans le discours présidentiel : Emmanuel Macron parle désormais de « réarmement démographique ». Un terme qui inquiète puisqu’il suggère une vision de la maternité non pas comme une question de santé publique, mais de devoir national.
Hier, à trois jours du début des débats au Palais Bourbon, les anti-IVG ont défilé dans les rues de la capitale pour une nouvelle édition de la Marche pour la vie. Ce grand raout annuel est organisé depuis 2005 par différentes associations « pro vie » autour de la date anniversaire de la loi Veil du 17 janvier 1975 qui dépénalise l’IVG. L’événement rassemble chaque année toutes les familles de la droite, des Républicains au Rassemblement National en passant par Reconquête et rameute dans son sillage nombre de radicaux. L’année dernière, une cinquantaine de nationalistes révolutionnaires du Groupe Union Défense et de groupes amis s’étaient retrouvés à l’occasion de la manifestation.
Si on pose la question « Dois-je avorter ? » à Google, les quatre premiers sites suggérés sont anti-avortement.
Les royalistes de l’Action Française sont au rendez-vous tous les ans, et la porte-parole de la Marche pour la vie, Aliette Espieux, est une très proche de Lyon Populaire et de son leader néonazi Eliot Bertin. Cette année n’a pas dérogé à la règle : on a pu y croiser le GUD Paris, les nationalistes-révolutionnaires versaillais d’Auctorum, les identitaires des Normaux, les néonazis de Clermont Non-Conforme, et une bonne partie de l’Action Française dans les rangs des bénévoles « sécurité » de la marche.
Le principal terrain de lutte de la mouvance anti-IVG reste celui de l’influence et de la présence médiatique. Les chaînes du groupe Bolloré, CNews et C8 en tête, sont un relais régulier de cette nébuleuse. Peu surprenant quand on se rappelle que le milliardaire, Vincent Bolloré, catholique traditionaliste de son état, assume complètement d’utiliser son empire médiatique pour servir son combat politique ultra-conservateur. La diffusion du film américain anti-avortement Unplanned sur C8 en 2021 en est un exemple.
La promotion en septembre dernier d’un événement des Éveilleurs en est un autre. Cette organisation, créée en 2015, construit son militantisme contre l’immigration, les droits des personnes LGBT, ou encore l’accès à l’IVG. En septembre, lors de la soirée des Éveilleurs au Cirque d’Hiver, le village associatif rassemblait, entre autres, la Marche pour la Vie, SOS Chrétiens d’Orient, la Fondation Jérôme Lejeune, ou encore le Syndicat de la Famille (nouveau nom de la Manif pour Tous). Autre groupe anti-avortement très actif dans les années 2010, les Survivants d’Émile Duport sont réapparus au début de l’été dernier, recouvrant les Vélib’ parisiens, puis les Vélo’v lyonnais, de stickers anti-avortement. Vélib Métropole avait annoncé porter plainte.
Le Planning familial dans le viseur
Les anti-IVG multiplient les sites Internet faussement neutres sur le sujet, accumulant les noms de domaine. Leur but assumé est de culpabiliser leurs victimes, et de les dissuader d’avorter. Si on pose la question « Dois-je avorter ? » à Google, les quatre premiers sites suggérés sont anti-avortement. Le site gouvernemental dédié à l’IVG n’arrive qu’en septième résultat. « Sur le terrain, les militants anti-IVG constatent souvent que les gens à qui ils parlent sont mal informés sur la question » avance Salomé Hédin. « Alors ils s’enfoncent dans cette brèche, quitte à diffuser des informations médicalement fausses, ou difficilement vérifiables, par exemple sur les réseaux sociaux. »
Mais les anti-IVG ne se contentent pas d’actions médiatiques : le Planning Familial relève une forte augmentation des attaques de leurs antennes locales, mais aussi des intimidations personnelles. Et la constitutionnalisation du droit à l’IVG fait craindre à Sarah Durocher une forte réaction des opposants, avec une augmentation des violences : « On est à un moment charnière, avec la confrontation de deux projets de société. Ce n’est pas pour rien que cette mouvance cible aussi bien le Planning que les associations LGBT ou de défense des exilés, et celles qui font de l’éducation à la sexualité. »
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