Attal : derrière le coup de com’, l’impasse politique

Édouard Philippe, François Bayrou et l’aile gauche de la majorité sont irrités devant la « sarkozysation » du gouvernement et menacent d’organiser des frondes internes. Emmanuel Macron, encalminé depuis la loi immigration, se vend à l’électorat de droite.

Lucas Sarafian  • 15 janvier 2024
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Attal : derrière le coup de com’, l’impasse politique
Emmanuel Macron et Gabriel Attal, le 1er septembre 2009, à Orange.
© Ludovic MARIN / POOL / AFP

Le coup politique parfait. C’est en tout cas la version tenue en substance par les plus proches d’Emmanuel Macron et le courant « légitimiste » de Renaissance quand il faut parler du premier gouvernement de Gabriel Attal. Le nouveau locataire de Matignon ? « Il redonne au quinquennat sa disruption, son ADN originel », pour François Patriat, chef de file des sénateurs macronistes et proche du chef de l’État.

Cette équipe resserrée ? « Un gage d’efficacité dans un contexte de majorité relative », d’après Martin Garagnon, conseiller de Renaissance et proche de Gabriel Attal. Le débauchage de Rachida Dati ? « Un impact médiatique », selon Bertrand Mas-Fraissinet, membre du bureau exécutif de Renaissance. Au sommet de l’État, on est convaincu qu’avec ce gouvernement, le Président vient de réaliser la manœuvre idéale après une année marquée par les réformes des retraites et de l’immigration. Un nouveau chapitre serait ouvert.

C’est un nouveau gouvernement UMP. Ciotti en a rêvé, Macron l’a fait.

R. Ramos

Mais peut-être qu’Emmanuel Macron n’avait pas tout prévu. Car quelques heures après l’annonce de la composition d’«Attal 1 », trois données sont venues contrecarrer les plans du Président : le mécontentement du Modem, l’insatisfaction d’Horizons, l’inquiétude de l’aile gauche de la Macronie. Ces groupes partagent la même analyse sur la nouvelle équipe du nouveau locataire de l’hôtel de Matignon : Attal et Macron ont pris un virage à droite toute. « C’est un nouveau gouvernement UMP. Ciotti en a rêvé, Macron l’a fait. Ce virage à droite sur les terres lepénistes est un mauvais calcul politique », lâche le député Modem Richard Ramos.

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Le camp de François Bayrou a de quoi se fâcher. Son seul relais au gouvernement se nomme Marc Fesneau. Un temps pressenti pour être relégué au très technique ministère des Relations avec le Parlement (poste qu’il a déjà occupé de 2018 à 2022), le membre du Modem est finalement maintenu à l’Agriculture. Néanmoins, Philippe Vigier (Outre-mer), Jean-Noël Barrot (Transition numérique) et Sarah El Haïry (Biodiversité), présents dans le dernier gouvernement d’Élisabeth Borne, ne figurent pas dans cette première mouture présentée par Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Elysée. Bayrou vient de perdre l’influence qu’il avait au Château.

Résistance et grogne

Face à cette déconvenue, certaines voix du Modem envisagent de présenter leur propre liste aux européennes. « La question doit se poser. Aujourd’hui, nous sommes désormais le seul parti qui représente le centre et l’Europe. Le Modem n’a pas à soutenir un parti qui va chasser sur les terres de Le Pen », estime Ramos. Dans une confidence au Figaro, Bayrou envisage une « forme de résistance ». Ainsi, les centristes attendent quelques gages dans le discours de politique générale de Gabriel Attal. Sinon, il n’est pas exclu que leur groupe à l’Assemblée prenne des distances avec ce qu’ils appellent déjà la « nouvelle macronie ».

Édouard Philippe n’a pas non plus de quoi être ravi. Durant les négociations, l’ex-Premier ministre plaidait pour le maintien d’Élisabeth Borne. En vain. Il espérait ensuite que Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique et membre d’Horizons, récupère le portefeuille de l’Énergie. C’est finalement Bruno Le Maire, patron de Bercy, qui remporte le dossier. Si les noms de Naïma Moutchou et Frédéric Valletoux, deux membres du parti philippiste, circulaient, ils n’ont finalement pas été appelés. Philippe peut aussi noter l’absence de Charlotte Caubel (Enfance) et Agnès Firmin-Le Bodo (Santé).

On ne joue pas Paris avec un marchandage.

P.-Y.Bournazel

Mais pour eux, il y a pire : le deal amenant Rachida Dati au ministère de la Culture. La cheffe de file de la droite parisienne aurait accepté le poste en échange de la tête de liste d’une alliance entre Renaissance et LR pour les municipales à Paris en 2026. Le conseiller de Paris (Horizons) et proche d’Édouard Philippe, Pierre-Yves Bournazel, grogne. Il rêvait de briguer la mairie avec le soutien du camp présidentiel et envisage désormais de se présenter contre Dati : « On ne joue pas Paris avec un marchandage. Il faut construire une alternative à Anne Hidalgo et une alternative éthique et transparente à Rachida Dati. » Selon ses dires, Édouard Philippe soutiendrait déjà son ambition.

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De l’autre côté de la majorité, l’aile gauche grince des dents. « C’est un virage plus à droite. J’aimerais qu’on retrouve plus de poids du côté gauche, il n’y a plus les ministres qui incarnaient cette tendance », regrette la députée Renaissance Nicole Dubré-Chirat, qui évoque les départs d’Olivier Dussopt, de Clément Beaune et d’Olivier Véran. D’autres sont bien plus inquiets. « On s’interroge sur la “sarkozysation” de ce gouvernement. Quelle trajectoire politique va-t-il prendre ? Il ne reflète plus l’esprit du dépassement de 2017 », avance une députée de l’aile gauche qui affirme que certains députés, parmi la quarantaine qui se sont opposés ou abstenus contre la loi immigration, discutent et envisagent de former un groupe si la composition complète du gouvernement se place dans la lignée de cette droitisation bien entamée.

Impasse politique

En clair, Emmanuel Macron pourrait bien voir sa majorité, encore marquée par la loi immigration, rétrécir. À quoi rime donc ce coup politique ? « Ce sont des débauchages individuels. Rachida Dati est populaire dans l’opinion publique. Catherine Vautrin n’était déjà plus dans nos rangs (elle a rejoint Horizons en 2023, N.D.L.R.). Donc ça ne va pas changer le rapport à l’Assemblée nationale. Le gouvernement aura toujours du mal à faire adopter ses textes », prédit un conseiller les Républicains au Parlement. Comprendre : le chef de l’État aurait simplement tenté d’affaiblir la droite.

Les préoccupations des Français portent sur des thématiques liées à la droite. On gouverne aussi en fonction de l’opinion.

M. Garagnon

« Il ne pense qu’à une chose : les européennes. Emmanuel Macron veut fragiliser LR car ce gouvernement plaît à notre base militante. Même Gabriel Attal, pourtant venu de la gauche, plaît à notre électorat. Ça va être encore plus dur de convaincre nos électeurs de voter pour nous aux européennes. Le Président regardait les sondages et voyait qu’il était en difficulté pour 2024 : il vient de faire un coup politique », explique ce même conseiller.

Le choix est presque assumé dans le camp d’Emmanuel Macron. « Il faut prendre une réalité politique. Depuis plusieurs années, les préoccupations des Français portent sur des thématiques liées à la droite. On gouverne aussi en fonction de l’opinion », assure Martin Garagnon (Renaissance). Fini donc le dépassement, exit le rassemblement des progressistes de tous horizons promis en 2017. Emmanuel Macron, dans l’impasse politique depuis la séquence immigration, vient tout simplement de se vendre à l’électorat de droite.

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