Michel Petrucciani, le piano-requin
Franck Médioni publie une biographie détaillée du pianiste, mine d’informations sur son parcours et son rapport à la musique.
dans l’hebdo N° 1794 Acheter ce numéro
Michel Petrucciani, le pianiste pressé / Franck Médioni / L’Archipel, 432 pages, 23 euros.
La biographie que Franck Médioni consacre à Michel Petrucciani est une collection dense de témoignages des proches du pianiste, musiciens, professionnels de l’industrie musicale et membres de sa famille. Une quantité impressionnante d’anecdotes sont rapportées, alliant les propos admiratifs et les critiques sévères sur le comportement de Petrucciani, son rapport aux femmes et ses addictions. Le tout, agencé dans un récit chronologique, donne du musicien une image complexe et sensible. Et informe habilement sur le monde du jazz des années 1980 et 1990.
Sachant ses jours comptés, il a embrassé la musique avec frénésie pour en faire le plus et le plus tôt possible.
L’histoire de Michel Petrucciani commence à Orange et à Montélimar. Petrucciani est un gars du Sud – ses amis ne cessent de mentionner son accent et son bagout – né avec une maladie rare, l’ostéogenèse imparfaite, qui met un terme à sa croissance et le fait souffrir d’une fragilité osseuse. Ses os peuvent se casser à tout instant et le livre mentionne plusieurs concerts donnés avec des doigts brisés. Issu d’une famille de musiciens, Petrucciani est un temps batteur avant de choisir le piano. Travailleur acharné, il impressionne par sa dextérité et se produit dans des festivals de la région.
Progressivement, il attire l’attention de musiciens, parmi lesquels le batteur Aldo Romano, qui sera pour lui un mentor et dont le livre contient plusieurs témoignages émouvants. Pour Petrucciani, le succès est ensuite synonyme d’un départ pour les États-Unis, en Californie, où il se lie d’amitié avec le saxophoniste Charles Lloyd, qui décide grâce à lui de revenir sur le devant de la scène ; puis, à la fin des années 1980, à New York, où, seul Européen signé chez Blue Note, il fréquente le célèbre Village Vanguard.
Virtuosité de la main gauche
Dernières étapes dans son parcours, le livre s’intéresse ensuite au retour de Petrucciani en France et à son décès survenu le 6 janvier 1999. Lorsque Michel Petrucciani disparaît, il est âgé de 36 ans. Pour Médioni, sa carrière est celle d’un « pianiste pressé » qui, sachant que ses jours étaient comptés, a embrassé la musique avec frénésie pour en faire le plus et le plus tôt possible.
Au cœur du livre, un chapitre retient l’attention. Intitulé « Piano Presto Agitato », il propose une analyse concrète du jeu de Petrucciani, de ses efforts pour dompter son piano imposant, un requin pour lui, de la virtuosité de sa main gauche et de la manière dont son style a évolué avec les années, allant vers plus de simplicité. C’est dans ce chapitre que l’analyse de Médioni est la plus forte, lorsque l’on quitte la biographie factuelle pour réfléchir aux liens entre corps, existence et pratique de la musique.