Micro-organismes, macro-problèmes
Souvent utilisées dans l’industrie alimentaire, les MGM, qui produisent enzymes, vitamines ou additifs, soulèvent des inquiétudes environnementales et sanitaires. Zoom sur un marché industriel encore méconnu.
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Les nouvelles techniques génomiques (NTG) ne sont pas les seuls subterfuges trouvés par les entreprises pour échapper aux réglementations qui s’appliquent aux organismes génétiquement modifiés (OGM). Depuis le début des années 2000, l’utilisation de ces derniers est vivement critiquée par les défenseurs de l’environnement et drastiquement réglementée par l’Union européenne. Pourtant, une forme de produits passe depuis plusieurs années sous les radars médiatiques et législatifs : les micro-organismes génétiquement modifiés (MGM).
Les MGM sont des organismes unicellulaires tels que les bactéries, les levures ou les champignons, dont le matériel génétique a été altéré par des techniques de génie génétique. Comme pour les OGM, le but de ces modifications est d’introduire des caractéristiques spécifiques dans l’organisme qui ne seraient pas présentes naturellement.
La plupart du temps, les MGM sont utilisés dans la recherche scientifique et la biotechnologie, mais aussi dans la production alimentaire industrielle : les levures et les bactéries génétiquement modifiées sont couramment utilisées pour produire des enzymes, des vitamines ou des additifs entrant dans la composition de certains produits alimentaires. Et il n’est pas obligatoire de mentionner sur les étiquettes que ces molécules alimentaires sont issues d’un procédé découlant de manipulations génétiques. Par ailleurs, des MGM qui ont permis leur obtention peuvent se retrouver dans les assiettes, alors qu’aucun d’entre eux n’est référencé dans l’Union européenne pour une utilisation directe dans un produit alimentaire.
Ruse rhétorique
En effet, si les MGM ne sont pas soumis à la même législation que les OGM lorsqu’ils sont utilisés dans les fermenteurs produisant des molécules alimentaires, c’est grâce à une ruse rhétorique : « Le législateur européen a décrété en 2006 que, pour des raisons commerciales, les enzymes ou additifs alimentaires produits à partir de MGM ne seraient pas considérés comme ‘produits à partir de’ mais ‘à l’aide de’. Ce changement leur permet donc d’être commercialisés directement sans être contrôlés au préalable », explique Éric Meunier, biochimiste de formation et rédacteur pour le site Inf’OGM. « On peut donc se retrouver avec des MGM dans nos assiettes, a priori pas toxiques, mais cela pose la question d’avoir une forme d’OGM dans notre alimentation », poursuit-il.
On peut se retrouver avec des MGM dans nos assiettes. Cela pose la question d’avoir une forme d’OGM dans notre alimentation.
E. Meunier
L’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) recense plus de 530 demandes d’autorisation de mise sur le marché alimentaire européen d’enzymes, de vitamines et d’additifs produits à partir de MGM. Mais plusieurs acteurs industriels ne comptent pas s’arrêter là : « Certaines entreprises souhaitent utiliser des MGM directement dans l’alimentation et militent pour que la Commission européenne leur fasse bénéficier du même type de déréglementation que celle qui est visée pour les végétaux NTG (lire pages précédentes), affirme Éric Meunier. Si, à des fins agricoles, les entreprises obtiennent gain de cause sur la réglementation, des risques environnementaux multiples vont s’ajouter aux risques sanitaires. »
Le risque de transfert
Parmi ces risques, on retrouve l’évasion de ces micro-organismes dans l’environnement, qui pourrait avoir pour conséquence la modification d’un écosystème ou la compétition avec des organismes sauvages. Le « transfert horizontal de gènes » est aussi un risque environnemental des MGM : les gènes modifiés des micro-organismes (levures, bactéries) peuvent être transférés à d’autres organismes et entraîner la création de souches bactériennes avec de nouvelles propriétés indésirables ou inattendues. L’utilisation à long terme des MGM peut par ailleurs conduire au développement de résistance dans certaines populations d’organismes, ce qui peut en rendre difficile le contrôle.
L’évasion de ces micro-organismes dans l’environnement pourrait avoir pour conséquence la modification d’un écosystème.
En Europe, les enzymes utilisées dans l’alimentation doivent faire l’objet d’un feu vert de l’Efsa. Entre 2005 et 2023, selon les données recueillies par Inf’OGM sur le site de l’agence, plus de 40 % des enzymes alimentaires ont été produites par des micro-organismes génétiquement modifiés, une technique d’obtention moins onéreuse et plus efficace que par le biais de végétaux ou d’animaux. Et l’absence d’obligation d’étiquetage pour les enzymes issues de MGM, depuis l’interprétation du législateur européen en 2006, maintient les transformateurs alimentaires – et par extension les consommateurs – dans l’ignorance du processus de production, soulignant la nécessité d’une clarification et d’une transparence accrues dans le secteur de l’alimentation.