« Pour bénéficier de la CMU, on me demande de payer une mutuelle »
Isidore Poireau raconte pour Politis ses démarches interminables auprès de la CPAM pour faire reconnaître et aboutir ses droits.
dans l’hebdo N° 1794 Acheter ce numéro
En Macronie, il ne fait pas bon être pauvre. Isidore Poireau raconte pour Politis ses démarches administratives interminables auprès de la CPAM pour faire reconnaître et aboutir ses droits. On lui demande de débourser 22 euros par mois alors qu’il sollicite sa réinscription à la CMU afin de pouvoir se soigner. Ubuesque !
Si j’étais un président autoritaire et libéral comme Emmanuel Macron et que j’envisageais de remettre toute la population au travail (en imaginant qu’il y ait du travail pour tous), je m’assurerais d’abord de soutenir les pauvres dans leurs démarches pour s’en sortir. Pour ne plus vivre de l’aide sociale, il semblerait logique de sécuriser les parcours de sortie du RSA. Ce qui n’est pas le cas, bien au contraire, comme j’ai pu le constater.
Après des mois de chômage qui m’avaient fait glisser jusqu’au dernier étage de la dignité sociale (en dessous, c’est les SDF), j’ai décroché un CDD et j’ai bossé six mois de suite. Depuis, plus rien. Pôle emploi m’indemnise à hauteur de 700 euros par mois, soit plus de 400 euros en dessous du seuil de pauvreté. Dès le 10 du mois, je me demande comment je vais manger et j’ai réclamé à la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de me réintégrer dans la couverture maladie universelle (CMU), histoire de pouvoir me soigner.
Je reçois un dossier papier. Je me lance pour le remplir et je découvre que la CPAM ne me propose pas la CMU mais une mutuelle à 22 euros par mois. Je ne remplis donc pas la partie « adhésion » et je renvoie le tout. Plusieurs semaines passent, une dame finit par m’appeler pour me dire que j’ai mal rempli le dossier. Je lui explique que, comme je suis pauvre, j’ai volontairement omis d’adhérer à leur proposition à 22 euros par mois. Ça n’était pas ce qu’il fallait faire. On me renvoie donc le même dossier avec les mêmes formulaires. Je dois fournir les mêmes documents que précédemment, je me sens comme une sorte de Sisyphe de la tâche administrative. De nouveau, je délaisse la partie « adhésion » et je joins une lettre d’explication.
Le « système » consiste donc à ce qu’on s’engage à payer un service qu’on sait ne pas pouvoir payer pour obtenir la mutuelle des pauvres.
Plusieurs semaines passent et j’en profite pour passer un bilan médical gratuit proposé par la CPAM. On m’a pesé (bof), on m’a examiné les dents (ça va), on a noté ma tension élevée (tu m’étonnes) et la doctoresse m’a ausculté de la tête aux pieds. Ce qui lui a permis de détecter un « possible problème médical » pour lequel elle m’a prescrit d’aller voir un spécialiste « assez rapidement ». Ce que j’ai traduit en « faut pas traîner » quand je l’ai vue me rédiger elle-même une ordonnance.
La CPAM finit par me rappeler. Je souligne qu’elle le fait toujours avec un numéro que tu ne peux pas recontacter. Autant ils t’envoient des courriers papier (et pourquoi ?), autant ils n’aiment pas trop répondre au téléphone. Je les comprends, je déteste ça moi aussi. Un monsieur très gentil m’explique qu’il a bien reçu mon dossier et qu’au vu de ma situation, je vais avoir droit à un « suivi personnalisé » (enfin, me dis-je, un peu vite, on va pouvoir en finir), et qu’il va, pour cela… m’envoyer un nouveau dossier à remplir. Bon. Le dossier consiste essentiellement à prouver par tous les documents possibles que je suis pauvre. C’est assez facile à remplir et je renvoie le dossier dans la foulée.
De nouveau, plusieurs semaines passent avant que la CPAM me rappelle pour me délivrer enfin l’information : ils ont bien noté ma pauvreté mais je dois adhérer d’abord à la mutuelle payante. « On ne peut pas faire autrement, c’est le système », me répond-on laconiquement en me précisant que, si toutefois je ne pouvais pas payer deux fois de suite (avec preuve du prélèvement rejeté), alors je serais en droit de demander un soutien financier. Je souligne : l’aide financière n’est pas automatique, elle peut aussi être refusée. Le « système » consiste donc à ce qu’on s’engage à payer un service qu’on sait ne pas pouvoir payer pour obtenir la mutuelle des pauvres.
Cette histoire me prend tout mon temps et je n’ai toujours pas pu voir le spécialiste recommandé.
J’ai donc contacté la Défenseure des droits. Une déléguée départementale a pris en note ma situation et j’ai ensuite été contacté par la médiatrice de la CPAM. Je ne savais même pas que ça existait ! Elle me rappelle au bout de plusieurs semaines (que c’est long !) pour me confirmer ce que l’on m’a déjà dit : pour obtenir la CMU (qui ne s’appelle plus comme ça), je dois d’abord adhérer à une mutuelle, n’importe laquelle, et ne pas pouvoir la payer. Ensuite, seulement, je peux demander un soutien financier.
Au vu de cette absurdité, je vais donc relancer la Défenseure des droits. En attendant, cette histoire me prend tout mon temps et je n’ai toujours pas pu voir le spécialiste recommandé. Il ne fait vraiment pas bon être pauvre en Macronie.
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