Assurances : des collectivités désemparées face aux effets du dérèglement climatique

Des centaines de collectivités prennent de plein fouet les conséquences du dérèglement climatique et ne sont plus suffisamment assurées contre les dommages aux biens et craignent pour leurs finances.

Lilian Godard  • 2 février 2024
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Assurances : des collectivités désemparées face aux effets du dérèglement climatique
Des bateaux endommagés par la tempête Ciaran dans le port de Porto, en Corse, le 3 novembre 2023.
© Pascal POCHARD-CASABIANCA / AFP

Mercredi 22 juin 2022, une violente tempête de grêle s’abat sur le Roannais (Loire). Des grêlons, gros comme des balles de golf, percent les toits, laissant l’eau s’infiltrer dans plusieurs bâtiments. La commune du Coteau est particulièrement touchée. Son assurance, la MAIF, doit couvrir trois millions et demi d’euros de dégâts. Quelques mois plus tard, en mars 2023, elle annonce résilier le contrat qui la liait à la commune.

Depuis le 1er janvier 2024, entre « 1 000 et 2 000 communes » seraient privées d’assurance pour les dommages aux biens, ou auraient subi une explosion des primes et franchises, a révélé à Novethic Alain Chrétien, maire de Vesoul et chargé de mission sur l’assurabilité des collectivités locales. « On subit la crise que vivent les assurances » affirme Gilles Carréric, maire de Lanester (Morbihan). À deux jours près, la ville de 23 000 habitants se retrouvait sans assurance pour les dommages aux biens. Pour éviter que la commune s’auto-assure, la municipalité s’est résignée à signer un contrat dont « les montants explosent. La franchise est passée de seulement 500 € à 100 000 €, la prime a augmenté de 140 % ».

Qu’est-ce qu’on fait si la salle de spectacle brûle ? Ce sera à la commune de tout payer.

G. Carréric

La franchise délimite le seuil d’indemnisation. Dans le cas de Lanester, le montant des dégâts doit dépasser 100 000 € pour qu’il soit couvert par l’assurance. Dans ces conditions, Gilles Carréric craint de lourdes dépenses pour la commune : « Qu’est-ce qu’on fait si la salle de spectacle brûle ? Ce sera à la commune de tout payer ». Pourtant, quelques mois auparavant, il était loin de s’imaginer une telle tournure. S’il a conscience des difficultés rencontrées par le monde assurantiel, il ne comprend toujours pas : « Les assurances nous ont reproché les conséquences des violences urbaines, mais seulement deux conteneurs ont été brûlés, c’est anecdotique. Et concernant les risques environnementaux, Lanester est peu concernée. »

Le changement climatique ébranle le fondement des assurances

Le changement climatique bouleverse en profondeur le fonctionnement des assurances. Dans une tribune au Monde, le mathématicien Arthur Charpentier démontre la « menace » qui pèse sur les assurances. Les trois facteurs sur lesquels repose l’assurabilité des risques – la mesure du risque (prévention), la répartition des coûts d’assurance entre assurés (mutualisation), la couverture des risques (garantie) – sont ébranlés.

Arthur Charpentier explique : « Le changement climatique menace ces trois conditions : les risques physiques peuvent se combiner ou s’accélérer de manière inédite ; leurs horizons de long terme peuvent brouiller la compréhension des risques par les consommateurs ; des pertes potentiellement massives et durables peuvent dépasser la capacité de couverture des assureurs ». Assurer les risques des catastrophes naturelles devient imprévisible, coûteux et périlleux.

Les premières limites visibles de notre société face au dérèglement climatique.

M. Perez et L. Arga

Les tensions assurantielles vécues par les communes en France représentent « les premières limites visibles de notre société face au dérèglement climatique, les limites de notre résilience », analysent Melissa Perez et Ludovic Arga, membres des Shifters, association œuvrant pour une transition bas carbone. Ils expliquent le désengagement des assurances par « l’augmentation des phénomènes climatiques extrêmes, comme les tempêtes, les sécheresses et les coûts qu’ils engendrent ».

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Or, ces coûts ont explosé ces dernières années. L’année 2022 a été une année record en France. La facture des catastrophes naturelles pour les assurances s’est élevée à 10 milliards, contre 3,5 milliards d’euros en moyenne pour la période 2017-2021. Le « régime Cat’ nat’ », le dispositif d’indemnisation fondé sur la solidarité nationale et spécifique à la France, n’est pas épargné. Selon le dernier rapport de la Caisse centrale de réassurance (CCR), publié en octobre 2023, la facture du régime Cat’ nat’ pourrait augmenter de 60 % à l’horizon 2050.

L’historique des indemnisations versées par les assureurs à la suite d’aléas naturels. Source : rapport France Assureurs, 2021, « Impact du changement climatique sur l’assurance à l’horizon 2050 ».

Pour les assurances, le problème s’inscrit à l’échelle mondiale. Selon les estimations du réassureur Munich Re, les catastrophes naturelles ont coûté 95 milliards de dollars aux assureurs du monde, en 2023. Un montant en légère baisse par rapport à 2021 (121 milliards) et 2022 (125 milliards), mais largement supérieur à la moyenne des trente dernières années, soit 57 milliards.().

Retrait massif des assurances, des États-Unis à la France ?

Pour compenser ces dépenses, les assurances augmentent leurs tarifs (prime et franchise) ou se retirent de certaines zones géographiques perçues comme inassurables. Si c’est encore peu le cas en France, d’autres pays subissent cette nouvelle politique des assurances. En l’espace de quelques années, les États-Unis ont vu les assurances multiplier le montant des primes et fuir certains États.

En Californie, après les incendies de forêt de 2017, 2018 et la multiplication des catastrophes climatiques depuis 2020, la plus importante assurance de l’État, State Farm, a annoncé fin mai 2023 l’arrêt de toute nouvelle souscription pour les propriétaires. Elle se justifie « en raison de l’augmentation historique des coûts de construction supérieure à l’inflation, de l’augmentation rapide de l’exposition aux catastrophes et d’un marché de la réassurance difficile ».

On fera sans doute le choix de ne pas réparer des bâtiments endommagés. Je suis écoeurée.

É. Lefeuvre

En France, la commune de Guignen (Ille-et-Vilaine), 4 200 habitants, a subi des mécanismes semblables. En l’espace de quelques mois, le contrat d’assurance pour les dommages aux biens a été renouvelé, puis modifié, avant d’être résilié. La maire, Évelyne Lefeuvre, est « désabusée », elle n’avait jamais connu ça. « On a trouvé un nouveau contrat mais avec des conditions extrêmement défavorables. Avec l’ancien, la prime s’élevait à 9 847 € par an, la franchise à 750 €. Maintenant, la prime est à 43 000 € et la franchise à 25 000 €, pour l’église, elle atteint même un million [la franchise] ! »

L’avenir est devenu incertain : « Avec une telle franchise, autant dire que la commune va payer. Pour préserver nos finances, on fera sans doute le choix de ne pas réparer des bâtiments endommagés qui tiennent encore debout. Je suis écœurée. »

« On nous laisse gérer des risques démesurés pour la commune »

Alors que cette tendance touche de plein fouet les collectivités françaises, la présidente de France Assureurs, Florence Lustman, se voulait rassurante au micro de Franceinfo, le 31 janvier : « On est quand même très bien couvert en France, en particulier sur les événements naturels parce qu’on bénéficie du régime des catastrophes naturelles ». Mais selon Melissa Perez et Ludovic Arga, « si le régime Cat’ nat’ est considéré comme unique au monde et est à protéger, il a ses limites ». Par exemple, il ne couvre pas les dégâts causés par les averses de grêle.

La mairie du Coteau en a fait l’expérience en juin 2022. Après un déluge de grêles, elle a demandé la reconnaissance de catastrophe naturelle, mais rejetée. L’assurance de la commune a donc couvert les 3,5 millions d’euros de dommage seule, avant de résilier le contrat quelques mois plus tard. La maire Sandra Creuzet-Taite déplore : « On nous laisse gérer des risques démesurés pour la commune, c’est inacceptable. Notre assurance nous a délaissés et pourtant, notre région est peu touchée par les catastrophes naturelles. Aujourd’hui, il nous reste six mois pour trouver une nouvelle assurance, mais les tarifs pourraient être multipliés par trois ».

Le monde assurantiel s’accorde sur l’urgence de répondre aux évolutions du secteur. Que ce soit par l’action des compagnies d’assurances : faire de la prévention auprès des assurés et de l’État, augmenter les tarifs, se retirer des zones considérées inassurables ; par l’action des assurés : prévenir les risques pour les éviter ou les diminuer ; surtout, par l’action de tous face au changement climatique : atténuer et s’adapter.

Quelle adaptation ?

Mais, quelle adaptation et quelle atténuation ? Arthur Charpentier rappelle dans sa tribune : « En 2015, à la veille de l’ouverture de la COP 21, Henri de Castries, PDG d’Axa, affirmait qu’« une augmentation de deux degrés de la température moyenne dans le monde [pouvait] encore être assurable, mais ce qui [était] certain, c’est qu’une hausse de quatre degrés ne l’[était] pas ». Huit ans après, le ministre de la transition écologique annonce que « la France va se préparer à une élévation de 4 °C. ». 

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Actuellement, deux missions lancées par le gouvernement sont en cours. La première, initiée en début d’année 2023, doit bientôt rendre publique ses « propositions pour garantir la soutenabilité du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles ». La seconde, lancée en 2024 suite aux tempêtes de novembre et de janvier, se concentre sur les collectivités territoriales pour rendre des conclusions « d’ici au mois d’avril ». Les communiqués seront étudiés de près. Le désarroi des maires montre l’urgence d’apporter des réponses et d’agir. Pour l’instant, la maire de Guignen se sent « laissé-pour-compte par l’État ».

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