Catherine Vautrin, ministre de la Santé et (pas vraiment) du Travail

Depuis son arrivée à la tête d’un « superministère » regroupant le Travail, la Santé et les Solidarités, Catherine Vautrin ne s’est que très peu exprimée sur le sujet du travail, abandonnant des agents du ministère inquiets et laissant les politiques libérales être décidées à Matignon.

Pierre Jequier-Zalc  et  Lucas Sarafian  • 16 février 2024
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Catherine Vautrin, ministre de la Santé et (pas vraiment) du Travail
Catherine Vautrin, lors de la passation de pouvoirs avec Olivier Dussopt, à Paris, le 12 janvier 2024.
© JULIEN DE ROSA / AFP

« Depuis que Mme Vautrin est arrivée, on a uniquement des interactions à sens unique avec elle. » Alexandra Abadie, secrétaire nationale de la CGT-SNTEFP – la branche du syndicat au ministère du Travail –, rit jaune quand elle parle de sa nouvelle ministre. En un mois, les différents syndicats représentatifs l’ont interpellé sur plusieurs sujets, sans qu’aucun retour ne leur soit fait. Ni de la part de leur ministre, ni de son cabinet.

Pourtant, ce ne sont pas les sujets qui manquent. En tête, cette menace explicite à l’égard des agents de l’inspection du travail lors de la mobilisation des exploitants agricoles. Un sanglier avait ainsi été pendu puis éventré devant les locaux de l’administration publique à Agen. Une « menace de mort » pour l’intégralité des syndicats de la profession, qui l’écrivent ainsi dans une nouvelle interpellation ce 14 février à la ministre récemment nommée.

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Il est vrai que cette intimidation aux services de l’inspection du travail n’a pas fait l’objet d’une ferme condamnation de la part de Catherine Vautrin. Celle-ci a, sobrement, affirmé « tout le soutien qui est le [sien] aux inspecteurs du travail », sur la matinale de France Bleue Champagne-Ardenne le 6 février. Sur les ondes d’une radio locale, donc, sans que cette prise de parole soit suivie d’une déclaration plus importante.

Ça nous paraît aberrant qu’il n’y ait aucune réaction forte de la ministre.

A. Abadie

« Aujourd’hui, on est dans une situation d’urgence. On a reçu des menaces très importantes qui interviennent pile 20 ans après l’assassinat de deux collègues par un agriculteur à Saussignac. Le sujet est majeur et symbolique. Ça nous paraît aberrant qu’il n’y ait aucune réaction forte de la ministre. Les agents de contrôle sont très mal par rapport à cette situation », commente, amère, Alexandra Abadie.

Boucs-émissaires

Outre une réaction à la hauteur des menaces et l’ouverture de poursuites judiciaires à l’égard de ces actes, les agents demandent aussi des précisions sur les annonces faites par Gabriel Attal. Car le Premier ministre, en jouant à fond la carte de la « simplification des normes », fait planer une forme de flou sur les prérogatives de l’inspection du travail.

« En dénonçant la ‘paperasse’, en pointant un nombre de contrôles qui serait trop élevé, B. Le Maire et G. Attal désignent les agent·es publics comme boucs émissaires. Autant nous mettre une cible sur le dos ! », s’indignent les sept organisations représentatives. Elles demandent que « les prérogatives de nos services et la légitimité de nos actions de contrôle doivent être rappelées, ainsi que le principe d’indépendance de l’inspection du travail vis-à-vis de tout changement de gouvernement et du pouvoir préfectoral ».

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Malgré cela, Catherine Vautrin reste silencieuse. Muette. Un mail de bienvenue n’a même pas été envoyé aux agents. Voilà un mois que celle qui fut ministre de Jacques Chirac et pressentie à Matignon avant Élisabeth Borne, est arrivée à la tête de son superministère regroupant trois sujets : la santé, le travail et les solidarités. Et le son de cloche a rapidement été donné. « La santé sera le fil rouge de mon ministère », a-t-elle ainsi déclaré fin janvier dans un grand entretien à Ouest France.

Le macronisme, comme la droite, considère que le travail est une sorte de boîte noire où tout est quantitatif.

S. Rousseau

Peut-être voulait-elle aussi parler de la santé au travail ? Elle ne l’explicite pas dans cet entretien. Matthieu Lépine, lui, en doute. L’auteur du livre L’hécatombe invisible, Enquête sur les morts au travail, a interpellé à deux reprises la ministre sur le sujet des accidents de travail mortels qui, selon le décompte de Politis, ont atteint un niveau record en 2022 avec, a minima, 903 décès. « Mme Vautrin, fin décembre la CNAM annonçait un nombre record de morts au travail dans le secteur privé en 2022. Nous attendons toujours votre réaction ! », écrit-il sur X (anciennement Twitter).

« Le macronisme, comme la droite, considère que le travail est une sorte de boîte noire où tout est quantitatif. Les réflexions sur la souffrance au travail, la qualité du travail et ses conditions restent pour eux des angles morts. En macronie, on ne parle pas du travail de cette façon. Mais ne pas parler de cette question du tout est un très mauvais signe », juge la députée écolo Sandrine Rousseau.

Depuis un mois, la « superministre » semble donc plus préoccupée par le sujet de la santé – absolument majeur, entendons-nous – que par celui du travail. C’est sur les questions de santé que se concentrent ses déplacements et la plupart de ses prises de parole. Les trois ministres délégués rattachés à son ministère le sont sur le volet de la santé et des solidarités : aucun n’a, dans son portefeuille, la question du travail. Paradoxe : le bureau de Catherine Vautrin est, lui, situé rue de Grenelle, lieu historique du ministère du… Travail.

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« Le fait qu’elle ait ce superministère démontre une fois de plus qu’il n’y a pas la volonté de faire du ministère du Travail un ministère prépondérant », souffle Alexandra Abadie. « Sa ligne de conduite est inconnue. Pourtant, au vu des nominations de ses ministres délégués, c’est elle qui a la charge de cette question. Et elle n’a, pour le moment, rien dit sur le sujet. C’est inquiétant. Elle est donc là pour mettre en place la ligne de Gabriel Attal, d’une grande brutalité », estime Pierre Dharréville, député PCF et vice-président de la commission des Affaires sociales.

Dans la cour de l’Hôtel du Châtelet, elle a néanmoins touché quelques mots sur le sujet lors de son discours de passation de pouvoir le 12 janvier. La ministre, qui se sent faire partie d’une génération qui « a connu le chômage de masse », s’est félicitée de le voir « enfin baisser tendanciellement » et a affirmé qu’il fallait « continuer l’effort ». Quatre jours plus tard, lors d’un débat à l’Assemblée sur la question des salaires en France, elle rappelle la création du Haut conseil des rémunérations et la convocation des branches ayant des minima inférieurs au Smic.

Projet destructeur

En clair, une reprise pure et simple des chantiers de son prédécesseur Olivier Dussopt. Le 3 février dans L’Union, elle assure qu’il faut tout faire pour « rendre possible » l’objectif du plein-emploi et défend France Travail, qui succède à Pôle Emploi. « Avec France Travail, on accompagne les bénéficiaires du RSA sur un territoire donné. Ce sera généralisé à la fin de l’année. L’idée est d’accompagner les personnes en recherche d’emploi pour régler leurs difficultés, comme la garde d’enfants », dit-elle. Fin du chapitre.

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Contacté, son cabinet n’a pas répondu à notre sollicitation. « Elle ne parle pas de travail, mais on sait déjà qu’ils vont essayer de le casser avec le projet de loi Macron 2. Ils ont un projet destructeur mais ils le taisent », selon Arthur Delaporte, porte-parole des députés PS et spécialiste des questions de travail au sein du parti. Au sein des rangs macronistes, on explique cette absence de prise de position par des raisons d’agenda.

Attal a le monopole de la parole gouvernementale.

S. Peytavie

« C’est vrai qu’elle n’a pas parlé de travail pour le moment. Mais il n’y avait pas jusque-là les ministres chargés des dossiers de santé. Maintenant, tout le monde a été nommé. Le travail, c’est son secteur de prédilection. Et c’est un gros ministère : des liens et une organisation sont encore à trouver », relativise Nicole Dubré-Chirat, députée Renaissance, qui salue une personnalité « travailleuse et dynamique » qui « saura appliquer les orientations du président de la République et du Premier ministre ».

« Le show Attal »

Et pour cause, depuis la nomination du gouvernement Attal, les annonces liées au marché du travail ont surtout émané directement de Matignon. Suppression de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), annonce d’une nouvelle réforme du marché du travail – toujours plus libérale –, volonté de « désmicardiser » le pays, dixit Attal. « Il n’y a aucun cap et il n’y en aura aucun pendant quelques mois. On a tous compris que ça allait être le show Attal jusqu’aux européennes. Il a le monopole de la parole gouvernementale, il fait des annonces dès qu’il y a une crise. Le gouvernement veut montrer qu’il est présent sans apporter de réponse concrète », analyse Sébastien Peytavie, députée Génération.s.

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En bon premier ministre néolibéral aux relents thatchériens, obsédé par le plein-emploi, Gabriel Attal a pris, certainement pour le pire, la question du travail à bras-le-corps. C’est encore lui, à la veille d’un mouvement de grève à la SNCF qui a commenté que « le travail est un devoir ». Le « devoir » de Catherine Vautrin, lui, apparaît donc, au bout d’un mois, d’être simplement la chambre d’enregistrement des volontés de l’Élysée et de Matignon.

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