Crise agricole : le Béarn maintient la pression
Les dernières annonces du Premier ministre, Gabriel Attal, ont conduit les directions de la FNSEA et des JA à appeler à la levée des blocages des autoroutes. Dans le Béarn cependant, la décision a été prise de maintenir la pression, en ciblant la grande distribution. Jeudi 1er et vendredi 2 février, le blocus s’organisait autour des supermarchés.
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« Ouvriers, paysans et mangeurs, ensemble » « L’agriculture paysanne, c’est ça qui nous sauve » Comment la FNSEA exploite les ouvriers agricoles Derrière la FNSEA, le lobby des agrimanagersIl est un peu plus de 15 heures à la station de bus Condorcet-Université quand les tracteurs lèvent le camp. Là, sous un ciel grisâtre, ne restent plus aux abords du Leclerc de Pau (Pyrénées-Atlantiques) que les amas de pneus et de lisier déversés la veille pour mener l’opération de blocage, comme cela a été le cas aux abords des grandes et moyennes surfaces du Béarn. Lundi 5 février, en effet, débuteront les discussions avec le préfet en vue de l’élaboration de la feuille de route locale.
Moins qu’un baroud d’honneur, pour les agriculteurs, il s’agit de maintenir le rapport de force à la veille de ces négociations, et plus encore de gagner la bataille de l’opinion. « Nous avons besoin d’être visibles pour le grand public. Ici nous allons à la rencontre des consommateurs pour leur faire comprendre que mieux rémunérer les agriculteurs ne passe pas par une augmentation des prix des produits mais par la réduction des marges de bénéfices de la grande distribution », explique Sylvain Bordenave, responsable des Jeunes Agriculteurs (JA) des Pyrénées-Atlantiques.
Le lait est vendu 0,40 euro le litre à la grande surface, qui le commercialise ensuite à 1,20 euro.
M. Som
Pour joindre le geste à la parole et marquer les esprits, les JA ont lancé une campagne qui vise le soutien du grand public. « On vous nourrit avec plaisir mais sans avenir. France, veux-tu vraiment encore de tes paysans ? » est-il mentionné en caractères majuscules et gras sur le flyer distribué à la sortie des caisses. Il est représenté un billet de banque découpé en tranches figurant les montants en euros revenant à chacun des acteurs de la chaîne de production et de distribution. Sur 100 euros dépensés en caisse par le consommateur, seulement 6,90 euros reviennent à l’agriculteur, la portion congrue, quand la part des industries alimentaires, par exemple, s’élève 10,40 euros. À moins de 10 euros, notre survie est hypothéquée, défendent les exploitants.
Présente depuis le début du mouvement, Manon Som va puiser dans son quotidien pour bien se faire comprendre : « Le lait est vendu 0,40 euro le litre à la grande surface, qui le commercialise ensuite à 1,20 euro. Pour que la population en prenne conscience, il faut faire œuvre de transparence », explique-t-elle. La jeune femme de 27 ans a rejoint en 2020 la ferme familiale de 70 hectares dans le canton de Nay. Elle s’occupe de la transformation en fromage ensuite écoulé en circuit court sur les marchés locaux. Une manière de squeezer les intermédiaires, mais rendue possible par le fait que l’exploitation est solidement ancrée dans le territoire.
« Opérations caddies »
La lutte contre la concurrence déloyale est aussi dans le viseur des JA avec « les opérations caddies ». Celles-ci consistent à faire le tour des rayons et à remplir les chariots de tous les produits aux origines étrangères ou non établies. Une fois encore, l’objectif est d’attirer le regard et l’attention du consommateur sur la provenance et la fiabilité de ce qu’il achète. « On a vidé le rayon et trouvé un seul produit avec une origine mentionnée » s’insurge Sylvain Bordenave.
« De plus, des produits bio espagnols, par exemple, utilisent aujourd’hui des produits qui sont interdits en France dans l’agriculture conventionnelle » prétend-il, voyant là une preuve supplémentaire de l’aberration du système. Le viticulteur met néanmoins à l’actif de la lutte l’inscription de la souveraineté alimentaire dans la loi. Il y voit un outil pour valoriser les productions locales et une relocalisation de l’économie.
Des produits bio espagnols utilisent aujourd’hui des produits qui sont interdits en France dans l’agriculture conventionnelle.
S. Bordenave
Abel Caubios, éleveur de porcs et de maïs à Madiran et membre de la FNSEA, s’interroge aussi sur la question. Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, avec sa fille, il organise la solidarité avec Kyïv et multiplie les voyages pour y emporter vêtements, couvertures et différents appareils ménagers. « Avec un Smic à 500 euros dans ce pays, évidemment que la concurrence est féroce et déloyale. Mais il y a sans doute des mécanismes de compensation à mettre en place », avance-t-il un peu dépité.
Parmi les derniers engagements de Gabriel Attal, Sylvain Bordenave salue encore la suspension du plan Écophyto. Plus qu’une victoire idéologique, il y voit une prise en compte du réel. Le viticulteur revendique l’environnement comme constitutif de son métier d’agriculteur et appelle au pragmatisme. « La réalité est que le passage du tracteur dans mes vignes pour éliminer les mauvaises herbes est bien plus toxique que traiter les pieds de vigne une fois par an avec du glyphosate », argumente-t-il.
« Trente ans de PAC et de dérives de surcharges réglementaires et administratives, le mal est profond », analyse à son tour Bernard Layre, président de la chambre d’agriculture des Pyrénées-Atlantiques. Le Béarnais a accompagné le mouvement, même s’il tient à rester au-dessus de la mêlée. « C’est une vraie folie administrative avec de véritables ayatollahs qui prêchent pour arrêter de produire, avec des textes qui viennent alourdir la facture », poursuit-il, reconnaissant cependant une prise de conscience des pouvoirs publics, qui appellent à de nouvelles ruptures, par exemple en termes de modèle économique.
Il brosse le portrait d’une agriculture départementale, riche de 8 000 exploitations d’une moyenne de 40 hectares avec un fort taux de renouvellement. Dit autrement, une agriculture qui peut se projeter dans l’avenir. Mais à quel prix ?
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