Dans l’Éducation nationale, une grève pour « être respectés »
Plus de 6 000 personnes ont exprimé leur colère et leur attachement à l’école publique le 1er février, à Paris. Enseignants, personnels de direction et assistantes sociales dénoncent « le mépris » de la ministre de l’Éducation et les réformes de « tri social » qui s’annoncent. Au niveau national, près d’un enseignant sur 5 était en grève.
« Stanislas, c’est dégueulasse ! » Dans la très chic rue d’Assas, au centre de Paris, les slogans des manifestants résonnent particulièrement. À l’appel de la quasi-totalité des organisations syndicales de l’Éducation nationale, ils étaient plus de 6 000 dans les rues de la capitale ce jeudi 1er février. D’autres rassemblements étaient prévus partout en France : près de 1 600 personnes ont manifesté à Marseille, 2 500 à Lyon, 2 300 à Rennes et 1 700 à Rouen.
La prochaine fois, on viendra avec des tracteurs.
Gwenaëlle
Les chiffres du ministère parlent d’eux-mêmes : plus de 20 % des enseignants étaient en grève. Des chiffres en deçà des estimations syndicales. Le FSU-SNUipp, premier syndicat dans le primaire, annonçait la veille 40 % de grévistes dans l’ensemble du pays, et jusqu’à 65 % dans les écoles parisiennes. Le matin même, le SNES-FSU avançait 47 % de grévistes dans les collèges et lycées.
« La prochaine fois, on viendra avec des tracteurs », rigole Gwenaëlle, enseignante d’arts plastiques dans un lycée du 95. Elle et sa collègue Françoise évoquent une « colère qui vient de loin, mais qui a été ranimée avec la nouvelle ministre ». Amélie Oudéa-Castéra, nommée au ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse, des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques, est présente sur la plupart des pancartes. Ses propos sur « les paquets d’heures non remplacées » dans l’école publique ont blessé les enseignants, pointe Sophie Vénétitay du SNES-FSU. « Cette mobilisation, elle est avant tout pour exiger le respect de l’école publique, dans les paroles comme dans les actes », souligne la militante.
« Oudéa, casse-toi ! »
Les polémiques autour de cette ministre, comme la scolarisation de ses enfants au sein du groupe scolaire privé Stanislas ont dynamisé la mobilisation, sourient les organisateurs. En témoignent les nombreuses pancartes « Oudéa, casse-toi ! ». « La symbolique est importante », souligne Laurent Frajerman, enseignant-chercheur spécialisé sur les mouvements sociaux et les politiques éducatives.
Lui se rappelle notamment le mandat de Jean-Michel Blanquer avait réveillé la mobilisation des enseignants. Et elle se poursuit aujourd’hui autour de cette défense de l’école publique, à laquelle s’ajoute un mécontentement quant aux réformes annoncées. « Mais aussi des revendications issues de thématiques sociales, comme la revalorisation des salaires. Si ce sentiment de déclassement n’est pas nouveau, il s’est particulièrement accéléré ces dernières années sous les quinquennats d’Emmanuel Macron. »
Si ce sentiment de déclassement n’est pas nouveau, il s’est particulièrement accéléré.
L. Frajerman
Plus loin dans le cortège, Arnaud explique être justement venu « d’abord et avant tout pour l’amélioration de nos salaires ». Le professeur de maths n’a pas besoin de calculatrice pour compter : « Il y a 40 ans, le salaire brut des jeunes enseignants de collège équivalait à 2,3 fois le Smic. En 2021, c’était 1,2 fois le salaire minimum. » Il évoque aussi l’inflation et le gel du point d’indice qui l’oblige à être près de ses sous « après plus de 20 ans de carrière ». L’enseignant s’interrompt pour filmer un groupe d’enfants qui chantent à tue-tête « Macron, t’es foutu. Les enfants sont dans la rue ! » « Ils pourraient être mes élèves », sourit-il.
Anissa, la maman qui les accompagne, lui répond : « Ils entrent au collège l’année prochaine. Eux comme nous, les parents, on voit que les conditions ne sont pas réunies pour leur bien-être. » Elle parle des classes surchargées, mais aussi des absences non remplacées qui ont un impact sur le parcours des élèves. « On veut nous opposer aux enseignants sur ce sujet, alors que l’on sait que le problème est plus profond que cela, explique Juliette Urbain, vice-présidente de la FCPE Paris. Les faibles salaires et les difficultés de recrutement, ce sont nos enfants qui en subissent les conséquences. »
Choc des savoirs et groupes de niveau
Derrière la banderole de la CGT Educ’Action 93, Lisa, professeure des écoles, et Martin, enseignant au collège, discutent du « choc des savoirs », ces dernières réformes annoncées par Gabriel Attal. Lui a une pancarte « Je trie mes déchets, pas mes élèves » alors, évidemment, la question tourne autour des groupes de niveaux. « Comment ça va être mis en place ? C’est une si mauvaise chose ? » demande la professeure, soucieuse du futur de ses élèves de CM2. « Tout dépend de comment c’est fait, répond son collègue qui enseigne le français. Les études montrent que si ce sont des groupes immobiles, basés sur les évaluations, cela peut nuire à l’élève et à sa confiance en lui. »
Les personnes qui ont imaginé ces groupes de niveau ont-elles déjà mis les pieds dans un collège ?
Émilie
Parmi les participants, le SNPDEN-Unsa, syndicat des personnels de direction s’est également mobilisé cette journée. « La mise en place de ces groupes de niveau au collège s’annonce très compliquée. D’abord parce que le principe général est rejeté par la communauté éducative : nous avons été élevés à l’hétérogénéité plutôt qu’à la séparation, pointe Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du syndicat. Enfin, la question des moyens demeure. Certes 2 300 postes ont été créés mais selon nos estimations, il en fallait au moins le double. »
Émilie, secrétaire de direction dans un collège de Créteil, pointe aussi les conséquences de cette réforme sur les personnels administratifs. « Les personnes qui ont imaginé ces groupes de niveau ont-elles déjà mis les pieds dans un collège ? Ce genre de mesure demande des aménagements d’emplois du temps, de salles, d’organisation. C’est un casse-tête pour les directeurs, les profs et jusqu’au personnel d’entretien », souffle-t-elle.
« Ce que l’on veut, c’est être respectées ! »
Ils sont d’ailleurs nombreux les personnels non enseignants dans la marche parisienne. Parmi eux, il y a Amélie, assistante sociale. « On ne parle jamais de nous, aussi parce que l’on est trop peu. En région parisienne, c’est au moins 1 000 élèves par assistante sociale, en zone rurale c’est parfois le double. » Avec ses collègues de l’Unsa, elles réclament davantage de postes. « Travailler dans ces conditions et ce manque d’effectifs, cela signifie hiérarchiser les urgences. Mais comment on priorise un élève maltraité dans sa famille, à un élève qui dort dehors ? C’est très dur et l’on en peut plus. Ce que l’on veut, c’est être respectées ! »
En région parisienne, c’est au moins 1 000 élèves par assistante sociale, en zone rurale c’est parfois le double.
Amélie
Et il est hors de question de s’arrêter à cette journée d’action. Le FSU-SNUipp, majoritaire dans les écoles, propose à ses adhérents d’interpeller leurs parlementaires « pour continuer à exiger l’amélioration de nos conditions de travail », explique Guislaine David, secrétaire générale. Alors que le cortège arrive à proximité de la rue de Grenelle, Ludivine et sa copine Clara s’arrêtent pour rouler une cigarette. Toutes deux préparent le Capes, ce concours de recrutement pour les enseignants du secondaire.
« En M1, on a eu un stage d’observation et de pratique. On a surtout pu observer tout ce qui n’allait pas dans ce métier. » Loin d’être découragées, les deux étudiantes aspirent à enseigner. « Ça doit être ça, la vocation », sourit Ludivine. « Mais c’est aussi pour cela qu’on manifeste. Pour pouvoir enseigner dans de meilleures conditions, dans une école digne de ce nom. »
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