En Birmanie, « la possibilité d’une défaite de la junte »

Trois ans après le coup d’État, les forces de la résistance ont enregistré des gains importants sur le terrain. Avec la conviction que l’issue ne pourra être que militaire, tant sont faibles les soutiens extérieurs à une autre voie de sortie de conflit.

Patrick Piro  • 2 février 2024
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En Birmanie, « la possibilité d’une défaite de la junte »
Des manifestants lors d'une manifestation devant le bureau de l'ONU à Bangkok, le 1er février 2024, pour marquer le troisième anniversaire du coup d'État au Myanmar.
© Lillian SUWANRUMPHA / AFP

Quelque 450 positions militaires perdues, des quantités d’armes abandonnées sur le terrain, d’importantes redditions de soldats et de gradés, de grandes difficultés d’enrôlement… Alors que la Birmanie vient de connaître le troisième anniversaire du coup d’État déclenché le 1er février 2021 par de hauts cadres de l’armée birmane, la junte n’a pas connu situation plus périlleuse depuis sa prise de pouvoir.

À l’appréciation (non démentie) des guérillas ethniques historiques et des groupes de résistance formés après le putsch, l’armée aurait perdu la maîtrise de plus de la moitié du territoire birman. « Et plus 10 % du pays est totalement sous notre contrôle militaire et administratif », affirme Toe Kyaw Hlaing, membre de la National Unity Consultative Council (NUCC), coordination rassemblant un large spectre des forces civiles et militaires en lutte contre la junte.

Il y a un an, ces parties prenantes faisaient le vœu d’une bascule des rapports de force sur le terrain au cours de l’année 2023. C’est bien le cas. La situation militaire a considérablement évolué, notamment depuis le 27 octobre 2023, date d’une puissante offensive (Operation 1027) déclenchée sur plusieurs fronts par la plus importante des factions armées rebelles, la Three Brotherhood Alliance (Arakan Army, Myanmar National Democratic Alliance Army et Ta’ang National Liberation Army), une coalition dont les forces jointes rassembleraient plus de 50 000 personnes.

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Elle a enregistré son gain le plus significatif dans l’État Shan au nord-est du pays, avec la libération totale du Kokang, région frontalière avec la Chine. Une victoire militaire, stratégique et économique, par le contrôle d’une partie du flux commercial avec la Chine, mais aussi symbolique : c’est la maîtrise de cette zone, au détriment des rebelles, qui avait apporté au général Min Aung Hlaing, numéro 1 de la junte, le principal du prestige qui lui a valu de prendre le pouvoir.

Taches de léopard et ébullition

« C’est une gifle pour lui, et son crédit a fléchi dans son clan », traduit un analyste de longue date de la politique birmane, et qui requiert l’anonymat au titre de sa fonction. « La Three Brotherhood Alliance elle-même ne s’attendait pas à une telle dynamique, renforce Tin Tin Htar Myint, l’une des plus actives militantes birmanes installées en France. Et le plus important, c’est que les forces occupantes administrent progressivement les zones libérées, notamment grâce à l’engagement des fonctionnaires, médecins et autres professionnels parties prenantes du grand mouvement de désobéissance civile né après le 1er février 2021. »

L’opération 1027 s’est déployée sur plusieurs fronts à travers le pays, accroissant les gains territoriaux de diverses forces ethniques locales. Un tableau en « taches de léopard » qui met notamment en ébullition les frontières avec les pays voisins. Au-delà des préoccupations de la Chine, à l’ouest, l’Arakan Army entretien un front très actif aux portes de l’Inde et du Bangladesh. Dans l’État du Kayah, au sud-est frontalier avec la Thaïlande, l’armée est totalement isolée.

La junte peut espérer tenir en comptant sur un épuisement de la population.

Cependant, le « pays utile » structuré autour des riches régions centrales qui comptent Rangoon et Mandalay, les deux plus importantes villes birmanes, est encore bien tenu par le régime, « même si l’on voit poindre à nouveau une certaine activité protestataire urbaine, telle qu’on l’avait connue aux premiers jours du putsch », signale l’analyste cité plus haut. La junte peut même espérer tenir en comptant sur un épuisement de la population, lessivée par trois années de guerre civile.

Urgence humanitaire

On recense 2,6 millions de personnes déplacées, dont 800 000 le sont depuis l’opération 1027, et 18 millions d’habitant·es — le tiers de la population du pays —, se trouvent aujourd’hui en situation d’urgence humanitaire. Dans l’État de Kayah, la situation est particulièrement catastrophique, alors que les affrontements ont provoqué le déplacement des deux tiers de la population. « Au point que la Thaïlande, frontalière, se préoccupe pour la première fois de monter une opération humanitaire », souligne l’analyste.

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C’est l’une des manifestations de l’immixtion grandissante des pays voisins dans le conflit, la plus manifeste étant les accords que la Chine a négociés directement avec les forces rebelles victorieuses à sa frontière. « La situation sur le terrain influe visiblement sur le jeu diplomatique », poursuit-il. La Chine et les États-Unis semblent manifester un regain d’intérêt pour la crise birmane, « un terrain paradoxalement plus facilement consensuel que bien d’autres, entre ces adversaires majeurs ».

Ce que nous pouvons raisonnablement espérer, pour 2024, c’est la conquête de plusieurs villes.

Toe Kyaw Hlaing

En dépit de son rôle central, l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (Asean, qui regroupe dix États de la région), s’est jusque-là montrée bien velléitaire face à la junte birmane. Il faut dire que les deux parties en conflit restent intimement convaincues que la seule issue possible est d’ordre militaire – il n’existe aucune perspective de négociation politique à ce stade. « Nous voyons désormais clairement la possibilité d’une défaite de la junte », se réjouit Toe Kyaw Hlaing. Avec prudence cependant. « Ce que nous pouvons raisonnablement espérer, pour 2024, c’est la conquête de plusieurs villes ainsi que l’installation locale de structures politiques et administratives. »

En dépit de sa situation, la junte persiste pourtant de son côté dans une proposition non militaire de sortie de crise : la tenue d’élections générales. « Mais aux conditions de la junte — recensement, circonscription, listes électorales, etc. », souligne l’analyste. Autant dire une manœuvre dilatoire, dans un pays que son armée contrôle de moins en moins à mesure que passent les mois.

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