« En sabordant la loi SRU, Gabriel Attal attaque un pilier de la République »

En pleine crise de l’immobilier, le premier ministre s’en est pris aux logements sociaux, en proposant une réforme de la loi SRU lors de son discours de politique générale. Et les associations sont unanimes : jamais le logement social n’a été aussi violemment attaqué.

Luna Guttierez  • 9 février 2024
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« En sabordant la loi SRU, Gabriel Attal attaque un pilier de la République »
© Michel Soudais

« D’ici à 2025, toutes les communes soumises à la loi SRU doivent posséder au moins un quart de logements sociaux sur leur territoire », a déclaré Gabriel Attal devant les parlementaires, le 30 janvier. Cette loi SRU, adoptée en 2000, prévoit que chaque commune intègre 25 % de logements sociaux à son parc immobilier. Cette disposition vise à promouvoir la mixité sociale tout en réduisant l’étalement urbain. Le premier ministre, de son côté, prévoit de changer la donne au grand dam des plus précaires : « Nous proposerons d’ajouter pour une part les logements intermédiaires, accessibles à la classe moyenne, dans ce calcul. »

Sarkozy avait été tenté de le faire, mais à côté de Macron, c’est un rigolo.

Avec cette annonce, les logements intermédiaires, beaucoup moins abordables, devraient être comptabilisés dans les quotas imposés par le SRU. « Tous les acteurs du logement social sont sidérés et inquiets de cette proposition qui va tout sauf résoudre la crise du logement », fustige Delphine Valentin, directrice d’Île-de-France habitat.

« Le discours tenu par Gabriel Attal est la plus grosse attaque jamais faite contre le SRU », analyse Eddie Jacquemart, président de la Confédération nationale du Logement (CNL). Pour lui, cette loi est « un pilier de la République ». Avec amertume, l’auteur du livre Fils d’HLM (éditions arcane 17), ajoute : « Sarkozy avait été tenté de le faire, mais à côté de Macron, c’est un rigolo. Cette proposition a un caractère clientéliste, Gabriel Attal brosse dans le sens du poil les maires conservateurs et la classe moyenne qui est le cœur de l’électorat macroniste. »

Pour la classe moyenne, vraiment ?

« Les familles moyennes peuvent déjà accéder aux logements sociaux », précise Eddie Jacquemart. Pour un foyer de quatre personnes il ne faut pas dépasser un salaire annuel de 67 896 euros net. Le seuil maximum de revenus est élevé, beaucoup de personnes y ont le droit.

Emmanuelle Wargon, l’affirmait elle-même lorsqu’elle était ministre du Logement durant le premier quinquennat de Macron : « Le logement social, 70 % des Français y sont éligibles. Ça n’est pas que le logement des personnes les plus en difficulté, c’est aussi le logement des classes moyennes. »

Avec ce changement, les villes carencées peuvent continuer à s’exempter de produire des logements sociaux.

Eddie Jacquemart

L’Union sociale pour l’habitat (USH) signale que « le nombre de demandes a atteint un record » et intégrer le logement intermédiaire dans le SRU ne changera rien à la situation, selon Delphine Valentin. Sur les 2,6 millions de demandes, seulement 3 % peuvent prétendre au logement intermédiaire que veut inclure Gabriel Attal. « Personne ne va pouvoir se l’offrir, surtout avec l’inflation. C’est plus de 15 euros le mètre carré hors charges ! Pour 60 mètres carrés, le loyer est à 1 400 euros. Dans les faits, seules les classes moyennes très aisées peuvent se permettre de payer un loyer aussi cher. C’est tout sauf du logement social », présente la bailleuse sociale, Delphine Valentin.

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Des quotas qui n’étaient déjà pas respectés

En novembre dernier, une enquête de franceinfo et France Bleu a révélé que seulement quatre communes sur dix respectaient le quota. En cas de non-respect de la loi SRU, l’État peut prononcer des sanctions. « Elles s’avèrent peu efficaces dans les villes riches qui maintiennent un entre-soi social », d’après Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole de l’association du Droit au logement (DAL). « Une partie de leur recette fiscale, qui est très élevée étant donné qu’elles ont peu de dépenses sociales, va servir à payer les amendes. » Avec seulement 15 % de logements HLM, Boulogne-Billancourt acquitte des amendes supérieures à 6 millions d’euros annuels. C’est « le prix à payer pour préserver notre qualité de vie boulonnaise », s’est justifié en novembre 2018 Pierre-Christophe Baguet, son maire LR, dans l’éditorial du bulletin d’information municipal.

Le niveau de construction global de tous logements confondus est tellement bas qu’il approche celui de la France au sortir de la Seconde Guerre mondiale.

Delphine Valentin

La production de logements sociaux est déjà insuffisante dans beaucoup de communes. Si les logements intermédiaires sont inclus dans le SRU, cela va grever la production de logements sociaux. Le président de la CNL part du même postulat : « Avec ce changement, les villes carencées peuvent continuer à s’exempter de produire des logements sociaux. Les maires de droite vont basculer vers les logements intermédiaires pour remplir les quotas. » Pour lui, « certains se trouvent de bonnes excuses, en disant qu’ils manquent de place, tandis que d’autres en font un argument de campagne ».

Peu d’ambition au regard des besoins criants

« Le niveau de construction global de tous logements confondus est tellement bas qu’il approche celui de la France au sortir de la Seconde Guerre mondiale », affirme Delphine Valentin.

Lors de son discours, le premier ministre a annoncé la construction de 30 000 logements d’ici trois ans. « C’est un chiffre qui est totalement à côté de la plaque au regard des besoins criants. Au CNL, on revendique la construction de 250 000 logements sociaux par an pour résorber l’attente et répondre à la pression démographique », déclare Eddie Jacquemart.

Jean-Baptiste Eyraud du DAL, remarque une différence considérable entre ce qui est annoncé, ce qui sort de terre et ce qui est loué. « En 2023, sur les 82 000 agréments de nouveaux logements sociaux, seulement 60 000 vont finalement voir le jour. En déduisant les démolitions et les ventes des bailleurs sociaux, qui ne peuvent faire autrement pour s’en sortir, si on tombe à 45 000 livraisons en 2024, ça sera beau. »

Des capacités de financement affaiblies

Le désengagement de l’État vis-à-vis des logements sociaux a amoindri les finances utiles à la construction. Delphine Valentin affirme que la pénurie est due à « une baisse de subventions, à un taux de TVA de construction de 10 % et à un prix de production qui a beaucoup augmenté depuis la crise sanitaire ».

Conséquence directe : les fonds propres des bailleurs, qui financent en partie le logement social, sont passés de 10 à 5 %. C’est un manque de financement énorme qui se répercute sur le nombre de bâtiments constructibles.

En un an, l’augmentation du taux du Livret A de 0,5 à 3 % a aussi fortement fragilisé les ressources financières des bailleurs. Les prêts sont demandés à La Caisse des Dépôts, qui utilise le livret A pour financer le logement social. Plus le taux augmente, plus les bailleurs empruntent à des taux d’intérêts élevés. De fait, depuis février 2022, leurs ressources sont réduites et leur capacité à produire du logement social aussi.

« Si les logements intermédiaires sont aussi financés avec l’épargne populaire, cela va amenuiser les capacités de financement des logements sociaux », s’inquiète Jean-Baptiste Eyraud. D’autant plus que depuis peu, le gouvernement prévoit de financer aussi l’armement et le nucléaire grâce au Livret A.

En pleine crise du secteur, 3,1 millions de logements sont vacants.

Dans le cadre de la Loi finances de 2018, le gouvernement a adopté la réduction du loyer de solidarité (RLS) pour compenser la baisse des APL. Dans l’obligation de limiter leurs loyers, les bailleurs sociaux enregistrent une perte nette de 1,3 milliard d’euros par an. « Pour faire des économies, l’État a préféré laisser les bailleurs être ponctionnés, plutôt que de continuer à verser des APL. Imaginez tous les logements sociaux qu’on aurait pu construire avec ça », demande Eddie Jacquemart.

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La macronie, à droite toute

Aujourd’hui, en pleine crise du secteur, « 3,1 millions de logements sont vacants », selon le porte-parole de la DAL. Pour les différents organismes, il est nécessaire que le gouvernement exploite ce manque à gagner. Il peut notamment le faire par des réquisitions, même si cela reste délicat. Il doit également réguler les prix de l’immobilier, du foncier mais aussi, encadrer les loyers. Enfin, selon eux, il faudrait changer de politique en mettant l’accent sur la production de logements sociaux plutôt que de logements privés.

« L’ADN libéral du gouvernement tend à penser que la crise va se régler par le marché. Mais il faut qu’il comprenne l’obligation qu’il a de protéger les gens. » Notamment sur les normes, le premier ministre a annoncé leur réduction alors que « c’est ce qui assure aux consommateurs un logement décent. Les premiers qui vont en pâtir seront les familles les plus modestes », déplore Jean-Baptiste Eyraud.

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« On n’attendait pas grand-chose de ce gouvernement libéral qui continue de détruire massivement le logement social. C’est grave qu’il ne comprenne pas que la solution à la crise du secteur est un financement du logement social », se désespère Delphine Valentin. Jean-Baptiste Eyraud l’affirme avec lucidité : « Macron exploite le besoin essentiel de se loger pour produire de l’argent. Il préfère les recettes fiscales du logement cher plutôt que de loger son peuple. »

« Aujourd’hui le SRU produit la moitié des logements sociaux, admettons que le projet de loi définisse 10 % de logements intermédiaires maximum, avec l’Assemblée et le Sénat majoritairement à droite, cela va être surenchéri à coup d’amendements », présage Jean-Baptiste Eyraud. « Je suis inquiet car on avait un modèle social historique sur le logement. »

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