Et nos sœurs aussi

« Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant », dit la chanson. Mélinée, l’amour de Missak, était aussi une résistante. Comme d’autres femmes.

Mathilde Larrère  • 14 février 2024 abonné·es
Et nos sœurs aussi
© Laurent Corvaisier

Le 21 février 2024, ils seront deux à entrer sous la coupole du Panthéon : Missak et Mélinée Manouchian. Vous lirez de nombreux articles et ouvrages (1), fort heureusement publiés à l’occasion, sur Missak Manouchian, sur ces résistants et résistantes étrangers, juifs pour la majorité, communistes du groupe parisien des Francs-tireurs et partisans – Main-d’œuvre immigrée (FTP-MOI), fusillés le 21 février 1944 et dont les portraits « noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants (2) » ornaient l’Affiche rouge. On pourra se demander pourquoi Missak et pas les autres ?

On pourra souligner, comme le sénateur communiste Pierre Ouzoulias (3), qu’il est indécent de panthéoniser Manouchian et, « en même temps », de faire voter la loi immigration. Je voudrais ici ne pas oublier celle qui entrera avec lui, comme celles qui se sont battues à ses côtés. Mélinée Manouchian n’est pas juste la « femme de », son « orpheline bien aimée (4) », déplacée du cimetière d’Ivry à la montagne Sainte-Geneviève pour continuer de réunir sous la coupole ceux que la mort et les balles des Allemands avaient séparés, la panthéonisée consort comme l’Antoine de Simone Veil, ou la Sophie de Marcellin Berthelot. Mélinée Manouchian était une résistante, étrangère, communiste, au même titre que Missak, au même titre que les autres résistants de la MOI.

Mélinée Manouchian était une résistante, étrangère, communiste, au même titre que Missak.

Comme Missak, Mélinée est une orpheline du génocide arménien, bringuebalée en Europe d’orphelinats en foyers, apatride. Devenue sténodactylo, elle rencontre Missak à Paris en 1934. Tous deux adhèrent au Parti communiste, s’aiment dans la France du Front populaire, soutiennent l’Espagne républicaine, prennent la mesure de la menace fasciste. Tous deux entrent en clandestinité et résistance pendant la guerre. Dans un très bel article dans Le Monde, Ariane Chemin (5) rappelle que Mélinée tombe enceinte au début du conflit, mais choisit d’avorter, contre l’avis, contre l’envie de Missak, pour se consacrer à la cause.

Dans la Résistance, le partage des tâches est généralement genré : les femmes s’occupent de la logistique, du repérage des cibles d’attentat. Elles tapent les tracts, rédigent les comptes rendus des actions, s’occupent de la cache et du transport des papiers comme des armes. Parmi elles, Olga Bancic, juive, roumaine, communiste, s’occupait ainsi de l’assemblage des bombes et de leur acheminement sur les terrains d’opération. Des tâches moins célébrées dans la geste héroïque de la Résistance, mais non moins importantes que celles des hommes.

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Si Mélinée échappe de justesse au coup de filet de la police française en se cachant chez les parents du chanteur Charles Aznavour, Olga est arrêtée et condamnée à mort. Elle ne sera pas fusillée comme les hommes au Mont-Valérien. Atrocement torturée sans jamais livrer de renseignements, elle est transférée en Allemagne où elle sera décapitée le jour de ses 32 ans, le 10 mai 1944.

Obligée de se battre pour obtenir sa pension de veuve de guerre

Veuve à 30 ans, Mélinée reprend ses actions dans la Résistance jusqu’à la fin du conflit. Animée du projet internationaliste d’apporter le communisme dans son pays, elle part pour l’Arménie dès 1945. Elle n’en réclame pas moins un visa de retour pour revenir en France. Mais à celle qui entrera au Panthéon dans quelques jours, l’Ofpra ne daignera pas même répondre. Piégée en Arménie, elle devient professeure et se consacre à la mémoire de son Missak et de ses camarades de la MOI. Finalement revenue en France au début des années 1960, elle se bat pour toucher sa pension de veuve de guerre : on lui verse vingt ans de retard mais pas autant que ce qu’on lui doit, les autorités se refusant à reconnaître le grade d’officier à Missak.

Entre ici Mélinée. Tu le mérites autant que ton bien-aimé, ton orphelin.

Quelques années avant sa mort, en 1989, elle assiste au procès des membres de l’Asala, l’Armée secrète arménienne de libération de l’Arménie, qui exige la reconnaissance par Ankara du génocide. Ils avaient attaqué le consulat de Turquie à Paris, tuant un garde turc. Mélinée prend la défense des assaillants devant la cour : « Ce sont les enfants que nous aurions aimé avoir avec Missak. […] Ce ne sont pas des terroristes, ils sont comme nous. » Henri Leclerc, l’avocat des membres du commando, expliquera pourquoi il l’avait fait citer : « C’était la femme du chef, l’orpheline. Et aussi – j’insiste parce que je vois bien ce que l’on peut en faire aujourd’hui – une vraie militante communiste, une MOI de banlieue, tout sauf une résistante en gants blancs (6). »

Entre ici Mélinée. Tu le mérites autant que ton bien-aimé, ton orphelin.


(1) Signalons le livre de Dimitri Manessis et Jean Vigreux, Avec tous tes frères étrangers. De la MOE aux FTP-MOI, Libertalia, et les numéros spéciaux de L’Humanité et du Monde.

(2) « Strophes pour se souvenir », plus connu sous le titre « L’Affiche rouge », Louis Aragon, 1955.

(3) « Emmanuel Macron, vous ne pouvez pas soutenir la loi immigration et en même temps panthéoniser Missak Manouchian », Pierre Ouzoulias, Libération, 2 janvier 2024.

(4) « Lettre à Mélinée », Missak Manouchian, 21 février 1944.

(5) « Le passé retrouvé de Missak et Mélinée Manouchian », Ariane Chemin, Le Monde, 9 février 2024.

(6) Cité par Ariane Chemin.


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