« Rafah sera la honte du monde » : à Paris, mobilisation contre le massacre des Palestiniens
Alors qu’Israël a annoncé une offensive militaire imminente à Rafah, où sont déplacés 1,4 million de Palestiniens, un rassemblement a eu lieu le 14 février dans la capitale devant le ministère des Affaires étrangères pour appeler la France à agir.
Une femme tient une pancarte tachée de sang. Elle y a accroché des chaussons de danse pour enfant, ensanglantés eux aussi. « Keep calm and watch the slaughter » : restons calmes et regardons le massacre. Au dos, en français : « Gaza, nous, on vous voit. Cessez-le-feu ». Elle n’est pas seule, autour d’elle des centaines de manifestants sont réunis ce 14 février devant le Quai d’Orsay, à l’appel du Collectif national pour une paix juste et durable, pour exiger des actes. Le carton est un peu défraîchi, la pancarte date de novembre. « Jamais on imaginait être encore là en février », soupire la femme. Elle a étudié le droit international public, et se dit « choquée » que de « telles violations des droits humains » puissent avoir lieu « sans réaction ».
« Ce n’est pas au peuple de dire à ses représentants de respecter le droit », intervient son amie. Sur sa pancarte, une Marianne a été dessinée, bonnet phrygien et bouche muselée par un sparadrap aux couleurs d’Israël. Ce qui la choque, « c’est le deux poids deux mesures » et le traitement par les médias. « Sur la 5, ils ont invité un Français qui s’est engagé dans l’armée israélienne et en face de lui, il n’y avait pas de contradicteur ». Elles évoquent les responsabilités face à l’histoire. « Quand on va réaliser ce qu’on a fait, ce sera trop tard. On se sera rendu compte qu’on était du mauvais côté de l’Histoire. »
Une autre femme, 35 ans, se trouve non loin. Elle aussi depuis quatre mois, est de toutes les mobilisations : elle a fait la marche de Paris à Bruxelles pour se rendre au Parlement européen début février, et s’est même rendue à La Haye, durant les audiences devant la Cour Internationale de justice en janvier après la plainte de l’Afrique du Sud pour génocide. Ce soir, à nouveau, elle est là. « Je me souviens quand on faisait de l’histoire au collège, je me disais ‘Comment ils ont fait pour laisser des gens partir dans les trains’. Et maintenant, on laisse faire. Nous, on n’est pas en danger, je ne vais pas mourir si je manifeste. Je me dois de sortir dans la rue. »
Ils tiennent sous les bombes et nous, il faudrait qu’on abandonne ?
La première fois qu’elle a entendu parler de la Palestine, elle avait 13 ans, sa mère regardait la télé, « c’était au moment de la mort de Mohammed Al-Durah ». À l’époque, la mort en direct du garçon de 12 ans, lors de la seconde intifada en 2000, avait ému l’opinion. Aujourd’hui, il en faut plus pour que la violence choque, selon elle. « Une boîte crânienne qui explose, c’est trash. Mais c’est ce qu’il faut. »
Une autre femme, seule, agite ardemment son drapeau palestinien. Elle scande les slogans avec la foule, mais son visage est empreint de gravité. « Ma douleur est profonde. Je ne crois plus en rien, ni aux droits de l’Homme, ni à la liberté, ni à la démocratie. Les images choquantes d’enfants mutilés qui nous parviennent ne font pas réagir le monde, personne ne bronche. » Pour elle, les décisions sont prises par les gouvernements et la volonté d’arranger la situation manque à l’appel.
Face à cette impuissance, elle exprime son désarroi et son soutien à la Palestine en étant présente ce soir. « Ils tiennent sous les bombes et nous, il faudrait qu’on abandonne ? Certainement pas. On doit continuer à montrer notre soutien face au nettoyage ethnique des Palestiniens. » Dévastée par ce qui se passe, elle affirme que « cette histoire à Rafah sera la honte du monde ».
« Plus personne n’est dupe, ce sont les civils qui sont visés »
Le rassemblement déborde sur la route. Cette mobilisation de soutien a pris plus d’ampleur que prévu. Pour un manifestant, « les déclarations sur Rafah ont eu l’effet d’un électrochoc chez les gens. Netanyahou ne peut plus parler de victimes collatérales dans sa lutte contre le Hamas. Plus personne n’est dupe, ce sont les civils qui sont volontairement visés ». En 48 heures, l’appel à manifester a rassemblé beaucoup de monde alors que le mouvement s’essoufflait depuis décembre. La police a dû bloquer les voitures pour sécuriser la manifestation.
L’armée israélienne a coupé le carburant, l’électricité, l’aide humanitaire passe au compte-goutte et la famine guette la population. Après avoir demandé à la population du nord de Gaza de se déplacer vers le sud pour leur sécurité, le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou a annoncé une « puissante opération militaire » à venir à Rafah, déjà sous les bombes depuis plusieurs jours. Plus de 1,4 million de Palestiniens sont entassés dans cette « ville refuge » suite aux bombardements au nord de la bande. 90 % de la population a été déplacée de force depuis le début du conflit.
Cacher l’intention génocidaire d’Israël semble de plus en plus compliqué.
J. Legrave
Dans la journée, Emmanuel Macron a appelé Benyamin Netanyahou à renoncer à une offensive israélienne à Rafah qui « ne pourrait qu’aboutir à un désastre humanitaire ». Si le président a demandé un cessez-le-feu à Gaza, la France continue pourtant de vendre des armes à Israël. Selon le député LFI Jérôme Legrave, « la France est le premier exportateur d’armes d’Israël en l’Union européenne. Elle envoie vers Israël 20 millions d’euros de matériel militaire chaque année ». Édouard, membre du Nouveau parti anticapitaliste (NPA), pointe lui aussi la responsabilité de la France. « Notre pays est acteur de cette guerre. En laissant 4 000 Français se battre pour Israël, la France se rend coupable. »
Beaucoup de pancartes sur lesquelles on peut lire « Arrêtez d’armer Israël et de financer le massacre » sont brandies devant le ministère. « Il y a un lien évident entre les annonces de Netanyahou sur Rafah et le monde qui s’est mobilisé aujourd’hui. L’ampleur du massacre réveille les consciences. Cacher l’intention génocidaire d’Israël semble de plus en plus compliqué », poursuit Jérôme Legrave. Pour lui, Israël est un État colonial qui commet des atrocités et légitime le massacre en assurant qu’il n’y a pas d’innocents à Gaza. « On assiste à une nouvelle Nakba. Comme en 1948, l’objectif est d’expulser le peuple palestinien. »
« Pas en notre nom »
Sur le caddie de courses qu’il brandit sans relâche, Sami a placé une pancarte : « Boycott ». Pour forcer Emmanuel Macron a agir réellement, il explique vouloir ralentir l’économie du pays. « S’il n’y a pas de financement, il n’y a plus de guerre. » Il n’a pas manqué d’assister à presque toutes les manifestations de soutien à la Palestine. « Nous avons un levier pour agir » assure une membre de BDS, la campagne de Boycott Désinvestissement Sanctions, lancée en 2005. « Ce sont les Palestiniens eux-mêmes qui nous demandent de cibler des entreprises. »
Parmi elles, « Carrefour, installé depuis 2023 dans les colonies israéliennes ». Ou encore la compagnie d’assurance AXA « qui continue d’investir dans les banques israéliennes qui financent des crimes de guerre et le vol de terres et de ressources naturelles palestiniennes ». « Résiliez vos contrats et écrivez dans l’objet : soutien à un régime colonial génocidaire. » Ce week-end, des actions sont prévues contre Carrefour, pour interpeller les clients sur les activités du groupe en Israël.
Devant le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, les prises de parole se poursuivent, en arabe et en français, et fustigent la France, qui a coupé ses financements à l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens. « Les Français qui sont là aujourd’hui vous disent ‘Pas en notre nom’. Non, on n’acceptera pas. » Les manifestants reprennent : « Pas en notre nom ! »
Dans la foule assemblée sur la place, des personnes portant une toile tentent de se frayer un passage. Sur le tissu blanc, il y a les noms des morts depuis le début de l’offensive israélienne. La banderole fait plusieurs mètres, sept ou huit peut-être. Depuis 130 jours, d’après le ministère de la santé gazaoui, l’offensive israélienne a tué 28 000 personnes au moins.
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