Génération·s : derrière la crise, la main de LFI ?
Le petit parti fondé par Benoît Hamon, tiraillé entre plusieurs options pour les européennes, vient de désapprouver ses deux dirigeants nationaux, Léa Filoche et Arash Saeidi. Des membres les accusent d’avoir tenté un « coup de force ».
Grande manœuvre politicienne ou tempête dans un verre d’eau ? À 23 h 42 dans la nuit de jeudi à vendredi, le compte X (ex-Twitter) de Génération·s publie un communiqué. Les quelques lignes du texte présentent les résultats d’une consultation que le parti a lancée sur sa stratégie d’alliance pour les européennes. Ce communiqué affirme que 59 % des militants ont voté une alliance avec la liste de La France insoumise menée par Manon Aubry, 17,5 % pour une alliance avec les Écologistes et Marie Toussaint, et 16 % pour la non-participation de Génération·s en 2024. Le vote est clair. Fin du débat.
Sur le même réseau social, Manon Aubry salue ce choix : « Merci à Génération·s de s’engager avec nous. Ensemble, nous créons la seule dynamique de rassemblement face à Macron et Bardella. Ensemble, nous continuerons de porter le programme et l’espoir de la Nupes. » Militants et élus insoumis suivent le mouvement. Le parti fondé par Benoît Hamon s’embarquerait donc avec la France insoumise pour 2024. Un tournant pour Génération·s qui, en 2019, avait défendu sa propre liste menée par Hamon (3,27 %) et rallié le Pôle écologiste en décembre 2020.
Mais quelques minutes plus tard, tout le réseau de Génération·s tente de répliquer sur le réseau social. Le compte X de l’organisation de jeunesse de ce petit parti diffuse un communiqué du bureau exécutif, la direction du mouvement : « Suspendus de leurs fonctions, nos ex-coordinateurs ont pris la responsabilité de communiquer en leur nom propre avec les moyens du parti. Aucune des communications de ce 22 février n’engage Génération·s. » La petite formation serait-elle en train de se couper en deux ?
Le débat est pour le moins tendu depuis plusieurs semaines. Trois options étaient sur la table : une alliance avec la FI, un accord avec les Écologistes, la défense de leur propre liste ou le refus de s’engager dans cette campagne. Au sein des troupes de Génération·s, aucune majorité ferme ne se dégageait. Les deux coordinateurs nationaux, Léa Filoche et Arash Saeidi, étaient favorables à une alliance avec la France insoumise, selon plusieurs sources.
Le mouvement mélenchoniste leur faisait cette offre : la 6e place de leur liste serait promise à Arash Saeidi, un autre membre du parti figurerait à la 16e place, et le mouvement de Benoît Hamon pourrait présenter un de ses membres toutes les dix places. En échange ? Un soutien à la stratégie de l’« Union populaire » et un engagement plus concret en faveur de Jean-Luc Mélenchon s’il devait être candidat en 2027, selon des membres du parlement du parti. De leur côté, les Écologistes leur offraient les 11e et la 13e places, des positions non-éligibles au vu des sondages actuels.
« Totalement biaisé »
Les membres du parlement du parti devaient se réunir mercredi soir pour trancher. Mais coup de théâtre : les deux coordinateurs du mouvement auraient envoyé un mail aux alentours de 18 heures aux adhérents, leur exposant l’état des négociations avec les Écologistes et la France insoumise et leur demandant de voter. La manœuvre est en dehors de la procédure habituelle. Et le mail se trouve être « totalement biaisé, totalement orienté pour que nos adhérents croient que la proposition des insoumis était la meilleure. Le cas des Écologistes est évoqué en une seule ligne », selon un membre de l’exécutif du parti.
On ne pensait pas que les deux coordinateurs nationaux allaient faire un coup.
La tenue du parlement est annulée deux heures avant l’heure prévue. « La ligne défendant une alliance avec les insoumis était minoritaire mercredi soir. On ne pensait pas que les deux coordinateurs nationaux allaient faire un coup. Ils ont tenté d’éviter le débat et contourner notre parlement, estime un membre de cette instance. Mais le coup de force était intenable. » Dans la foulée et conformément aux statuts du parti, de nombreux membres de ce parlement s’autosaisissent.
La centaine de membres du Parlement maintient le rendez-vous prévu en ligne. Et organisent deux votes. Le premier demande le report du vote des militants et annule cette consultation. Il est adopté : la consultation est rendue illégitime. Le deuxième porte sur la suspension pendant 10 jours des deux coordinateurs, Léa Filoche et Arash Saeidi qui, selon les informations de Politis, n’étaient pas connectés ce mercredi soir. Il est aussi adopté. Résultats ? Les deux dirigeants sont donc suspendus temporairement. Une commission de conciliation doit se constituer, adossée à une « vigie » démocratique.
Ma conception de la démocratie, c’est aussi de prendre en compte la voix des adhérents.
A. Saeidi
« Oui, il y a un débat au sein de notre mouvement. Mais les deux coordinateurs ont préféré la petite manœuvre », lâche la députée Sophie Taillé-Polian. Arash Saeidi se défend : « Plusieurs alliances étaient possibles. J’ai respecté la vision de tout le monde pendant trois mois. On a eu des débats dans nos instances à de très nombreuses reprises. Ma conception de la démocratie, c’est aussi de prendre en compte la voix des adhérents. On a fait une consultation et une proposition est largement majoritaire. La réaction de ces membres de Génération·s confisque le débat. J’assume ce que j’ai fait. »
« Les deux coordinateurs ont été suspendus car ils sont sortis de tout cadre démocratique au nom de leurs agendas et leurs intérêts personnels. Arash Saeidi voulait être candidat aux européennes et il avait peur que le fonctionnement démocratique freine cette ambition », lâche un membre du parlement de Génération·s. Mais d’autres vont plus loin et y voient un « accord caché avec la France insoumise ». Guillaume Balas en fait partie. « Dès le résultat, les insoumis ont réagi. Bien sûr que la direction et la France insoumise ont été en lien. Tout ça était coordonné. Ils s’étaient mis d’accord, c’est évident. L’objectif du côté d’Arash Saeidi, c’était qu’il ait un poste d’eurodéputé », soutient l’ancien coordinateur national de Génération·s et ex-eurodéputé.
La théorie du deal caché
Complot ou deal politicien ? « C’est une trahison. Notre coordination a voulu donner Génération·s dans les bras de Jean-Luc Mélenchon. C’est une trahison à des fins personnelles. C’est compliqué de penser que les insoumis ne se sont pas entendus avec nos deux coordinateurs. Qui a réagi en premier ? Les lieutenants de Jean-Luc Mélenchon. Tout semble assez clair », glisse une membre du parlement du parti. Le député insoumis Paul Vannier, chargé des relations avec les partenaires, rejette fermement ces accusations : « Je n’interviens d’aucune manière dans les procédures internes d’autres mouvements que le mien (…). Je ne souhaite pas être instrumentalisé dans les controverses internes à Génération·s. »
Mais les rumeurs commencent à être nombreuses. Une source au sein du parti imagine que Léa Filoche et Arash Saeidi pourraient rejoindre désormais les rangs de LFI. La même craint le retour possible de Benoît Hamon à la tête du parti actuellement fragilisé en vue de 2027. « Les dynamiques de la future présidentielle sont en train de se mettre en place », dit-elle. Pour le moment, le candidat socialiste à la présidentielle en 2017 n’a pas encore réagi.
Contactée, Léa Filoche, « en congés, donc pas disponible pour la presse », n’a pas souhaité répondre. De son côté, Arash Saeidi, refuse d’adhérer à la théorie de ce deal caché. « Les pseudo-accords cachés… Je n’ai pas d’agenda caché. Ce n’est pas mon sujet. J’échange avec tout le monde à gauche, avec tous les partenaires et c’est normal. Mon objectif, c’est de construire un véhicule unitaire de gauche pour 2027 face à l’extrême droite et défendre un programme de rupture en 2024 », se défend-il. Les instances du parti devraient se réunir. Et un vote devrait avoir lieu dans les prochains jours.
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