Joe Biden, la fébrilité des démocrates

De Barack Obama aux simples sympathisants, les démocrates ne cachent pas leurs inquiétudes face à la candidature du président sortant. La campagne de trop pour l’octogénaire ?

Alexis Buisson  • 12 février 2024 abonné·es
Joe Biden, la fébrilité des démocrates
Pour l’emporter, le candidat démocrate aura besoin d’une participation élevée des jeunes.
© ANDREW CABALLERO-REYNOLDS / AFP

Teresa Tubber est formelle : « Joe Biden doit prendre sa retraite. Avec tout le chaos qui règne dans le monde, c’est le moment pour lui de passer le relais. » Cette Afro-Américaine de 67 ans, enseignante à la retraite, n’est pas une républicaine chevronnée, mais une démocrate de toujours. Rencontrée en janvier dans le New Hampshire, elle participait à un meeting de Dean Phillips, ce député du Minnesota qui tente de ravir l’investiture du parti au président sortant. Dans la salle d’un centre pour seniors pleine à craquer, décorée de panneaux où s’étalait le mot « courage », l’élu de 55 ans en jean-cravate a justifié sa candidature depuis une petite estrade. « Je ne me présente pas pour descendre Joe Biden, mais je veux offrir une alternative qui peut nous donner la victoire face à Donald Trump. »

Plusieurs sondages ont montré ces derniers mois qu’une écrasante majorité de la gauche estimait que le président de 81 ans était trop vieux pour rempiler pour quatre années. Selon une enquête de l’Institut Pew, fin janvier, la part des démocrates qui le trouvent « affûté sur le plan mental » a chuté de plus de 30 points depuis mars 2021, passant de 86 % à 53 %. À cela s’ajoute une érosion continue de la cote d’approbation de ses actions à la tête du pays.

Son soutien à l’État israélien a fracturé la coalition qui l’a porté au pouvoir en 2020 face à l’ogre Donald Trump.

Depuis le retrait chaotique des troupes américaines d’Afghanistan en août 2021, la courbe des insatisfaits est restée supérieure à celle des satisfaits. L’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre a ajouté un défi supplémentaire – certainement l’un des plus importants de sa présidence. Son soutien à l’État israélien a fracturé la coalition qui l’a porté au pouvoir en 2020 face à l’ogre Donald Trump. Jeunes, populations racisées (en particulier arabes et musulmanes), progressistes : ces groupes pourraient rester chez eux en novembre.

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Une telle désertion des urnes pourrait le plomber dans les Swing States, ces États déterminants dans la course à la Maison-Blanche, où les scrutins se jouent parfois à quelques milliers de voix. C’est le cas du Michigan, État industriel que Biden avait repris à Trump en 2020 avec 154 000 voix d’avance. Aujourd’hui, des responsables de l’importante communauté arabe-musulmane de l’État, soit 300 000 personnes, appellent à s’abstenir ou à voter pour un « petit » candidat en novembre prochain (l’indépendant Robert Kennedy Jr., le philosophe Cornel West, l’écologiste Jill Stein, etc.).

Certains ont même lancé une campagne nommée « Abandon Biden » pour le punir. Le locataire de la Maison-Blanche a bien essayé de relancer le dialogue en dépêchant sur place, en janvier, sa directrice de campagne, Julie Chávez Rodríguez, mais plusieurs leaders locaux ont refusé de la rencontrer. « Notre voix n’est plus acquise », résume Lexis Zeidan, une jeune militante pro-palestinienne.

Désaffection de la jeunesse

« Joe Biden devrait être très inquiet », confirme Stephen Zunes, professeur de science politique à l’université de San Francisco et spécialiste du Moyen-Orient. Citant l’institut Gallup, il observe que le soutien pour le chef de l’État fédéral a baissé de 11 points au sein de l’électorat démocrate en octobre, le mois de l’attaque. Une dégringolade qu’il impute en partie à la désaffection de la jeunesse. Sensible aux questions de justice raciale et sociale, elle est devenue plus hostile à Israël ces dernières années outre-Atlantique. « La participation des jeunes sera cruciale pour les démocrates. Si elle n’est pas élevée, ils perdront. Par ailleurs, le parti aura besoin d’eux pour faire du porte-à-porte. S’ils ne sont pas enthousiastes, ils ne vont pas se mobiliser », poursuit-il.

Si Trump n’était pas candidat, je ne suis pas sûr que je me serais représenté.

Joe Biden

Toutefois, n’en déplaise à ses détracteurs, la nouvelle candidature de Joe Biden répond à la norme pour les locataires sortants de la Maison-Blanche : seuls six sur quarante-six ont décidé de ne pas se relancer dans la bataille. « Joe Biden avait laissé entendre qu’il serait un président de transition. Certains ont interprété cela comme étant une promesse qu’il ne ferait qu’un seul mandat, mais il ne l’a jamais dit clairement », rappelle Antoine Yoshinaka, professeur de sciences politiques à l’université d’État de New York à Buffalo.

Cette quatrième candidature (après celles de 1988, 2008 et 2020) s’inscrit dans la continuité de ses ambitions. Enfant, le jeune Joe racontait déjà qu’il voulait occuper le Bureau ovale. À l’université, il a même établi un plan de bataille pour y parvenir. Élu enfin à la Maison-Blanche en 2020 après que Barack Obama l’a dissuadé de se présenter en 2016, il n’allait pas renoncer à son siège facilement.

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D’autant que le danger Trump plane toujours. Quatre ans après avoir axé sa campagne sur l’importance de restaurer « l’âme » des États-Unis face au milliardaire populiste, l’ex-vice-président se sentait obligé de retourner au front pour lui faire barrage une seconde fois. C’est, du moins, ce qu’il a admis, en décembre, devant un groupe de donateurs à Boston. « Si Trump n’était pas candidat, je ne suis pas sûr que je me serais représenté », a-t-il reconnu, provoquant la consternation de certains démocrates, selon qui ce genre de propos ne va pas revigorer les troupes.

« À tort ou à raison, il estime être le seul capable de battre Trump. Il a prouvé qu’il pouvait le faire en 2020, reprend Antoine Yoshinaka. Ce n’est pas qu’il manque une relève au sein de sa famille politique, où il existe une génération d’élus jeunes et dynamiques, comme le gouverneur de Californie Gavin Newsom ou la vice-présidente Kamala Harris, mais les démocrates se veulent réalistes. Pour l’instant, ils voient en lui leur meilleure chance d’empêcher le retour du milliardaire. »

Je vais faire ce que je peux pour m’assurer que le président soit réélu.

Bernie Sanders

Force est de constater que ses successeurs potentiels se sont rangés derrière le président, même si cela signifie ronger leur frein jusqu’en 2028. C’est vrai en particulier pour Gavin Newsom, dont les multiples apparitions sur la chaîne conservatrice Fox News, notamment pour débattre avec le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, ont alimenté les rumeurs sur ses ambitions présidentielles.

Le Californien est aujourd’hui l’un des porte-parole de Joe Biden. « Je sais que certaines personnes sont un peu pessimistes quant au mois de novembre. Ce n’est pas mon cas », a-t-il déclaré lors d’un récent meeting en Caroline du Sud en vue de la primaire. « Donald Trump est le candidat le plus vulnérable que je connaisse. Il fait littéralement campagne depuis le palais de justice ! »

Des soutiens de poids

Même Bernie Sanders, ténor de l’aile gauche du Parti démocrate, et d’autres progressistes, comme la députée de New York Alexandria Ocasio-Cortez, ont assuré le sortant de leur soutien. « La dernière chose dont ce pays a besoin, c’est d’un Donald Trump ou d’un autre démagogue de droite qui tenterait de saper la démocratie américaine ou de retirer aux femmes le droit de disposer de leur corps. Ou ne ferait rien pour résoudre la violence par armes à feu, le racisme, le sexisme ou l’homophobie, a déclaré le sénateur du Vermont dans une interview. Donc, je vais faire ce que je peux pour m’assurer que le président soit réélu. »

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Le professeur Yoshinaka juge le « cas » Robert Kennedy Jr. intéressant à ce titre. Le plus médiatique des démocrates ayant osé défier Joe Biden, cet avocat complotiste, neveu de l’ancien président « JFK », a été rapidement mis au ban par les cadres et les grands argentiers du parti, soucieux de protéger leur poulain. Il a été contraint de se présenter sous l’étiquette d’indépendant. Ce qui le privera de la force de frappe (humaine, financière, etc.) d’une formation politique installée. « L’establishment n’a rien voulu entendre », observe l’expert.

L’épouvantail Donald Trump reste le meilleur argument pour mobiliser.

Malgré les inquiétudes au sein de son parti, y compris d’un certain Barack Obama qui l’aurait encouragé en privé à réorganiser ses équipes de campagne, Joe Biden ne laisse transparaître aucun doute. Sous-estimé pendant toute sa carrière politique, il pointe aux bons résultats enregistrés par les démocrates lors des élections législatives de mi-mandat de 2022 (même si, à la différence de la présidentielle, son nom n’était pas sur les bulletins). Il entend surfer sur le vif mécontentement causé par la révocation de l’arrêt « Roe vs Wade » sur l’avortement par une Cour suprême à qui Donald Trump a donné une majorité conservatrice avec la nomination de trois juges.

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En 2023, il a levé 97 millions de dollars auprès de petits et grands donateurs. C’est beaucoup plus que son rival républicain (45 millions de dollars au troisième trimestre 2023), empêtré dans des affaires judiciaires qui lui coûtent un bras. « Les Américains ne pensent pas encore aux années Trump, mais cela pourrait changer quand la campagne sera lancée et que les mauvais souvenirs de sa présidence – le chaos, l’attaque du Capitole, la nomination de juges conservateurs – seront martelés 24 heures sur 24 », prédit Antoine Yoshinaka. L’épouvantail Donald Trump reste le meilleur argument pour mobiliser.

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