La mobilisation contre l’A69 toujours vivante

Sur le terrain, dans les arbres, dans les tribunaux, à l’Assemblée nationale : la mobilisation contre le projet d’autoroute A69 devient multiforme et donne espoir aux opposant·es, malgré la répression qui s’accentue.

Vanina Delmas  • 20 février 2024
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La mobilisation contre l’A69 toujours vivante
Intervention des gendarmes sur une route le long de la zone à défendre contre l'A69 entre Toulouse et Castres, à Saix, le 9 février 2024.
© Lionel BONAVENTURE / AFP

Depuis le début de l’année, la mobilisation contre le projet d’autoroute A69 entre Castres et Toulouse ressurgit partout. La société Atosca, concessionnaire de l’A69, multiplie les annonces dans la presse à propos de l’avancée du chantier, assurant que « 95 % des opérations de déboisement ont déjà eu lieu », que « 45 % du budget a déjà été engagé, soit 200 millions sur les 450 millions du projet » et que la mise en service de l’autoroute est toujours prévue pour 2025.

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Du côté des opposant·es, les festivités ont été lancées par une campagne d’action locale et nationale nommée « Le grand Carnaval : démasquons la MAFIA69 ! » ciblant les acteurs qui portent et soutiennent le projet d’autoroute. Le 10 février, la lutte a pris une dimension internationale avec la présence d’une délégation internationale de Friday for future et de Greta Thunberg. Depuis le 15 février, la pression est montée d’un cran.

Sur le terrain, « écureuils » VS forces de l’ordre

Le bois du lieu-dit La Cremade, renommé ZAD de la Crem’arbre par les militant·es qui l’occupent depuis le début de l’année, est le dernier bastion végétal sur le tracé de la future A69. La société Atosca, concessionnaire de l’A69, estime avoir le droit de le défricher depuis le 15 février, ce que contestent les opposant·es. Les militant·es sur place documentent sur les réseaux sociaux les agissements des forces de l’ordre (FDO) qui tentent d’évacuer la forêt par tous les moyens. Des images les montrent en train de détruire les cabanes au sol, de mettre le feu à des biens, de déverser de l’essence au pied des arbres au sommet desquels sont perchés des écureuils (surnom des défenseurs des arbres).

Il est indispensable d’apaiser la situation sur place pour que la démocratie environnementale s’exerce.

M. Forst

« Les FDO empêchent toute possibilité de ravitaillement. Nous sommes dans l’impossibilité de rejoindre nos amis au sol sous peine de voir les arbres et toute forme de vie se faire réduire à néant. (…) La nuit, de grands projecteurs et des lampes stroboscopiques empêchent les vivants de se reposer. Dès que nous bougeons un orteil, nous sommes la cible d’agressions morales et physiques », dénoncent les écureuils et les activistes de la Crem’arbres dans un communiqué publié le 18 février.


Six associations (Attac, le Groupe national de surveillance des arbres, l’Association nationale pour la biodiversité, la Ligue des droits de l’Homme Toulouse, le collectif La voie est libre) ont déposé plainte contre X pour mise en danger volontaire de la vie d’autrui auprès du procureur du tribunal de Toulouse. Michel Forst, rapporteur spécial de l’ONU pour les défenseurs de l’environnement, a interpellé le préfet du Tarn sur les réseaux sociaux : « Les alertes sur les méthodes de maintien de l’ordre actuellement employées contre les militants pacifiques sur le chantier de l’A69 sont alarmantes. Il est indispensable d’apaiser la situation sur place pour que la démocratie environnementale s’exerce. »

Des dizaines de militant·es en procès

Les opposant·es comptabilisent une vingtaine de procès et estiment qu’environ 55 personnes ont été poursuivies en justice, principalement des « écureuils » qui occupaient des arbres, des personnes qui ont bloqué des machines de chantier, qui sont soupçonnées de dégradations, ou accusées d’agression sur agents dépositaires de l’autorité publique.

Marie* (prénom a été modifié) a été arrêtée en octobre dernier, sur le site de La Prade où les militant·es occupaient des platanes depuis 45 jours. « Les forces de l’ordre sont montées jusqu’à nous avec une échelle de pompier, m’ont mis les Serflex autour des poignets alors que je n’opposais pas de résistance et m’ont descendu avec leur propre corde », se souvient-elle. Dès le lendemain, les arbres étaient abattus. Marie, et quatre autres personnes, passent la nuit en garde-à-vue puis sont déférées au tribunal de Castres. Elle est désormais sous contrôle judiciaire et doit pointer deux fois par mois à la gendarmerie, mais n’a pas l’interdiction de se rendre dans le périmètre du chantier de l’A69.

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Le premier procès en janvier concernait cinq personnes qui se sont enchaînées aux grues d’abattage et aux tractopelles sur le chantier en mars 2023. Le deuxième visait une enseignante accusée d’avoir incendié deux véhicules de la société concessionnaire, la seule preuve étant une trace ADN. Sept procès sont prévus d’ici à novembre, et d’autres ont été renvoyés en 2025. « On espère que d’ici à là, tous les recours juridiques sur le fond auront été jugés car nous sommes persuadés qu’ils nous donneront raison d’agir ainsi », conclut Marie.

Une bataille juridique cruciale

« Soyons clairs : tous les recours juridiques ne sont pas purgés », indique d’emblée Gilles Garric, référent juridique du collectif La voie est libre (LVEL). En effet, l’une des revendications majeures des opposant·es à l’A69 est que les recours juridiques sur le fond soient jugés, afin de suspendre les travaux. Quatre recours sont actuellement déposés au tribunal administratif ou au Conseil d’État, qui attaquent chaque volet de l’autorisation environnementale délivrée par arrêté préfectoral début mars 2023.

Ils remettent notamment en cause l’intérêt public du projet, l’absence d’étude d’alternative, le fait que cela ne s’inscrive pas dans un projet de territoire, ainsi que les principaux arguments des pro autoroute portant sur le besoin de désenclavement de la ville de Castres, le gain de temps, et le manque de sécurité de la route nationale 126. Le volet santé publique est également abordé, pointant un risque de dégradation de la qualité de l’air autour de l’autoroute mais aussi dans les villages environnants qui seront à nouveau traversés par les automobilistes refusant d’emprunter l’A69.

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Un autre recours sur le fonds est porté par le propriétaire d’un site classé monument historique à Maurens-Scopont car le tracé de l’autoroute passe à 180 m de ce bâtiment, alors que la loi prévoit que rien ne peut être construit à moins de 500 mètres d’un monument classé. De plus, le parc de ce château abrite une prairie pleine de jacinthes de Rome, une espèce protégée par la loi qui risque d’être touchée par l’assèchement des zones humides. Les opposants ont conscience que ces recours sur le fond ne seront pas jugés avant fin 2024. En attendant, ils déposent des référés pour alimenter les dossiers et toujours dans l’espoir de faire suspendre les travaux.

Le 9 février, ils ont déposé un référé pénal environnemental qui répertorie toutes les illégalités du concessionnaire depuis le début des travaux. « Par exemple, ils ont creusé des bassins, donc les eaux pluviales entrent en contact avec les eaux souterraines ce qui augmente le risque de pollution. Ils ont également détruit un bâtiment sans vérifier la présence d’habitats d’espèces protégées, alors qu’il y avait des chauves-souris », énumère Gilles Garric.

Ils ont détruit un bâtiment sans vérifier la présence d’habitats d’espèces protégées.

G. Garric

Mais cette nouvelle action en justice a comme objectif prioritaire d’empêcher la société Atosca de raser le bois de La Crémade, où est installée la ZAD de la Crem’arbre. En effet, le concessionnaire a annoncé dans la presse son intention de finir les opérations de déboisement mi-février. Or, selon les opposant·es, l’arrêté préfectoral de l’autorisation environnementale précise que ce bois est à « enjeu environnemental fort » notamment pour les oiseaux et les chiroptères, donc le défrichage ne peut avoir lieu qu’entre le 1er septembre et le 15 octobre.

L’alternative ferroviaire

Le collectif LVEL organise également la résistance sur les alternatives possibles dans le cadre d’un véritable projet de territoire. En septembre dernier, ils avaient révélé un projet alternatif global, très étoffé, nommé « Une autre voie » et porté par Karim Lahiani, un paysagiste urbaniste. Début février, ils ont détaillé leur étude concernant une alternative ferroviaire (cliquer ici pour consulter le PDF) et de transports en commun, menée par Jean Olivier, docteur en écologie de l’Université de Toulouse et Benoît Durand, expert ferroviaire citoyen.

La carte de l’alternative ferroviaire présentée par les opposants à l’A69. (DR.)

Le socle de ce projet ferroviaire est la ligne existante Toulouse-Mazamet. LVEL propose notamment d’ajouter des trains supplémentaires le matin et le soir dans les deux sens dès 2024, puis des trains express en 2030 qui s’arrêteront à une dizaine de gares, et mettront « le centre de la capitale occitane à 1 h 05 de Castres contre 1 h 20 en voiture ». Un train de nuit par le prolongement de la ligne Paris-Toulouse jusqu’à Mazamet pourrait également être envisagé.

Dans leur étude, ils élaborent « une politique tarifaire attractive avec tous les trains à 5 euros sur le trajet Toulouse-Mazamet et la poursuite des politiques tarifaires de la région (train à 1 euro les premiers week-ends du mois, tarification jeunes etc.) ».

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Le collectif a également anticipé une politique territoriale du fret ferroviaire d’ici à 2040. « Dans sa contribution au débat public sur l’A69, Pierre Fabre (groupe pharmaceutique, N.D.L.R) indique faire rouler 60 camions par jour à partir ou vers Castres. L’objectif est à la fois de faire baisser le fret par camion sur les axes routiers et de permettre la redirection économique du territoire en favorisant la relocalisation des activités productives le long de la ligne dans les zones d’activités existantes », indique-t-il.

Côté financement, leur alternative est bien loin des déclarations de Carole Delga, présidente de la région Occitanie, qui estimait « qu’électrifier et redimensionner la voie ferrée entre Mazamet et Toulouse coûterait la somme irréaliste de plus d’un milliard d’euros ». Pour LVEL, le budget s’élèverait entre 80 et 120 millions d’euros d’investissements, selon l’électrification de la ligne ou pas. Plus de la moitié du budget serait aiguillée pour étendre le système de signalisation et acheter cinq nouveaux trains afin de doubler la capacité.

Le débat fait irruption à l’Assemblée nationale

Tout vient d’une pétition citoyenne déposée par les opposants à l’autoroute Castres-Toulouse du collectif La Voie est libre sur le site de l’Assemblée nationale en novembre 2023 et qui a recueilli à ce jour plus de 50 000 signatures. La commission développement durable et de l’aménagement du territoire a alors accepté de débattre de ce sujet, le 7 février dernier. D’autre part, grâce à son droit de tirage annuel, le groupe écologiste a déclenché une commission d’enquête parlementaire sur le montage juridique et financier du projet autoroutier.

C’est un véritable enjeu démocratique.

C. Arrighi

L’étude des dossiers et les auditions sous serment à l’Assemblée nationale commenceront le 27 février et dureront six mois. « Cette commission d’enquête doit éclairer les multiples arguments pro autoroute sortis tout droit d’un logiciel des années 1990 dont la plupart se font dans une totale opacité. C’est un véritable enjeu démocratique », affirme Christine Arrighi, députée écologiste de Haute-Garonne qui a été désignée rapporteure de la commission d’enquête.

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Les principaux débats porteront sur le volet environnemental du projet autoroutier, mais aussi sur le tarif du péage : l’aller-retour est annoncé depuis des années à 17 euros, mais l’élue toulousaine affirme que cela grimperait jusqu’à 20 euros, voire 26 euros pour les véhicules utilitaires. Enfin, les député·es seront chargés d’investiguer le volet financier du projet, ce qui n’a jamais été fait. Les députés écologistes s’interrogent notamment sur les raisons qui ont poussé l’État à confier la concession autoroutière de l’A69 pour une durée de 55 ans à la société ATOSCA.

« Ce contrat contient 27 annexes qui n’ont jamais pu être consultées jusqu’à présent car elles étaient couvertes par le secret des affaires », s’indigne Christine Arrighi. La nomination de Jean Terlier, député Renaissance du Tarn et publiquement favorable au projet d’A69, à la présidence de la commission d’enquête a un peu refroidi les opposants. Ces derniers l’accusent de conflit d’intérêts car son épouse est cadre du groupe pharmaceutique Pierre Fabre, qui soutient la réalisation de l’autoroute depuis des décennies.

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