« Marc Fesneau ne change pas du tout le cap »

Manon Meunier, ingénieure agronome et députée insoumise de Haute-Vienne, estime que le gouvernement n’est pas à la hauteur de la crise du monde paysan. Et appelle à un changement de modèle agricole.

Lucas Sarafian  • 21 février 2024 abonné·es
« Marc Fesneau ne change pas du tout le cap »
Marc Fesneau et Agnès Pannier-Runacher en déplacement dans le vignoble d’Aspres, dans les Pyrénées-Orientales.
© Jc Milhet / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Pendant dix mois, elle a décortiqué le malaise du monde agricole. Manon Meunier a auditionné tous les acteurs et les spécialistes de l’agriculture. Le résultat ? Un rapport d’information présenté avec le député Modem du Haut-Rhin Hubert Ott, le 24 janvier. L’insoumise pointe la responsabilité des gouvernements successifs dans la crise que vivent les agriculteurs et ouvre la voie à un autre modèle : l’agroécologie, « seule et unique réponse soutenable et durable pour enrayer le déclin de la biodiversité dû aux pratiques agricoles intensives et améliorer la résilience de l’agriculture face au changement climatique », est-il écrit dans ce rapport.

Aucun des paysans auditionnés ne rejette le principe de la transition écologique.

Quels sont les ressorts de la colère du monde agricole ?

Manon Meunier : C’est une colère profonde. Depuis des dizaines d’années, les agriculteurs voient leurs conditions de travail et leur rémunération se dégrader. Dans le Limousin, les éleveurs que je rencontre me disent qu’ils n’arrivent pas à se rémunérer au Smic et qu’ils savent déjà qu’ils toucheront moins de 1 000 euros quand ils seront à la retraite. Ce n’est plus tenable. D’un côté, on voit l’augmentation des prix pour le consommateur. De l’autre, on achète les produits de moins en moins cher aux producteurs. Le résultat est simple : l’agroalimentaire et la grande distribution obtiennent des marges importantes. Et le producteur sent qu’il n’est que la variable d’ajustement des traités de libre-échange et que les politiques mises en place ne le protègent pas, puisque les lois Egalim sont inefficaces.

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Pourquoi estimez-vous que l’agriculture intensive est la cause majeure de cet effondrement de la biodiversité que vous décrivez dans le rapport ?

L’intensification de nos pratiques agricoles a modifié complètement les paysages. La spécialisation des cultures, l’utilisation de produits phytosanitaires, l’agrandissement des parcelles ou la disparition d’infrastructures agro­écologiques comme les haies ont affecté la biodiversité. Par exemple, c’est dans les paysages agricoles qu’on observe le plus de recul des populations d’oiseaux. Un autre phénomène est aussi à l’œuvre : la crise environnementale entraîne une chute des rendements, notamment pour les cultures céréalières. L’Institut national de la recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) affirme que ce sont la chute de biodiversité et le changement climatique qui en sont responsables. Un cercle vicieux se met en place.

Pourquoi sommes-nous restés dans ce modèle intensif si longtemps ?

Les politiques publiques ont fait en sorte d’encourager ce système alors qu’ils sont alertés sur la question climatique. Et cela mène l’agriculture elle-même vers sa perte. Depuis des années, c’est l’agro-industrie qui donne le cap en poussant pour toujours plus de compétitivité. Aujourd’hui, nous sommes à un point de bascule. Nous devons faire un choix entre un modèle ultra-compétitif et un autre protectionniste, qui privilégie davantage la qualité et correspond aux attentes sociétales.

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Passer à un modèle agroécologique pourrait-il tout changer ?

C’est un changement d’échelle et de mode de pensée. L’agroécologie encourage l’augmentation du nombre de paysans et non l’agrandissement des exploitations. Cela permettrait de mettre en avant des agricultures familiales. Les paysans pourraient avoir une vue sur leurs infrastructures agroécologiques, comme les haies, les arbres, les mares… Ce qui permettrait de rétablir un minimum d’équilibre naturel entre les espèces sauvages et les espèces cultivées. L’agroécologie, ce sont aussi des choix de races et de variétés locales plus adaptées aux conditions climatiques et à l’équilibre naturel. Ce système pourrait créer un équilibre vertueux avec ce qui nous entoure. Mais c’est une prise de risque.

Comment accompagner cette prise de risque et les agriculteurs dans la transition écologique ?

C’est honteux de répondre à une telle crise par des mesurettes.

Aucun des paysans auditionnés ne rejette le principe de la transition écologique. Ils voient les conséquences sur leurs parcelles et réfléchissent à la planète qu’ils vont laisser à leurs enfants. Ils demandent simplement à pouvoir vivre dignement. Il faut leur assurer un revenu de base par la mise en place de prix planchers – donc l’encadrement des marges de l’agroalimentaire – et la fin des traités de libre-échange. Il est vrai que la conversion vers un modèle agroécologique est difficile. Donc l’État doit s’engager pleinement : durant les premières années où l’agriculteur choisit ce modèle, l’État pourrait prendre en charge la baisse de rendement de sa ferme. C’est une politique à l’opposé de celle menée par notre ministre de l’Agriculture, qui fait le choix de ne pas orienter les aides du plan stratégique vers la transition écologique et a complètement cassé le budget des mesures agroenvironnementales et climatiques (Maec). Et les plans Écophyto sont des échecs successifs. Marc Fesneau ne change pas du tout le cap.

Face à la droite et à l’extrême droite, la gauche a un train de retard sur le sujet agricole…

Il faut dire que c’est la droite qui a signé les traités de libre-échange néfastes qui ont entraîné cette crise. La droite n’a jamais remis en question le rapport de force entre l’agro-industrie et les paysans. Elle ne fait que pointer du doigt les normes environnementales. Ce discours est assez facile. Il ne remet pas en cause la compétition internationale. Et l’extrême droite ne remet pas non plus en question les superprofits ou le libéralisme. C’est leur vision ultralibérale qui écrase nos campagnes, nos ruralités et nos paysans. Ce n’est pas la nôtre.

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Que pensez-vous des annonces du gouvernement face à la crise du monde agricole ?

Je suis atterrée. Les annonces de Gabriel Attal et de Marc Fesneau ne sont pas à la hauteur. Les agriculteurs espéraient être entendus, notamment sur leurs rémunérations. On attendait une loi qui pourrait enfin encadrer les marges. C’est honteux de répondre à une telle crise par des mesurettes. La plupart des paysans considèrent que la révolte n’est pas finie. D’ailleurs, la loi d’orientation et d’avenir agricoles tarde à venir. La première version est sortie en décembre dernier et Marc Fesneau a bien compris que, s’il la présentait en l’état, elle allait être rejetée massivement par les agriculteurs. Il faut du courage politique pour encadrer les marges de l’agroalimentaire et de la grande distribution. Il faut du courage politique pour mettre fin à des traités de libre-échange qui écrasent les agriculteurs. Mais j’ai peu d’espoir que l’actuel gouvernement ait ce courage politique.

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