Menacé d’expulsion, un homme atteint du VIH risque de ne plus pouvoir se soigner
Visée par une OQTF, la personne pourrait être expulsée vers la République démocratique du Congo. Un pays où « il ne pourra pas bénéficier des soins et du suivi » nécessaires, estiment plusieurs associations mobilisées, pour lesquelles il s’agit d’une « mise en danger avérée ».
« Le juge m’a libéré ! » Lundi 12 février, Pascal* apprend qu’il peut enfin quitter le centre de rétention administrative (CRA) du Mesnil-Amelot, où il vient de passer les deux derniers mois. Mais le soulagement ne dure qu’un instant : sa liberté, il ne la doit qu’aux autorités consulaires congolaises qui n’ont pas répondu à la demande de laissez-passer de la préfecture de l’Essonne.
Le prénom a été changé.
Sans garantie de pouvoir l’éloigner du territoire dans les quinze prochains jours, le juge des libertés et de la détention (JLD) a décidé, dans ces conditions, de ne pas prolonger son enfermement. Néanmoins, l’obligation de quitter le territoire (OQTF) dont il fait l’objet court toujours. Alors très vite, Pascal en revient à ses inquiétudes. « Le magistrat m’a donné sept jours pour quitter la France, mais mercredi, j’ai rendez-vous à l’hôpital. Cette semaine, je vais pouvoir y aller. Mais après ? »
Si je suis renvoyé, qu’est-ce qu’il va se passer pour moi ?
Pascal
L’homme de 45 ans est originaire de la République démocratique du Congo (RDC). Il vit en France depuis 12 ans. En 2016, il apprend qu’il est porteur du VIH. Il souffre aussi d’autres comorbidités associées. Une gastrite chronique et « des problèmes de prostate », qui nécessitent, elles aussi, des traitements adaptés. Mais sa crainte, en cas de retour en RDC, concerne surtout l’accès à sa trithérapie antirétrovirale : « Mes médecins m’ont expliqué que mon traitement n’était pas disponible. Si je suis renvoyé, qu’est-ce qu’il va se passer pour moi ? »
Le 8 février dernier, alors que Pascal était toujours maintenu en rétention, un communiqué de presse interassociatif s’alarme. La Cimade, Act Up-Paris et le Comité pour la santé des exilés (Comede) dénoncent non seulement que « la France enferme et [veuille] expulser une personne atteinte du VIH vers un pays où elle ne peut pas être soignée », mais aussi les multiples entraves à son traitement, au sein même du centre de rétention.
Une mesure d’éloignement illégale
Ces deux dernières années, Pascal était en prison. Le 5 décembre, quelques jours avant la fin de sa peine, il se voit notifier une OQTF pour menace à l’ordre public – une procédure rendue quasi-automatique depuis quelques années pour les personnes étrangères en situation irrégulière sortantes de prison, quels que soient les motifs de la condamnation.
Pour contester la mesure d’éloignement, Pascal ne dispose que de 48 heures. Un délai très court qui ne permet généralement pas un exercice effectif des droits, et une mission quasi-impossible en prison. Il ne conteste donc pas la mesure et est placé au CRA le 14 décembre, le jour de sa sortie de prison. Pour son avocate, Me Alissa Ozeki, l’homme n’aurait cependant jamais dû faire l’objet d’une OQTF. Considérant son état de santé et le fait qu’il n’était pas garanti de pouvoir accéder à un traitement approprié dans son pays d’origine, Pascal aurait dû bénéficier d’une protection contre cette mesure (voir encadré). Pour son avocate, l’OQTF est « illégale ».
Jusqu’à la promulgation de la nouvelle loi pour l’asile et l’immigration, le 26 janvier 2024, certaines catégories de personnes étrangères étaient protégées d’une OQTF, même si elles résidaient irrégulièrement sur le territoire. Parmi ces neuf catégories, anciennement édictées à l’article L.311-3 du Ceseda, une personne pouvait être protégée de l’éloignement lorsque son état de santé « nécessite une prise en charge médicale, dont le défaut pourrait avoir des conséquences d’une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait y bénéficier effectivement d’un traitement approprié ». Désormais, avec la nouvelle loi asile et immigration, l’ensemble de ces protections contre l’éloignement sont levées, sauf celle concernant les étranger·ères mineur·es. Une mesure qui illustre le durcissement historique qui s’est opéré, et risque de porter atteinte aux droits fondamentaux des personnes étrangères résidant sur le territoire français, selon de nombreux·ses défenseur·es des droits.
Entrave aux soins
« À ma sortie de détention, il était prévu que je dépose une demande de titre de séjour pour soins, nous livrait Pascal par téléphone, quelques jours avant sa sortie du CRA. Avec mon médecin, on avait commencé à mettre les choses en place. » Bien sûr, la mesure d’éloignement vient modifier cette perspective. Et avec son placement en rétention, tout se complique : l’homme assure que son traitement ne lui est « pas donné correctement », environ « un jour sur trois ». Mais la trithérapie doit pourtant être prise tous les jours, pour le reste de sa vie.
Une entrave aux soins « extrêmement préjudiciable » pour sa santé, abonde Corinne Lakhdari, travailleuse sociale communautaire bénévole à Act-Up-Paris : « On a tellement dédramatisé la question du VIH que l’on oublie souvent qu’il existe toute une prise en charge, au-delà du traitement. Une bonne observance thérapeutique repose à la fois sur la prise quotidienne de son traitement, mais aussi par une bonne alimentation et une bonne qualité de vie. C’est une prise en charge globale. »
Pour alerter sur cette entrave aux soins, La Cimade a adressé plusieurs saisines début janvier, notamment aux ministères de la Santé et de l’Intérieur. Toutes seraient restées lettres mortes, malgré la gravité de ces empêchements : pouvoir bénéficier d’un traitement adapté à son état de santé est un droit fondamental.
En RDC, une situation « complexe »
Dans le cadre de sa procédure d’éloignement, Pascal est néanmoins examiné en rétention par un médecin de l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration (OFII), chargé de se prononcer sur l’incompatibilité de son état de santé avec un renvoi dans son pays d’origine. Celui-ci conclut que si son état de santé nécessite un traitement et qu’il peut être soigné en RDC.
Un avis fermement contesté par le Comede, Act Up-Paris, La Cimade et l’avocate de Pascal car il ne tiendrait pas compte de l’accès effectif aux soins en RDC. Les associations s’en remettent d’ailleurs à l’arrêté du 5 janvier 2017 (2) du ministère de la Santé, stipulant que « dans l’ensemble des pays en développement, il n’est pas encore possible de considérer que les personnes séropositives peuvent avoir accès aux traitements antirétroviraux ».
L’arrêté du 5 janvier 2017 du ministère de la Santé fixe les orientations générales des médecins de l’OFFI dans l’exercice de leurs missions.
Le docteur Christopher Mambula (3), responsable de programme dans le pays pour Médecins Sans Frontières (MSF), évoque de son côté une situation « complexe » et inégale sur l’ensemble du territoire. Selon lui, les antirétroviraux seraient « d’une manière générale » disponibles et gratuits mais les consultations et les contrôles payants « hors projets humanitaires ». Plus important, certains médicaments faisant partie intégrante de la trithérapie de Pascal, notamment le bictégravir et l’emtricitabine « ne font pas partie du protocole national congolais pour la première ligne de traitement », d’après le praticien. Un traitement qui ne serait pas substituable, précise Me Alissa Ozeki, citant un certificat médical de Pascal.
Le docteur Christopher Mambula, chargé de programme pour MSF en RDC a été contacté par Politis pour obtenir un témoignage de terrain. Il ne connaît pas Pascal, ni sa situation. Nous lui avons seulement communiqué le nom de son traitement pour savoir si son accès était possible, ou non.
Le médecin humanitaire décrit une situation qui se complexifie en fonction de l’endroit où vit la personne et qu’il convient d’articuler au regard du contexte en RDC : « Les conflits armés, les déplacements de populations, les tensions politiques et le manque de transport de routine » rendraient l’accès aux traitements « très compliqué », « surtout pour quelqu’un qui a besoin d’une continuité de traitement pour le reste de sa vie ».
Il n’est clairement pas assuré de pouvoir bénéficier des soins nécessaires en cas de retour.
Comede
L’avis circonstancié d’un médecin du Comede, émis dans le cadre de la procédure d’éloignement de Pascal, va dans le même sens. Et pour lui, Pascal n’est « clairement pas assuré de pouvoir bénéficier des soins nécessaires en cas de retour, avec pour conséquence une diminution significative de son espérance de vie sans incapacité. »
Libéré depuis seulement quelques jours du centre de rétention, mais pas de sa mesure d’éloignement, Pascal ne sait pas encore quoi faire. Il craint les contrôles d’identité qui peuvent survenir à tout moment et le « renvoyer au CRA, ou directement dans l’avion » ; dans la rue, les transports en commun, n’importe quels chemins empruntés entre son domicile et ses médecins.
Pour l’heure (1), Pascal dit réfléchir à la possibilité de déposer une demande d’abrogation de son OQTF auprès de la préfecture de l’Essonne, motivée par son état de santé, et les craintes de ne pas pouvoir bénéficier du traitement approprié en RDC. En cas de refus, il est possible de saisir le tribunal administratif pour contester la décision préfectorale.
Ce paragraphe et le suivant ont été ajoutés, pour mise à jour, le 16 février 2024.
Mais avec la levée des protections contre l’éloignement – notamment celle protégeant les personnes gravement malades ne pouvant accéder aux soins dans leurs pays d’origine – promulguée le 26 janvier 2023, dans le cadre de la loi sur l’immigration, « le ou la juge risque d’avoir un pouvoir d’appréciation élargie pour estimer si l’état de santé aurait dû être pris en compte avant la notification de l’OQTF, concède Me Ozeki. Même si au moment de son édiction, il aurait effectivement dû être protégé. »
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