« Nous tentons d’empêcher les expulsions de nos voisins »
Depuis les années 2000, la population de la Géorgie est touchée de plein fouet par une crise de surendettement. Mariam, 29 ans, témoigne.
dans l’hebdo N° 1796 Acheter ce numéro
Depuis les années 2000, la population de la Géorgie est touchée de plein fouet par une crise de surendettement. Faute d’aides de l’État et dans l’incapacité de rembourser des prêts aux taux d’intérêt exorbitants, de plus en plus de familles sont expulsées de leur logement. Pour lutter contre l’hégémonie du capital financier privé, Mariam, Géorgien·ne de 29 ans, raconte la solidarité à toute épreuve qui s’est mise en place.
Je m’appelle Mariam et je viens de Géorgie. Là-bas, les banques mettent en place des taux « rapaces » sur les demandes de prêt. La plupart des familles sont dans des situations économiques d’extrême fragilité qui les force à contracter un crédit auprès des banques et des usuriers. Elles se retrouvent à rembourser une plus-value de trois à quatre fois le montant initial du prêt. Leur logement est mis en hypothèque comme garantie. Comme elles sont dans l’incapacité de payer, leur bien est saisi et elles se retrouvent à la rue.
Depuis 2022, 2 000 expulsions ont été programmées par le bureau des exécutions. Les usuriers et les banques mettent en place un système de crédit hypothécaire pour extorquer les biens dans un contexte d’explosion des coûts de l’immobilier. C’est plus que de la simple garantie. Ils refusent toute alternative de remboursement, comme les renégociations ou l’étalement des prêts. Les habitations saisies sont mises aux enchères pour être vendues cinq fois moins cher que la valeur du prix d’achat. Le sombre constat est que les logements sont revendus à des tarifs dérisoires alors que des familles ont été mises dehors à cause du taux d’intérêt élevé.
Ces pratiques sont encouragées par l’État, qui ne met aucune politique en place pour protéger les emprunteurs. Le pays est gouverné par les élites financières et l’hégémonie du capital privé fait que les riches s’enrichissent de plus en plus au détriment des classes populaires.
En raison de l’absence de protection publique, c’est la solidarité populaire qui compte. Des mobilisations s’auto-organisent pour résister aux expulsions par la police d’exécution. Depuis plusieurs années, des militant·es et des voisin·es s’interposent physiquement pour protéger les maisons. Les expulsions sont retardées pendant un temps mais, très vite, elles reprennent.
Il y a deux semaines, trois expulsions ont eu lieu dans la capitale, Tbilissi. Le 23 janvier, une première maison allait être saisie alors que la famille avait déjà remboursé l’équivalent de près de 84 000 euros sur un prêt initial d’un montant équivalant à 18 628 euros. Nous avions besoin d’une mobilisation populaire. Des appels massifs ont été lancés, et ils ont été entendus.
Les agents d’exécution étaient plus nombreux qu’à l’accoutumée. Accompagnés par la police nationale et la police criminelle, ils sont intervenus de manière abusive et ont mis beaucoup de moyens pour parvenir à leur fin : l’expulsion ferme et définitive. Nous avons fait tout notre possible pour bloquer l’entrée, plusieurs heures, jusqu’à ce que nous soyons balayés de façon extrêmement violente. Ils ont défoncé la porte, sont entrés et nous ont trouvés assis à l’intérieur, résistant passivement, mais ont quand même réussi à extraire les personnes présentes en les tirant sur le sol. D’autres ont été jetées dans les escaliers et par terre. Plusieurs coups ont été donnés sur les corps résistants.
Ces pratiques sont encouragées par l’État, qui ne met aucune politique en place pour protéger les emprunteurs.
Finalement, la famille a été expulsée et vingt personnes ont été arrêtées. Deux d’entre elles ont été mises en détention provisoire puis libérées, le 3 février, contre une caution de 2 000 euros. Elles risquent une peine de prison de trois à six ans. Mon frère et moi faisons partie des 18 autres. Nous sommes redevables, chacun, de 700 euros. Au total, le soutien et l’autodéfense populaire nous coûtent plus cher que la maison, qui a été rachetée 6 000 euros aux enchères par Rico Crédit.
Nous ressentons beaucoup de colère, et de plus en plus de gens nous rejoignent. Cette affaire commune est partagée à l’échelle nationale. Il est important de montrer que nous n’allons pas laisser passer ça. Nous voulons maintenir un rapport de force. Dimanche 4 février, nous avons organisé une marche et un concert de soutien. Dans les villes de Zugdidi et Kutaisi, des rassemblements ont demandé la libération des deux camarades. D’autres événements sont prévus dans les semaines qui viennent.
La répression est une réponse pour criminaliser et étouffer la solidarité et la contestation populaire. Nous avons mis en ligne des caisses de soutien pour récolter de l’argent. Le système de surendettement, que l’État laisse perdurer, est un moyen d’asservissement qui force les gens à se faire exploiter et à s’auto-exploiter. Ils se retrouvent dans des situations où ils sont obligés de travailler plus pour rembourser leurs dettes. Il est important pour nous de ne pas être seulement en position de défense, mais aussi de maintenir le rapport de force et de continuer le combat contre l’hégémonie du capital privé.
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