« On veut du fret » : l’alliance écologique et sociale lance sa campagne pour « sauver le fret ferroviaire »
Ce jeudi, environ 200 cheminots, accompagnés de militants pour le climat, ont envahi, en musique, la Gare de Lyon à Paris. Derrière cette action coup de poing, le lancement d’une mobilisation écologique et sociale pour défendre le fret ferroviaire.
Une scène de techno-rap. Voilà en quoi s’est transformée la Gare de Lyon à Paris, l’espace de quelques minutes, ce jeudi en début d’après-midi. Il est 14 heures tapantes quand plusieurs centaines de cheminots, chasubles de Sud Rail, envahissent le hall 1 de la gare parisienne. Avec eux, plusieurs militants climatiques, de différents collectifs, dont notamment Alternatiba Paris et les Amis de la Terre. Des fumigènes sont craqués et, en plein milieu de la gare, sous le regard éberlué des voyageurs, une sono est installée. Elle crache, en boucle, le même refrain, repris à l’unisson : « On veut du fret, du fret, du fret, du fret, du fret ferroviaire ».
Derrière cette chanson se cache le collectif Planète Boum Boum créé pendant la réforme des retraites avec le titre – désormais célèbre – « Retraite, climat, même combat ». Cet hiver, ce collectif a donc décidé de prêter son savoir-faire pour l’alliance écologique et sociale qui regroupe syndicats, associations et collectifs climatiques. L’objectif : lancer une campagne de mobilisation autour du fret ferroviaire, autrement dit le transport de marchandises en train.
Une nouvelle restructuration du fret ferroviaire
Pourquoi ? Car le service public du fret français, représenté par la filiale Fret SNCF, est menacé de liquidation. En effet, le 23 mai dernier, le ministre des Transports de l’époque, Clément Beaune, a annoncé une nouvelle restructuration du fret ferroviaire public censée éviter une condamnation de Bruxelles pour aides jugées illicites, faute de « concurrence déloyale ». Ce plan s’est d’abord traduit par le renoncement, pour Fret SNCF, à 23 trafics ferroviaires, obligeant à ouvrir ces voies à la concurrence. Sans que personne dans le privé ne s’empare de ces opportunités.
Et pour cause, le secteur ferroviaire est particulier : il possède des coûts d’entrée particulièrement élevés. « Seul DB Cargo [l’opérateur public allemand ndlr] est capable de reprendre une partie des trafics de la SNCF. Tous les autres ne sont pas en capacité de le faire », constate Julien Troccaz, responsable Sud Rail à Fret SNCF auprès de nos confrères de Mediapart. DB Cargo n’a repris que quatre de ces 23 trafics. Et Fret SNCF a eu le droit de poursuivre d’acheminer les trafics restants pour 36 mois.
La France, mauvaise élève
Avec comme seul crédo la concurrence, le gouvernement est en train de dilapider un outil clé de la transition écologique.
Mais ce n’est pas tout. Après cette première étape, Clément Beaune a annoncé la disparition totale de Fret SNCF d’ici le 1er janvier 2025. « Le gouvernement veut détruire l’opérateur public principal du secteur », s’indigne Julien Troccaz. Une décision difficilement compréhensible tant le fret ferroviaire est – de loin – la méthode la plus écologique pour transporter des marchandises.
Aujourd’hui, la France fait déjà figure de mauvaise élève. Le fret représente à peine 10 % du transport terrestre de marchandise dans l’hexagone. En Allemagne, c’est près du double. Et la « restructuration » annoncée par Clément Beaune ne risque pas d’améliorer ce constat. « Avec comme seul crédo la concurrence, le gouvernement est en train de dilapider un outil clé de la transition écologique », écrit l’Alliance écologique et sociale (AES) dans la pétition lancée ce jeudi.
« La défense du fret ferroviaire, c’est l’illustration de notre raison d’exister. C’est l’idée “fin du monde, fin du mois, même combat“. On est vraiment à l’intersection d’un sujet social et écologique », note Marie Véron, coordinatrice de l’AES. Outre les raisons écologiques en défense du fret ferroviaire, c’est aussi un réel enjeu social. En effet, ce détricotage de l’opérateur public inquiète vivement les cheminots du fret qui risquent de perdre certains de leurs acquis sociaux en passant dans le privé. L’AES évoque aussi la suppression de 500 postes avec la disparition de Fret SNCF.
On l’a bien vu pendant les retraites, une musique qui porte une lutte, ça la renforce.
Julien Troccaz
Sauf que malgré ces raisons, le sujet, complexe et technique, a du mal à vraiment émerger dans le débat public. « On a tous constaté que la mobilisation pour les salaires et la défense du fret, le 13 octobre dernier, c’était tristounet », souffle Julien Troccaz. Et cela, malgré une intersyndicale unie sur le sujet.
Des courriers restés sans réponse
Il y a trois semaines, un courrier unitaire a été envoyé à Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique. « Il est de votre responsabilité de revoir le processus de liquidation de Fret SNCF. […] Fret SNCF doit redevenir un opérateur public de transport territorial et une activité essentielle du système économique », écrivent, conjointement, Sud Rail, la CGT, l’UNSA, et la CFDT. À ce jour, les syndicats n’ont toujours pas eu de retour. Une posture habituelle du ministre qui n’avait déjà pas répondu à un premier courrier sur le sujet en avril 2023.
Pour essayer d’impulser une dynamique nouvelle, Sud Rail s’est donc associé avec Alternatiba Paris et Planète Boum Boum. « On l’a bien vu pendant les retraites, une musique qui porte une lutte, ça la renforce », souligne Julien Troccaz. « C’est un instrument important pour créer un mouvement puissant », poursuit Rémi, militant à Alternatiba et auteur de ce titre.
Dès ce vendredi, un challenge sur les réseaux sociaux sera lancé par les militants. « On veut voir les gens se filmer en train de danser sur le refrain, “on veut du fret, du fret, du fret“. Que ça devienne viral », explique Mathilde Caillard, militante à Alternatiba.
L’action coup de poing a eu l’effet escompté. La techno-scène de la Gare de Lyon a attiré les yeux – et les téléphones – des dizaines de voyageurs. Le tout, dans une ambiance festive. « Ça fait du bien ce genre d’action, c’est à la fois très important dans le fond, mais aussi super joyeux sur la forme », glisse un cheminot sur le parvis de la gare. Il conclut : « On a un an avant la liquidation de Fret SNCF [le 1er janvier 2025 ndlr], donc on ne lâchera rien d’ici là. Comme le dit très bien la chanson : “nous on a des goûts basiques, on aime le service public“. »
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