Quartiers populaires : des collectifs d’habitants protestent contre la démolition de leurs logements

Rassemblées devant l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, une centaine de personnes issues de nombreuses villes de toute la France ont réclamé la réhabilitation de leur immeuble plutôt que la destruction. Une délégation a été reçue par la directrice de l’Anru, Anne-Claire Mialot.

Hugo Boursier  • 7 février 2024
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Quartiers populaires : des collectifs d’habitants protestent contre la démolition de leurs logements
De nombreux collectifs d'habitants de quartiers populaires se sont rassemblés devant le siège de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine, ce mercredi 7 février.
© Hugo Boursier

Ils ont fait plusieurs centaines de kilomètres pour se réunir devant le siège de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, à Pantin (Seine-Saint-Denis). Depuis Toulouse, Grenoble, Marseille, Lille, Roubaix ou Amiens, une cinquantaine de collectifs d’habitants de quartiers populaires et d’associations ont organisé, ce mercredi 7 février, une action devant le siège ultramoderne de l’Anru, pour protester contre la démolition de leurs habitations.

L’agence, qui célèbre son vingtième anniversaire cette année, est pointée du doigt pour ses vastes projets de renouvellement urbain, et notamment sa politique de destruction de logements sociaux. Une petite centaine de personnes étaient présentes – un rassemblement d’une ampleur inédite.

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Certains collectifs sont venus en groupe, comme la petite vingtaine de personnes qui a quitté Besançon à l’aube. Bruno, de l’antenne locale de la Confédération nationale du logement en fait partie. Il habite le quartier de la Planoise où se trouvent 6 000 logements sociaux. « Environ 1 200 vont être démolis », regrette-t-il. « Les logements sont plutôt en bon état. Mais cela ne suffit pas pour la municipalité qui considère qu’il y a trop de pauvres. Elle veut faire de la place pour reconstruire des logements destinés à des ménages plus aisés. Sous couvert de mixité sociale, on rejette les plus précaires qui vivent là depuis des années. »

Démolition apprise par la presse

C’est le cas de Dalila. Elle fait partie des derniers locataires à ne pas être partis de l’immeuble de onze étages. « J’ai su que mon logement allait être démoli dans une revue locale, un peu par hasard. Et puis en novembre 2022, on a reçu une lettre nous expliquant que le préfet avait accepté la démolition du bâtiment », raconte celle qui loge dans le quartier depuis près de 18 ans.

Les trois propositions de relogement qu’elle a reçues correspondent à des appartements plus petits, plus chers ou trop loin. Aide-soignante bientôt à la retraite, Dalila sait qu’elle touchera une toute petite pension. Elle peine déjà à régler son loyer actuel de 600 euros. « Alors 200 euros de plus, comme j’ai pu voir dans les propositions de relogement, c’est beaucoup trop », grince Dalila, désemparée face à une machine qui lui semble inarrêtable.

Cette politique consiste à virer les pauvres de la ville.

J. Moudilou

Cette politique antisociale, Josée Moudilou la critique aussi. La jeune femme est venue seule depuis Vaulx-en-Velin. Elle a participé aux Rencontres nationales des quartiers populaires qui se sont tenues le 14 janvier. C’est comme ça que cette professeure des écoles a entendu parler de l’action du jour. « Je suis venue aussi pour rencontrer d’autres collectifs concernés par cette politique qui consiste à virer les pauvres de la ville ». Dans ce quartier de Vaulx-en-Velin, plus de 1 600 logements ont été détruits. « Ce qui est reconstruit, c’est du privé, pas du logement social », pointe-t-elle. « L’Anru mène sans distinction une politique publique de la gentrification », lance-t-elle, avant de décliner plusieurs priorités : « Une vraie concertation avec les habitants, la préservation des espaces verts et le respect des personnes qui habitent dans des logements sociaux. »

« Un vrai gâchis »

Des revendications qui rejoignent celles de Marc, du collectif lillois Deûl’L’Air. Le petit groupe déplie une banderole qui dénonce la destruction de 150 logements sur les 320 que compte l’immeuble des Aviateurs, dans le quartier des Bois-Blancs. Soit environ 300 familles. « Les gens sont là depuis des années, ils sont investis localement… C’est un vrai gâchis », soupire-t-il, alors qu’un attroupement se fait quelques mètres plus loin.

La très grande majorité des habitants refusent des démolitions mais l’Anru ne les écoute pas.

C’est la directrice de l’Anru, Anne-Claire Mialot, qui est venue saluer les personnes présentes, avant de recevoir une délégation d’une dizaine de collectifs. « Il y a des manières plus sereines pour échanger, vous n’étiez pas obligés de gonfler cet énorme ballon », avance-t-elle, en pointant « le petit cadeau de la Coordination nationale du logement 93 », rigole l’un de ses adhérents.

« Vous menez des projets non-démocratiques. La très grande majorité des habitants refusent des démolitions mais l’Anru ne les écoute pas », accuse un membre du Droit au logement à Grenoble, où 455 logements du quartier de l’Arlequin sont menacés de destruction. « La co-construction doit être menée par les maires, mais c’est vrai qu’on doit améliorer ce processus », élude Anne-Claire Mialot.

Alors que la délégation s’échappe du rassemblement pour être entendue par la direction de l’Anru, les prises de parole s’enchaînent malgré la pluie. Toutes décrivent des logements détruits alors qu’ils n’auraient mérité qu’une simple réhabilitation. Ils dénoncent aussi un manque de concertation avec les habitants. Un locataire d’Amiens raconte que dans son quartier, « la concertation a même commencé le soir de l’arrêté préfectoral qui annonçait la démolition ».

Le député LFI de Haute-Garonne, François Piquemal, a annoncé l’ouverture d’une mission d’information sur la démocratie en matière de rénovation urbaine (Photo : Hugo Boursier.)

Un phénomène massif, mais qui reste « en-dehors des radars politico-médiatiques », regrette le député insoumis de Haute-Garonne, François Piquemal. Venu avec Aurélien Taché, l’élu annonce qu’une mission d’information va être ouverte en avril pour « questionner les institutions responsables de ces destructions au coût social et écologique très important ».

« Allo Anru »

L’an dernier, avec Marianne Maximi (Puy-de-Dôme), Farida Amrani (Essonne) et David Guiraud (Nord), ils avaient mené une tournée, baptisée « Allo Anru », auprès d’une trentaine de quartiers. « Tous les sujets sur lesquels était censée répondre l’Anru, la mixité sociale, la sécurité, l’éducation et l’accès aux services publics, n’ont pas été améliorés », dénonce le député, qui a été proche de l’antenne toulousaine du DAL. « Pourtant, cela concerne quasiment 500 quartiers en France. Même des villes de taille moyenne, comme Alès ou Saint-Etienne, ont été concernées. C’est toujours le même modèle : manque de concertation, démolition, relogement partiel, moins d’habitat social », expose-t-il.

Une proposition de loi va être présentée par François Piquemal et le député écologiste Charles Fournier, le 24 février, dans le but de démocratiser la rénovation urbaine. À l’initiative de ce texte : le collectif de quartiers populaires, Pas sans nous, l’association APPUII qui aide les locataires et Vox Public.

Un début d’écoute

Une délégation a été reçue par la directrice de l’Anru. Les journalistes n’étaient pas conviés à cette réunion qui a duré 1 h 30. (Photo : Hugo Boursier.)

Avant une conférence de presse qui s’est tenue l’après-midi, la délégation est revenue du rassemblement plutôt satisfaite. « La directrice de l’Anru a entendu que certaines démolitions étaient problématiques. On sent que le côté ‘tout démolition’ prôné par l’Anru 1 et 2 est en train de craqueler », explique Antonio Delfini, président de l’Atelier populaire d’urbanisme du Vieux-Lille et présent dans le petit groupe. La délégation a obtenu d’Anne-Claire Mialot qu’elle associe les représentants des quartiers concernés dans la discussion sur la troisième génération de l’Anru, alors que l’Anru 2, initié en 2014, se clôt cette année.

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Le moratoire sur les projets contestés n’a, en revanche, pas été obtenu. « Anne-Claire Mialot se reposait beaucoup sur la responsabilité des maires pour ne pas se sentir visée par les critiques », note Antonio Delfini, qui soutient que l’Anru a la capacité d’arrêter les financements en cas d’absence de concertation avec les habitants. Si le rendez-vous n’a pas débouché sur des mesures d’urgence très concrètes, une note positive se dégage de cette journée d’action. « Ce qu’il s’est passé aujourd’hui est inédit : qu’autant de collectifs se soient rassemblés, c’est remarquable », s’enthousiasme Antonio Delfini.

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