Réarmer ou l’idéologie de la guerre de tous contre tous

Alain Coulombel, membre du bureau exécutif des Écologistes (EELV), interroge des déclinaisons de cette formule présidentielle guerrière et alerte sur ses implications délétères.

Alain Coulombel  • 17 février 2024
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Réarmer ou l’idéologie de la guerre de tous contre tous
Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse, le 16 janvier 2024 : « Nous engagerons un réarmement civique. »
© Ludovic MARIN / AFP

Dans un essai paru en 1947, intitulé LTI, la langue du Troisième Reich, le philologue Victor Klemperer analysait la manipulation du langage par le régime nazi à travers les mots utilisés par la propagande du Reich et la façon dont ils contaminaient, sans crier gare, les esprits.

L’introduction ces dernières semaines du mot de réarmement, après celui de bouclier « qui nous manquait », utilisé par le président de la République pour justifier la nécessité de la loi sur l’immigration, relève de cette logique de manipulation de la parole publique cherchant à capter les pulsions sécuritaires et « virilistes » d’une partie de l’opinion publique. Formule suffisamment souple pour se décliner du réarmement civique, avec la généralisation du Service national universel (SNU) et de l’uniforme dans les établissements scolaires, au réarmement des armées, avec la loi de programmation militaire fixant le montant des dépenses militaires à 413 milliards d’euros pour la période 2024-2030 (soit une augmentation de 30 % par rapport à la période précédente), en passant par le réarmement industriel ou le réarmement démographique, censé permettre une « France plus forte » à travers de la relance de la natalité (implicitement faire des enfants pour la patrie).

Un verbiage inquiétant

De glissement sémantique en glissement sémantique, le gouvernement semble avoir perdu toute boussole…

Tout ce verbiage, au plus haut sommet de l’État, est inquiétant dans la mesure où il nous rappelle les heures sombres de l’Europe quand le « réarmement moral » était invoqué pour faire face à la crise économique et politique des années 1930. S’agit-il de préparer nos enfants à la guerre ou de rebâtir une société d’ordre rythmée par un ensemble de rites censé redonner vie à la France d’antan, celle des hussards de la République et de la Terre qui ne ment pas ?

Ou s’agit-il plus opportunément de reprendre à son compte la phraséologie de l’extrême-droite européenne pour en tirer quelques bénéfices électoraux ? Ce qui n’a pas échappé au Rassemblement national qui par la voix de Marine Le Pen se réjouissait, à propos de la nouvelle loi immigration, d’une victoire idéologique.

Une rhétorique guerrière

Victoire idéologique, en effet, dans un contexte politico-social marqué par la crise de toutes les institutions régulatrices comme l’État, l’école ou la famille, et la montée des formations post fascistes. Rhétorique guerrière, pleinement assumée par le président de la République et son Premier ministre, censée redonner une âme et une consistance à notre « vivre ensemble » fragilisé par cinquante années d’un libéralisme brutal s’attaquant aux services publics, aux biens communs. Et précisément à tous les mécanismes de protection et de régulation, sur fond de réchauffement climatique, de prédation sur les ressources minérales et fossiles, de sixième extinction des espèces et de pollution chimique.

Le réveil de vieilles lunes

De glissement sémantique en glissement sémantique, le gouvernement semble avoir perdu toute boussole en validant l’idéologie de la guerre de tous contre tous. Guerre à la Covid – on se souvient du « Nous sommes en guerre » d’Emmanuel Macron au moment de la crise sanitaire –, guerre aux jeunes des banlieues, guerre aux fainéants, aux chômeurs et aux bénéficiaires du RSA, guerre aux immigrés et aux travailleurs sans papier…

Tout cela est délétère et totalement décalé dans une société consumériste, multiraciale et multiculturelle, qui n’entretient qu’un très lointain rapport aux « vertus » du sacrifice patriotique individuel ou collectif. Une société où le spectacle et la consommation ont remplacé depuis longtemps la société de tradition de nos aïeuls.

Plutôt que de centrer ses priorités sur la sobriété et la bifurcation écologique nécessaire, le gouvernement a fait le choix de réveiller de vieilles lunes, et d’instiller dans l’imaginaire de nos concitoyens un univers fait de conflits, de discipline, de lutte de tous contre tous. Au risque de réveiller les vieux démons de l’Occident.

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